Mémoires d'Élizabeth Frankenstein (Les)

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S’attaquer à l’oeuvre de Mary Shelley et prétendre lui rajouter un complément intéressant était un défi gigantesque que Théodore Roszak a relevé avec brio. Non seulement le nouveau point de vue qu’il nous offre est cohérent et intéressant, assez différent de celui du roman originel sans être totalement contradictoire avec celui-ci (nous en reparlerons). Mais de plus il est écrit dans une langue et avec des formulations qui auraient parfaitement pu être celles des deux narrateurs, Walton - qui se fait l’historien de la famille Frankenstein après avoir été l’interlocuteur de Victor et le narrateur du roman originel, et dont le style est conforme à celui d’un savant du XIXe siècle, avec ses commentaires d’une certaine moralité -, et Élizabeth Frankenstein dont les mémoires auraient, s’ils avaient été écrits en français (bravo à la traductrice car la langue ne comporte pas, à première vue, d’anachronisme), eu cette forme. Pour une fois, je ne regrette pas trop de ne pas avoir lu le livre en version originale (qui, en fait, aurait été partiellement une « traduction »).

Ceci étant, quand je disais que le point de vue adopté n’est pas totalement contradictoire... l’héroïne et narratrice a été initiée par la mère de Victor, qui veut réaliser un mariage alchimique entre ses deux enfants, le fils naturel et la fille adoptive, à ce qui est une fusion plus ou moins réussie de la tradition alchimique, du « savoir » des sorcières présenté sous la forme « new age » adoptée par la « religion » wiccane, et de livres de référence plus ou moins imaginaires dans la tradition lovecraftienne, un « Livre de la Rose » démarqué du Cantique des Cantiques, qui mélange amour et foi, et un livre de recettes alchimiques basé sur le Kama Sutra. Bien entendu, Victor finira par renier cet enseignement (non sans qu’une expérience mal menée ait abouti au viol de sa « soeur » et à une fausse couche) et entreprendre des études « modernes » auprès des professeurs de physique, de chimie et de biologie d’Ingolstadt, à la suite desquelles il créera son « monstre »... Et on retrouve, racontée par Élizabeth jusqu’à sa mort le jour de son mariage, l’histoire déjà connue.

D’un côté, accentuer la recherche du point de vue d’une femme sur l’histoire du « Prométhée moderne » et développer le personnage d’ Élizabeth Frankenstein, dont Roszak rappelle qu’elle devait représenter Mary Shelley, est une excellente idée. De même que Mary Wollstonecraft, représentée dans les mémoires par Caroline Frankenstein la mère de Victor et mère adoptive d’Élizabeth , nous parle, mais aucune des deux Mary n’aurait eu que le plus profond mépris pour la « sorcellerie » et pour l’alchimie. Du coup les idées féministes que la mère et la fille ont défendues sont un peu noyées dans ce rajout d’alchimie new age... phénomène d’une mode qui est déjà en train de passer aux USA.

Si on passe sur cet arrière-plan philosophique, il reste néanmoins un livre fort intéressant, une nouvelle façon de lire l’aventure de Victor Frankenstein et, aussi, car il vient défendre sa cause, celle d’Adam, la créature trahie par son créateur. Un livre bien écrit, bien traduit, passionnant... et qui, à cause de ce défaut énorme (aux yeux des éditeurs français), a attendu 15 ans avant d’être disponible chez nous...

Les mémoires d’Élizabeth Frankenstein, par Théodore Roszak, traduit par Édith Ochs, Livre de Poche

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