Vauriens

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Tout le monde aime les vauriens, nous déclare George R.R. Martin dans sa préface, « même si nous finissons parfois par le regretter ». Dans cette anthologie de 800 pages, Martin et Dozois ont fait appel à une excellente brochette d’auteurs pour nous concocter 21 nouvelles, où il est donc question de vaurien - et de vaurienne - au sens large du terme. Qu’il s’agisse de voleurs, de profiteurs, d’acteurs un peu has been, voire de sorciers ou d’enquêteurs du paranormal, toutes et tous ont un point commun dans cette anthologie : savoir user des circonstances pour leur profit personnel. Pas toujours pour le mieux, certes, mais avec cette extraordinaire faculté de retomber sur leurs pattes à la façon d’un chat.

Résumer un tel ouvrage de façon concise s’avère impossible, chaque auteur ayant décidé de traiter la nouvelle par le biais d'un domaine qui lui est propre et familier. Contrairement à ce que la couverture pourrait nous faire croire, il n’y a donc pas seulement de l’Heroïc-Fantasy, mais également du fantastique, du polar et toujours de l’humour. Chaque auteur a droit en guise d’introduction à un petit rappel biographique, puis une petite explication de la nouvelle qui va suivre. Comme toujours dans un tel recueil qui frise l’excellence, il y a du bon et du moins bon, pas en matière de qualité, ce serait bien immodeste de ma part de me permettre ce jugement, mais plutôt parce que certains univers me restent relativement hermétiques malgré mes tentatives. Je vous en dirai davantage plus le long de ce résumé.

Les temps sont rudes pour tout le monde de Joe Abercrombie : une nouvelle dans le style fantasy, où il est question de voleur volé, d’un colis dont on ne saura pas le contenu, jusqu’au retour à la case départ. Rythmée et plaisante, sans aucun temps mort.

Que faites-vous dans la vie ? de Gillian Flynn : un thriller bien troussé, où la narratrice, travailleuse du sexe tarifée habituée à procurer du plaisir manuel à ses clients, est rattrapée par son passé et par un gamin particulièrement cruel et intelligent.

L’auberge des sept bénédictions de Matthiew Hugues : nouvelle encore sur le thème de la fantasy, où il est question d’un vol de divinités enfermées dans un cylindre. Amusante car écrite sur un ton léger.

•Brindille tordue de Joe R. Lansdale : une de mes nouvelles préférées. Un duo de héros improbables, Hap et Leonard, vient à aide à la fille junkie de l’amie de Hap. Entre truands d’une autre époque et réparties savoureuses, cette nouvelle est une perle d’humour noir et de violence.

Tawny Petticoats de Michael Swanwick : une nouvelle entre uchronie et fantastique. Dans une Nouvelle-Orléans peuplée de zombies, d’hommes animaux et de personnages tout aussi impossibles, deux vauriens cherchent à s’enrichir en truandant les personnalités richissimes de la ville. Mais comme dit l’adage, à voleur, voleur et demi…

Provenance de David W. Ball : sans doute la nouvelle la plus empreinte de réalisme de tout le recueil, poignante, prenant place au décours de la Seconde Guerre et des pillages des nazis. À mon avis, une des plus réussies. L’histoire d’une mystérieuse toile du Caravage dérobée et ayant une fâcheuse tendance à changer de propriétaire.

Les années folles de Carrie Vaughn : un bar mystérieux, le Blue Moon, un duo de femmes mystérieuses empreintes de sorcellerie, une descente de police, une affaire de famille. Originale sans être passionnante.

Un an et un jour à Théradane-la-vieille de Scott Lynch : une des nouvelles les plus barrées du recueil. Pour avoir manqué de respect à une grande sorcière, l’héroïne de l’histoire doit, en compagnie de ses amis, accomplir une tâche apparemment insurmontable : voler une rue. Le tout sur fond de fantasy là encore.

•Dur à cuivre de Bradley Denton : une histoire comme je les aime. Marx, le héros, professeur remplaçant, qui passe sa vie à truander son prochain pour espérer s’enrichir, se retrouve au centre d’une affaire de vol d’instrument de musique. Sans scrupule mais pas sans morale. Une excellente histoire.

Métaux lourds de Cherie Priest : une histoire que ne renierait pas le grand King lui-même. Kilgore Jones, le protagoniste, est une sorte d’exorciste chargé de libérer certains lieux de mauvais esprits. Même si l’histoire est totalement différente, elle m’a fait penser dans le ton à Revival.

