Femmes de sang, Histoires de goules
Jacques Finné, le distingué anthologiste et préfacier, déplore le peu de place accordé à la goule par rapport à ses collègues vampires, loups-garous ou fantômes. Il n’a pas tort. La goule fait un peu effet de parent pauvre des monstres fantastiques, « gagne-petit, solitaire, mal-aimée ». A-t-on peur des morts ? Mais le zombi est mort aussi et connaît un beau succès. Avec une pointe de masochisme, il conclut : « La goule est le souillon de la littérature fantastique », mais salue au passage Lovecraft, qui dans le cycle des contrées du rêve, rencontrera beaucoup de goules – et même un humain devenu goule (le peintre Pickman) –, et cite ensuite d’autres auteurs connus (C. A. Smith, Gaston Compère, Jean Ray) ou moins connus – Robert Barbour Johnson, Joe R. Lansdale, Brian Keene, James Loscombe. On le sent maître de son sujet et, par ailleurs, l’anthologie accompagne un essai complet sur le genre, intitulé L’univers de goules, paru en mai chez le même éditeur.
L’anthologie compte huit nouvelles, chaque fois joliment introduites. Finné le dira souvent, la goule est d’origine orientale. Il est donc naturel qu’il commence son recueil par deux récits tirés des Mille et une nuits, et dans deux traductions différentes, celle, élégante, de Galland (1712), puis celle, plus corsée, de Mardrus (1904). Chez Galland, dans L’histoire de Sidi Nouman, on fera connaissance de l’héroïne : la goule est féminine, elle tue, elle est nécrophile et nécrophage, mais aussi magicienne. Le texte Mardrus, L’honneur du Ghoul, très amusant et féerique, témoigne d’un art narratif supérieur.
Suivent deux nouvelles classiques encore, l’une de E. T. A. Hoffmann, Hyènes, fort connue, mais sous le titre erroné de La jeune vampire, et l’autre de Maupassant, L’inconnue, qui n’a qu’un rapport problématique avec le thème (la femme mystérieuse est-elle une goule ?). Les quatre derniers textes retenus sont modernes et, pour les deux premiers, d’excellente facture. Amina, d’Edward Lucas White (1906), conte la découverte d’une goule et... de ses dix petits. On se préoccupe donc de la descendance du monstre ! Jacques Finné a rencontré l’auteur suivant, Seymour Brillioth, puis l’a perdu de vue. Reste cette nouvelle à la mode des Mille et une nuits, Emina, Zibeddé et l’aubergiste, qu’il a bien traduite, en respectant le style des trois intervenants : une jeune femme émancipée, un aubergiste un peu vulgaire et un cadi, donc un fonctionnaire. Le texte est un peu osé (les trois protagonistes sont lesbiennes), la fin est très gore, mais on s’amuse bien.
Ce qui sera moins le cas des deux derniers récits, décevants. Léonora, de l’Américain très inconnu Jon Craig (1992), traduite aussi par Finné, est vulgaire. Le Belge Gaston Compère, grand mélomane et auteur de fresques historiques, livre, avec Chacun à son goût, une nouvelle complexe, remplie d’allusions précises à sa vie d’enseignant d’athénée, allusions qui échappent complètement au lecteur. Mais la goule, ici, est présentée dans un texte humoristico-satirique, ce qui est rare.
Le livre se referme sur l’imposante postface de Finné, Goule, ma pauvre goule..., synthèse de son essai.
Femmes de sang, Histoires de goules, anthologie établie, présentée & postfacée par Jacques Finné, Éditions Terre de Brume 2017, couv. d’E. Munch, 220 p., 18 euros.
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