GELUCK Philippe 01
Philippe Geluck enverra-t-il un jour son "Chat" dans l’espace ? C’est peu probable à la lecture de la rencontre qui suit… Depuis 1978, il a les honneurs du petit écran ("Lollipop", "Le jeu des dictionnaires", "Un peu de tout" qui remporte le prix de l’émission la plus drôle à la "Rose d’Or de Montreux"…). Il dessine et expose. En radio, il invente le "Docteur G. répond à vos questions", qui devient un livre. Il rejoint les albums du "Chat". Ce personnage qui fait sa première apparition dans le quotidien "Le Soir" en 1983. Les albums se succèdent sans faiblesse d’inspiration : "Le Retour du Chat", "La Vengeance du Chat", "Le Chat au Congo" chez Casterman.
J.M : Mais la science-fiction dans tout ça ?
P. G. : J’ai préféré Alexandre Dumas à Jules Verne.
J.M. : Dans vos premières lectures, retrouve-t-on les Jules Verne, H.G. Wells, les Henri Vernes ?
P.G. : Pas du tout ! Je n’ai jamais lu un seul Jules Verne. Je n’ai jamais suivi les traces de Bob Morane. Quand j’ai commencé à lire des romans d’aventures, c’était – après l’inévitable "Club des Cinq" – Alexandre Dumas, puis Boris Vian, dont je trouvais l’univers poético-surréaliste et humoristique fort intéressant.
J.M. : Même pas dans la bande dessinée, qui est proche de votre domaine ?
P.G. : Non ! Je n’ai pas lu "SOS Météores" ou "Le secret de l’Espadon" de E.P. Jacobs. En réalité, ce monde futur rempli de machines ne m’intéresse pas. C’était ça, la S.F. de l’époque : la technique et la machine dominant le monde des mondes… Moi, je suis quelqu’un de concret. Je garde les pieds sur terre.
J.M. : Et Hergé ? Tout de même "Objectif Lune" et "On a marché sur la Lune , ce n’est pas rien ?
P.G. : C’est vrai. Mais disons que dans le cas de Hergé, son talent m’a sans doute entraîné malgré moi dans la lecture. J’ai suivi Tintin. Bizarrement, j’ai suivi des personnages qui étaient pour moi bien réels, des humains. Alors que dans les autres aventures futuristes, je devais faire confiance à l’inconnu.
J.M. : Vous avez eu un premier contact avec ce monde-là, même s’il ne vous attirait pas ?
P.G. : Le seul voyage dans le futur que j’ai eu enfant, ce fut par le biais d’une encyclopédie. Vous voyez comme je me sens à nouveau très concret. C’est une encyclopédie à destination des jeunes, et dont j’ai perdu la trace. Il y avait toute l’imagerie possible de l’an 2000. Comment on se déplacerait, comment on se nourrirait, comment on vivrait… Ce que je trouve rigolo dans ce genre d’ouvrages, c’est que personne ne compare avec la réalité. Car enfin, l’an 2000 on y est, donc on pourrait voir ce qui était juste et ce qui ne l’était pas. La science-fiction, d’après ce que j’en sais, se déroule souvent dans un avenir assez proche. On peut donc vérifier si les projections sont exactes, si tout ça n’est pas vite dépassé ?
J.M. : Mais vous avez peut-être lu de la S.-F. qui n’est pas technique, scientifique… tout simplement une histoire qui se passe plus tard… ?
P.G. : Oui. Je pense à "Malevil" de Robert Merle. C’est même un des livres qui m’a le plus marqué. Mais c’est très invraisemblable. Cela nous touche, c’est très humain. Est-ce à classer dans cette catégorie ? Moi, je n’aime pas trop les étiquettes. Pascale Fonteneau ("La puissance du désordre") nous expliquait en émission tout le mal qu’il y avait à classer les romans policiers, noirs, thrillers, etc. Je ne collectionne pas. Même les romans de mon ami Frédéric Dard, qui me passionne, je ne les ai pas tous…
J.M. : Je sais que vous êtes un amateur de cinéma. Vous suivez cette actualité. Alors, de ce côté-là non plus, pas d’engouement pour les films de S.-F. ?