Le sens de l’amour de Daniel Abraham : nouvelle de fantasy. Quand un prince déchu tombe amoureux d’une jeune fille de condition modeste, promise à la vente pour esclavage, il peut compter sur une amie chère pour tout faire pour l’aider. Quitte à taire l’amour qu’elle ressent pour le prince… Par amour que ne ferait-on pas ?

Une meilleure façon de mourir de Paul Cornell : héros récurrent de l’auteur, Jonathan Hamilton, sorte de James Bond (le nom du personnage est à lui seul une évocation de 007) se trouve dans la situation la plus improbable de son existence : il doit affronter son double en plus jeune, issu d’un monde parallèle. Il y a un côté Looper dans cette histoire, les clins d’oeil à Bond sont assez nombreux, malheureusement le récit a tendance à se diluer pour perdre de son punch. Dommage.

Mal vu à Tyr de Steven Saylor : en s’inspirant de deux personnages de Fritz Leiber, l’auteur nous narre les aventures de son personnage fétiche, Gordien, accompagné de l’aède Antipatros. Ce dernier est à la recherche de parchemins de formules magiques qu’il est prêt à acheter à prix d’or. Je ne suis jamais parvenu à entrer dans l’histoire, une déception pour moi donc.

•Une cargaison d’ivoire de Garth Nicks : autre nouvelle assez Fantasy, elle décrit les aventures de Sir Hereward, un chevalier errant, et de Monsieur Fitz, un pantin enchanté, chargé de dérober des statuettes d’ivoire enchantées. Amusante et agréable à lire.

Diamants tequila de Walter John Williams : ma préférée avec Dur à cuivre. Sean Makin, acteur moyen affublé d’un physique peu avenant et d’un égocentrisme surdéveloppé, va tout faire pour que son premier film en tant que superproduction réussisse, malgré les nombreux obstacles sur sa route. Quitte à marchander avec la pègre mexicaine. Une perle d’humour noir.

•La caravane vers nulle part de Phyllis Eisenstein : une nouvelle à part encore dans cette anthologie, entre Aladin et Simbad le marin. Le personnage principal de l’auteur, Alaric le ménestrel affublé du don particulier de téléportation, accompagne une caravane aux confins du désert. Magnifique.

•L’étrange affaire des épouses mortes de Lisa Tuttle : une nouvelle plaisante, dans l’esprit de Sherlock Holmes, avec un duo excentrique, le « docteur Watson » étant ici une jeune femme dans le plus pur esprit victorien et son compagnon une sorte de Sherlock sans le sou vivant aux crochets de sa mère. Une vraie réussite.

Comment le marquis a récupéré son manteau de Neil Gaman : petite histoire amusante où il est question du vol d’un manteau bien particulier, que ledit marquis fera tout pour récupérer, allant juste à s’acquitter d’une tâche périlleuse en se faisant le messager d’un courrier empoisonné.

•À l’affiche ce soir de Connie Willis : une nouvelle totalement folle. Un ticket de cinéma et un film qui n’est pas censé exister et un pamphlet sur la consommation de masse. C’est drôle et enjoué.

L’arbre-éclair de Patrick Rothfuss : une nouvelle tournant autour d’un jeune garçon bien mystérieux, Bast, prodiguant ses conseils et ses aides sous un tronc d’arbre brûlé à la façon d’un Saint Louis sous son chêne. Une histoire très réussie.

Le prince vaurien ou le frère du Roi, de George R.R. Martin : à tout seigneur tout honneur, c’est au concepteur de cette anthologie que revient le mot de la fin, après une biographie un peu plus imposante que celles des autres auteurs, une nouvelle reprenant certains personnages de sa saga du Trône de Fer, les fans reconnaitront en particulier la famille Targaryen… Que dire… Étant d’un hermétisme absolu à ce genre d’histoire, je m’y suis ennuyé à lire les pages d’une biographie imaginaire de personnages qui ne me touchent guère…

 

Au total, sur cette anthologie de 21 nouvelles, 10 m’ont absolument convaincu, de veritables pépites tout genre confondu, 7 sont plaisantes mais me laissent un petit goût d’inachevé et 4 ne m’ont absolument pas séduit : Les années folles, Mal vu à Tyr, Comment le marquis a récupéré son manteau et Le prince vaurien. Mais c’est là tout l’art délicat de la nouvelle, bien souvent plus compliquée à rédiger et à mener à son terme qu’un roman.

Je remercie infiniment les Éditions Pygmalion pour leur confiance, ainsi que Fanny Villiers.

 

Vauriens - George R.R. Martin & Gardner Dozois, Pygmalion, oct. 2018 - 25,90 €

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