L'uchronie

Je ne peux commencer cette chronique consacrée à l’Uchronie sans évoquer le n°58 de la revue Phénix de février 2003, qui avait fait la part belle à ce chapitre, et l’avait traité de façon exemplaire.

Je vous épargnerai une définition étymologique du terme, pour entrer directement dans le vif du sujet. L’Uchronie, c’est l’Histoire telle qu’elle aurait pu être, sans l’avoir été. L’uchronie commence toujours par un SI. C’est la condition, la supposition, la possibilité, l’éventualité. Bref, peut on rêver mieux pour les littératures de l’Imaginaire ? Car l’imagination a tous les droits ; tout est a priori permis au royaume de l’Uchronie.

Que serait-il arrivé, si César n’avait pas vaincu Vercingétorix à Alésia ? Si Napoléon avait remporté la bataille de Waterloo ? Si le débarquement du 6 juin 44 n’avait pas eu lieu ? La liste est longue, et les réponses multiples.
Beaucoup d’auteurs se sont d’ailleurs essayés à l’Uchronie, sans pour autant être des adeptes des littératures de l’Imaginaire, car l’exercice est tentant.
Refaire l’Histoire, s’offrir un tel espace de liberté !

L’Uchronie est d’ordinaire classée dans la Science-Fiction. Pour ma part, je pense que c’est une discipline littéraire à part entière, même si parfois elle peut flirter avec certains thèmes de la S-F, tels les voyages dans le temps. Car c’est en effet une exploration de l’espace-temps, de l’espace-Histoire que l’on peut s’offrir avec l’Uchronie.

Mais refaire l’Histoire, n’est-ce pas la nier, n’est-ce pas remettre en cause certains faits indéniables ?
On peut donner une réponse en se basant sur le roman de Robert Harris, « Fatherland ».


Dans ce roman, nous sommes en 1964, dans une Allemagne nazie qui a gagné la guerre en 1944 et domine toute l’Europe. Or des meurtres mystérieux surviennent soudain, et les victimes sont d’anciens SS. Le déroulement de l’enquête va nous mener à découvrir que le Reich, victorieux, voulait que demeurent ignorées le atrocités des camps d’extermination, qu’il s’était efforcé de dissimuler. Et c’est bien ainsi qu’était conçue la machine nazie. Il ne fallait pas savoir. Ce roman est tout le contraire du négationnisme et du révisionnisme, car partant d’un postulat, il revient à la réalité horrible de l’Histoire véritable, et fait même office de message quant aux pratiques répréhensibles que pourraient de nos jours tenter de cacher certains États.

« K », de Daniel Easterman, part de la supposition qu’en 1940, les USA se sont alliés à l’Allemagne nazie. Ce roman rejoint celui, assez récent de Philip Roth, « Le complot contre l’Amérique », qui lui aussi, comme Easterman, fait gagner les élections de 1932 à Charles Lindbergh, le héros de l’aviation. Dans le roman de Daniel Easterman, cette victoire est de plus rendue possible par le soutien du mouvement raciste le Ku Klux Klan et d’un autre intitulé l’Alliance aryenne. Dans les deux romans, il s’en suit un tas de persécutions contre les citoyens décrétés indésirables. Le message est clair : méfions-nous de la bête qui peut dormir au sein des démocraties. Et l’on voit aussi, que Philip Roth, qui n’est pas à proprement parler un auteur de Science-Fiction, a eu recours à l’Uchronie pour faire passer son message.


Il est une utilité qui apparaît comme fondamentale dans l’Uchronie, c’est de maîtriser un minimum l’Histoire d’un pays. En effet, il est difficile de comprendre une uchronie qui suppose que la guerre de Sécession aux USA n’a pas été gagnée par les Nordistes mais par les Sudistes, si l’on ne connaît pas du tout l’Histoire de l’Amérique ; et il est tout autant difficile d’en comprendre une qui suppose que le 14 juillet 1789 n’a jamais eu lieu, si l’on méconnaît celle de la France.

Mais l’Uchronie fait parfois diversion et se penche aussi vers d’autres thèmes échappant à la grande Histoire. C’est le cas du roman de Joël Houssin, « Le temps du twist », où est revisité le Londres des années 70, avec ses hippies sanguinaires et Led Zeppelin qui ne fait pas carrière : tout un programme uchronique !


Et je sais que nous sommes arrivés au moment où beaucoup vont se dire : Et « Le maître du Haut Château » dans tout cela ?
Eh bien, malgré tout le respect que je dois à M. Dick que j’admire beaucoup, ce roman m’a déçu, et ne m’est pas apparu comme une bonne uchronie, tout simplement parce je trouve que Philip K. Dick ne joue pas pleinement la carte de l’Histoire revisitée à la manière d’un Robert Harris, d’un Daniel Easterman et de bien d’autres.

L’Uchronie est un vaste champ d’investigations, et de nouvelles époques ou périodes sont d’ailleurs à explorer. Il est vrai que des faits historiques comme la guerre d’Algérie, Mai-68, la guerre en Iraq, n’ont pas vraiment été visités au contraire de l’époque napoléonienne ou la Seconde Guerre mondiale. Or, on l’a vu, l’Uchronie possède une mission d’éclairage de l’Histoire, mais aussi de mise en garde des dérives de celle-ci. Traîter de sujets plus contemporains nous amènera à réfléchir sur le présent, et qui sait, préserver un futur proche.

Je recommande pour ce thème :

- « K » de Daniel Easterman - Pocket.

- « Fatherland » de Robert Harris - Pocket.

- « Le temps du twist » de Joël Houssin - Folio SF.

Et bien évidemment, dans tous les endroits possibles et imaginables où vous pourrez le trouver : le n°58 de la revue Phénix qui est une mine d’or en matière d’Uchronie.

Novembre 2006

Commentaires

Félicitation pour ton article :)

J’ai un petit ajout à faire. L’uchronie ne se construit pas uniquement d’histoires alternatives ("SI") mais également de mondes parallèles ("AUSSI"). Les mondes parallèles évoluent en même temps que le nôtre et les auteurs permettent leur accès par les portes qu’ils créent.

J’ajoute quelques titres à ta liste :
"La Porte des mondes" de Robert Sylverberg,
"Chronoreg" de Daniel Sernine,
"Les Cités intérieures" de Natasha Beaulieu,
"La fin de l’éternité" d’Isaac Asimov et
"Pavane" de Keith Roberts

a+

Oui, Mîreldar, je suis d’accord avec toi sur les mondes parallèles
et les failles temporelles. C’est d’ailleurs le principe du roman de Tim Powers " Les voix d’Anubis " que j’aurais pu aussi citer. Mais celui-là, je le garde plutôt pour le thème du " Steampunk " que je vais chroniquer un peu plus tard. Je suis d’accord également par rapport aux titres auquels tu fais référence, mais le principe des thèmes de l’imaginaire est de choisir quelques ouvrages ( roman nouvelle, film, BD...) que je considère comme fondamentaux pour illustrer un thème donné. Alors, avec l’Uchronie, le choix est large. C’est pour cela d’ailleurs que je fais référence dans l’article à l’excellent numéro de Phénix Mag qui était très complet sur le thème de l’Uchronie.
À bientôt,
Patrick

Je recherche le titre d’un roman de pseudo-science fiction où le descendant anglais du responsable de la victoire de Napoléon à Waterloo arrive à inverser l’Histoire .

Probablement pas cela, car je ne me souviens pas de la nationalité anglaise, mais dans Le Voyageur Imprudent de Barjavel, le héros arrive à la bataille de Waterloo et par son action contrecarre les événements et rend même impossible sa propre naissance...