Un regard en arrière

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Ce roman est une des nombreuses utopies d'anticipation que, même si l'étymologie pourrait nous y pousser, on ne peut qualifier d'uchronies, même quand la date proposée a été dépassée sans réalisation des « prédictions » du roman. Et même si la quatrième de couverture voit, non sans que les expériences récentes le justifient, un relent totalitaire dans ce rêve d'un État surpuissant mais au service de tous, je pense sincèrement que le risque et le relent sont nettement moins puissants que dans les utopies de Thomas More et de Campanella.

Donc le héros, Julian West, qui s'est endormi sous hypnose en mai 1887, ne se réveille qu'en 2000, à la veille du changement de siècle (apparemment Bellamy n'est pas tombé dans le piège courant et considère correctement 2000 comme faisant partie du vingtième siècle). Lui, qui faisait partie des rentiers capitalistes et donc opposés à tout changement de l'ordre social, va découvrir avec surprise, mais avec une volonté surprenante d'acceptation, une ouverture à la réalité constatée, pour le moins exceptionnelle, comment le monde de 2000 a réalisé l'égalité et la fraternité impossibles dans le climat concurrentiel du capitalisme, par l'absorption par un État parfait des monstres économiques qu'étaient les sociétés capitalistiques.

Sur les déclarations du Dr Leete, l'hôte qui a recueilli Julian, sur les succès que remporterait une société de collaboration et de création là où la société de prédation, d'individualisme et de concurrence accumule échecs et crises, il serait difficile de les récuser autrement que par le constat de l'impossibilité de la mise en place initiale d'une telle société sans une longue période de transition et d'adaptation ; société, on l'a vu dans l'expérience communiste, qui s'accompagne d'une période totalitaire dont la base théorique et l'existence font disparaître le but. On ne réalisera pas le socialisme par le capitalisme poussé à l'extrême de l'État totalitaire. La société proposée ne saurait naître ainsi. Et encore moins atteindre cette stabilité et cette acceptation générale que propose le roman. Mais cette discussion n’empêche bien sûr pas de l’apprécier sur le plan imaginaire…

Non sans constater que, alors même que le roman prétend apporter la description du monde disparu à ceux qui sont nés dans ce monde ultérieur, ce pari-là, en fait trop difficile, n'est pas tenu. Nous suivons la découverte du monde futur par le héros, pas l'explication aux gens de 2000 du monde ancien annoncée dans la « préface de l'auteur ». Il est vrai que cette explication ne nous aurait rien appris sur notre monde et encore moins sur celui du futur que l'auteur supposé n'aurait pas eu besoin d'expliquer à ceux qui y vivent... L'inversion des points de vue annoncée dans le titre et le chapitre de « préface » n'a pas lieu, heureusement pour nous.

Un apparent retournement dans lequel le narrateur se croit revenu au dix-neuvième siècle et ne peut qu’en re-constater l’horreur, n’est en fait qu’une péripétie. La fin du roman annonce avec optimisme que le passage du paradigme de compétition et d’individualisme du dix-neuvième siècle (et aussi, hélas, des siècles suivants dans la réalité) au paradigme de coopération qui a, un court moment, entre 1950 et 1970, semblé se développer dans notre monde, a eu lieu et que le héros n’est qu’un témoin, et honteux d’en avoir fait partie, de ce monde disparu.

Au lecteur de se demander si ce changement est possible et comment y aider, si cela est encore envisageable.

 

Un regard en arrière par Edward Bellamy, traduction de Francis Guévremont, préface de Manuel Cervera-Marzal

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