Evolution
Cette oeuvre absolument remarquable de Stephen Baxter est parue en 2003, et traduite en français (par Dominique Haas et David Camus) en 2005 aux Presses de la Cité. Je viens d’avoir eu l’occasion d’en lire l’intégralité et souhaitais partager mon enthousiasme, aucune critique n’en ayant été faite ici à ma connaissance.
Comment décrire Evolution ? Il s’agit d’une fiction, certes, mais proche de l’essai. Il tient des deux genres, un peu comme Les Derniers et les Premiers d’Olaf Stapledon sauf que ce dernier, dans son immense panorama historique, ne s’autorise aucun personnage, mais décrit l’avenir de manière théorique et abstraite. Baxter, lui, décrit le passé en accolant à chaque branche choisie à un ’héros’ temporaire. Je m’explique. Par tranche temporelle, il revisite le passé, de 65.000.000 d’années à 9.600 années avant notre ère. Chaque chapitre est consacré à une de ces tranches, a son personnage central, lequel est nommé, comme les animaux dans la série des Tarzan d’Edgar Rice Burroughs.
Tout commence dans le Montana, au Crétacé, à l’apogée des dinosaures. Purga est une des toutes premières primates, ressemblant encore fort à un rongeur. Mais dès ce premier ’héros’, le lecteur est passionné par ses micro-aventures, lesquelles se limitent, comme on a pu le dire, à deux éléments simples : survivre et se reproduire. Au milieu des dinosaures, dont elle ne voit que les gigantesques pattes, la vie n’est pas facile pour la petite Purga. Mais voici qu’apparaît la comète, la fameuse comète, la ’Queue du Diable’, qui exterminera les dinosaures. Passage au souffle épique extraordinaire. Et Purga se réveille dans un monde glacé... On passe à Plesi, bien plus tard, et à ses deux filles, Forte et Faible. Puis au lémurien Noth. Puis à Vagabonde, l’une des ’héroïnes’ de Baxter les plus touchantes, genre de petite femelle capuçin. Nous suivons avec passion puis effroi son odyssée sur un radeau en pleine mer. Et, sans le savoir, elle fera la traversée de l’Atlantique. Suit Creuse, primate-lemming, en période glaciaire, puis Capo. Ah, Capo, encore une figure bien dessinée par Baxter. Nous sommes à présent à 5.000.000 d’années avant notre ère. Capo est un chimpanzé mâle dominant, et qui le fait savoir. Il utilise une pierre-marteau, l’un des premiers outils, pour ouvrir les noix. Puis entame une longue traversée, la forêt se raréfiant, entraînant avec lui les moins couards de sa troupe. Loin, à –1.500.000 ans, est une petite singe fûtée, dans le Rift éthiopien. Le monde est richissime en flore et faune, les premiers mots apparaissent, timidement. Et Loin rencontre Hache, hominidé évolué...
Ainsi termine le premier volume. Le second poursuit tout simplement, sans cassure stylistique aucune, pour reprendre à –127.000 ans, au pléistocène. Le langage est venu, fruste certes. Les premières armes aussi : bâtons, lances. Galet rencontre une femme merveilleuse, qui apparaît avec un harpon, telle une Walkyrie des temps héroïques. Cette rencontre forme l’un des plus beaux passages d’Evolution, au fort pouvoir d’évocation (ce ’sense of wonder’, que l’on ne déniera donc pas à un écrivain de ’hard-science’ tel que Stephen Baxter). Galet fait la connaissance du peuple du Foyer, le peuple nomade qui commerce et fait du troc. Et l’évolution continue, imperturbablement, glaciations après glaciations, de tempêtes effroyables aux incendies hallucinants. Mère dessine sur la pierre. En –52.000 ans, Ejan et Torr manoeuvrent leur pirogue dans les chenaux et tentent de passer d’île en île. Dorénavant, le langage est créé. La religion aussi arrive, avec les chamans. Et les premiers villages se fondent, de par la sédentarisation et l’agriculture. Les femmes se parent de bijoux. Que sont donc que ces têtes-d’os, mi-hommes, mi-animaux ? Millo et Jahna se perdent sur la banquise. Ils rencontrent ensuite Vieil Homme, le dernier Neanderthal... La dernière tranche abordée est celle de –9.600 : la surpopulation impose de tuer des nouveaux-nés. L’agriculture est dominante, la civilisation est en marche.
Brusque césure dans l’ouvrage. Après ces centaines de pages de déambulations fantastiques à travers le passé lointain de notre Terre, et ses errements magnifiques, Baxter nous projette subitement en 482 après Jésus-Christ, en plein chaos, juste après la chute de l’Empire romain. Le Germain Odoacre règne sur l’Italie. Et l’on assiste au meurtre d’un vieil érudit romain, qui avait découvert les ossements de Vieil Homme : tout continue, la violence aussi... Seconde césure brusque de Baxter, pour l’un des passages les plus impressionnants du roman. « Date et lieu inconnus » écrit-il. On assiste au réveil de quelques soldats du futur, après leur décongélation. Il semble y avoir eu une erreur de programmation, et ils ignorent tout. Où sont-ils ? Et, surtout, quand sont-il ? La guerre est-elle finie ? Ils voient une forêt étrange. Puis une ville abandonnée, fantômatique. Quelques animaux, mais pas d’hommes à part un peuple velu. Ils ont été oubliés, et n’ont jamais été réveillés. Seul un accident les a amenés là. Où et quand ? Ils ne le sauront jamais.
Dernier bond dans le temps, fameux celui-là : 30.000.000 d’années après notre ère, pour le finale grandiose de cette épopée qui ne l’est pas moins. Monde de la dernière ’héroïne’ : Souvenir, légèrement poilue, vit dans l’une de ces forêts qui dominent la planète. Le sol est peuple de cochons et surtout de rats, des souris-raptors Après la chute de l’homme, comme le constate sèchement Baxter, les continents ont continué de dériver et la Terre est changée.
500.000.000 d’années après Jésus-Christ : vision finale. Ultima la bien-nommée, est un ’monticule de fourrure orangée’ vivant sur un supercontinent rouge. « La terre pleurait de solitude ». Elle vit dans l’Arbre qui la nourrit. On pense à cette Terre décrite par H.G.Wells à la fin de La Machine à explorer le Temps ou à ces nouvelles effroyables de John W. Campbell, Crépuscule ou Le Ciel est mort. Mais Baxter ne serait pas Baxter si il ne conservait pas toujours l’étincelle, cette étincelle qui fera toujours croire à l’évolution, même totalement autre.
Un ouvrage majeur, d’une puissance d’évocation inimaginable, qui possède une grandeur et un souffle rarissime, en tous points dignes de Stapledon. On en sort haletant, suffoqué, épuisé, surpris, épanoui, enrichi, émerveillé surtout.
Stephen BAXTER,
Traduction Dominique Haas et David Camus
Illustrations d’Eric Scala
Evolution 1, Presses de la Cité, 2005, Pocket n° 5925, 456 p., 8,35 €
Evolution 2, Presses de la Cité, 2005, Pocket n° 5970, 546 p., 9,40 €