Visqueuse

Dans un petit village du Doubs, dans les années 30. Arsène, propriétaire d’une fruitière, homme rustre et violent, vit avec sa femme soumise, Micheline, et sa fille handicapée Huguette, passionnée de cinéma d’horreur. Lors d’une séance de pêche dans un étang, il capture une créature hybride, mi femme mi poisson, qu’il prend aussitôt pour la Vouivre. Arsène l’enferme dans sa cave après lui avoir volé le bijou qui lui ceint le front. Jaloux de sa découverte, il en fait sa chose, son jouet sexuel, jusqu’à en devenir fou. Le passage d’un cirque freak au village lui fait prendre conscience de la nature même de sa captive. Il la cède à un propriétaire de parc aquatique, avant que la « Vouivre », devenue « sirène », ne soit recueillie par une religieuse naturaliste, la sœur Louise Simone. Celle-ci se met en tête de découvrir l’origine de la sirène…

Après avoir révisité le mythe des vampires à grands coups de balai (imprégné d’eau bénite cela va de soit), Morgane Caussarieu poursuit sa relecture des créatures mythologiques en s’attaquant cette fois à une légende bien française, celle de la Vouivre. Mais considérer Visqueuse comme un simple roman d’horreur ou de fantastique serait une erreur. L’auteur tisse surtout un formidable drame humain avec comme toile de fond l’acceptation de soi et de ses différences. La sirène, baptisée Mélusine par la sœur, est déchirée entre sa condition initiale de « monstre » vivant au milieu des siens tous chargés de lourdes tares et son envie désespérée de trouver sa place parmi les « autres ». Inculte mais non idiote, elle s’attache aux personnes qui l’entourent comme en réponse à son besoin irrésistible de progresser, de parler, de les comprendre. Elle trouve ainsi une écoute en la personne de la jeune Huguette surnommé la boiteuse et qui se sent rejetée par tous en raison de son infirmité. Et si la sœur Louise Simone lui fait découvrir le monde, l’initie aux lettres, aux arts, à la musique, elle comprendra malheureusement qu’elle reste une créature à part, un sujet tout à la fois de fascination et de répulsion, jusqu’à sa décision ultime…

J’avais apprécié la plume de Morgane Caussarieu dans le roman Dans tes veines, avec une histoire violente, crue, très cinématographique et sans concession. Ici, l’écriture est toujours aussi visuelle, certains passages sont très violents, mais c’est aussi un extraordinaire roman chargé d’humanité, de beauté et de laideur, de joie et de tristesse. Visqueuse vous prend aux tripes dès le départ et ne vous lâche plus. On en ressort sonné à la dernière page. Le signe d’une grande auteure, et d’un grand roman.

Je remercie les éditions Au Diable Vauvert pour la confiance qu’ils me renouvèlent chaque fois.

 Morgane Caussarieu - Visqueuse - Éditions Au Diable Vauvert - octobre 2024, 22€