Tour du Freux (La)
Peut-on classer en fantasy ce roman d’un monde ancien, habité par des « dieux » animistes plus ou moins grands, qui auraient succédé à d’Anciens Dieux dignes de mondes lovecraftiens ? Où les pouvoirs de ces dieux reposent sur l’énergie que leur fournissent prières et sacrifices et où les dits dieux doivent gérer leur dépense d’énergie et ne peuvent réaliser leur volonté que de la façon la moins coûteuse possible ?
Le narrateur du récit n’est pas le héros humain, Eolo, soldat de sexe indéterminé au service de l’Héritier du Bail, Mawat, mais un de ces dieux, qui va nous expliquer le monde dans lequel il vit tout en racontant l’histoire d’Eolo, et ce qu’est le Bail du Freux, serviteur d’un dieu Freux, capable de s’incarner en oiseau. Nous découvrirons le monde, dont la carte sous aura fait penser, d’abord, à l’Afrique du Nord et au détroit de Gibraltar. Mais le pays d’Iradène n’est pas le semi-désert de notre monde, mais l’abord de la grande Forêt des Silences dont le Dieu protège l’Iradène. Mais c’est le Freux, installé dans sa Tour à côté de la ville de Vastaï, au sud du détroit, qui incarne cette protection et qui, longtemps avant, a assuré la conquête d’Ard Vusktia, le grand port au nord du détroit, désormais tributaire de Vastaï. Et le Freux, incarné dans un Instrument, associé à un Bail, humain qui dirige V et qui doit se sacrifier à la mort de l’Instrument pour que le dieu puisse se réincarner dans l’oiseau suivant, dirige Vastaï. Mais voilà que l’Instrument est mort, le Bail a disparu sans se sacrifier et son frère a pris sa place, usurpant le trône qui devait revenir à Mawat, l’Héritier désigné.
Eolo va essayer de percer ce mystère, sous les yeux du dieu narrateur, incarné dans une pierre, qui nous raconte au fur et à mesure toute l’histoire passée de ce monde en général, de l’Iradène, de Vastaï et d’Ard Vusktia en particulier...
Si la science-fiction est, en général, une sorte de réification, de présentation concrète de la métaphysique « occidentale », gréco-latine et chrétienne, ce roman est basé sur la métaphysique animiste africaine. Mais il est, à mon avis, le pendant de la SF plutôt qu’une forme de fantasy. Et le choix comme narrateur d’un dieu secondaire impliqué dans l’affaire accroît le caractère plus proche de la spéculation rationnelle que de la théogonie habituelle de la fantasy. Intégrer une spéculation théologique est bien l’un des rôles de la SF et Ann Leckie n’y manque pas.
L’intervention, à plusieurs moments du récit, du caractère non binaire du héros (qui tient néanmoins à être qualifié homme) nous rappelle qu’Ann Leckie tient, aussi, à combattre le sexisme dans toute son œuvre.
La tour du Freux d’Ann Leckie, traduit par Patrick Marcel, J’Ai Lu, Nouveaux Millénaires, 2020, 412 p., couverture de Deshaff et Liu Jishan, 21€, ISBN 978-2-290-22526-4