P.G. : Puisqu’on parle de cinéma, je reviens sur "Malevil" pour ajouter que j’ai détesté l’adaptation cinématographique, qui ne rendait pas du tout l’ambiance du livre. Mais enfin, c’est très souvent le cas, à de rares exceptions près. Même chose pour "La soupe aux choux". Vous mettriez ça dans la "science-fiction" ? L’adaptation était nulle. Et quand j’y ai repensé, je me suis fait la remarque que le point commun entre les deux, et qui me gênait, c’était l’acteur Jacques Villeret…
J.M. : "2001 Odyssée de l’espace", classique du cinéma tout court, vous avez apprécié ?
P.G. : Le film m’a "gonflé". C’est à un point tel qu’au début du film, lorsque les singes entourent ce grand parallélépipède et que la musique du film (omniprésente) monte en intensité, j’ai cru que cet objet était un grand baffle musical. Et je me demandais ce qu’il faisait là. Non, à cette époque, j’étais déjà admirateur de Woody Allen et des Monthy Python. Un film comme "La planète des singes", je n’ai jamais eu envie de le voir. J’en ai vu évidemment des extraits. Même chose pour la "Guerre des étoiles". Je pense que c’est plus le cinéma américain qui m’ennuie. Les Américains simplifient tout à l’extrême. Et la S.-F. favorise ce manichéisme : les bons et les méchants, avant et après une guerre nucléaire. Cette symbolique est fausse, trop "taillée à la machette"…
J.M. : Il existe des séries télévisées "cultes" qui évoluent dans le monde de la S.-F. "Star Trek", "Les Envahisseurs" jusqu’à "X-Files". Vous les connaissez ?
P.G. : Je lisais l’interview de Juliette Binoche où elle disait qu’elle ne reconnaîtrait pas ces acteurs si elle les croisait dans la rue. Le journaliste l’accusait de snobisme. Eh bien, je suis dans le même cas. Cette série, comme les autres, ne m’attire pas. Je dois vous dire que durant toute mon adolescence nous n’avions pas de poste de télévision à la maison, donc toute cette culture-là, je ne la possède pas. Il y a aussi un aspect esthétique en télévision, comme au cinéma d’ailleurs ; je trouve laids les décors, les costumes et tout ce qu’on invente dans le domaine.
J.M. : De temps en temps, l’humour…
P.G. : Justement, je trouve que l’humour n’est pas présent dans la S.-F. Dans ces histoires, la vie me paraît assez monotone, ennuyeuse. Le rire est rare car il naît de l’échec, de la difficulté, d’un truc qui foire ! Je pense que la S.-F. se prend au sérieux. L’autre jour, je vois mes enfants et quelques-uns de leurs amis regarder un film vidéo de science-fiction. Cela n’en finissait pas. Je passais et repassais près d’eux et l’histoire n’avait pas l’air d’avancer beaucoup… Après un certain temps, je le leur dis et je demande quel est le titre du film. Ils me répondent : "Histoire sans fin".
J.M. : Autre chose, le monde de la science-fiction c’est un peu celui de la liberté. L’auteur a tous les choix, tout est possible… C’est formidable pour un créateur !
P.G. : Moi, j’aime les contraintes. Dans tout, d’ailleurs. Les limites permettent de rebondir pour les dépasser. Les tabous sont en place pour les transgresser. C’est ça l’intérêt. Dans la liberté, le mouvement est mou, nous entraîne n’importe où. Je trouve cette liberté de création insupportable. On trouve le bonheur parce que le malheur existe, sinon comment le saurait-on ?
J.M. : Rien n’a grâce à vos yeux ? Et le premier pas de l’homme sur la lune, et la découverte de Mars… ?
P.G. : Mais cela, c’est la réalité, ce n’est pas de la science-fiction ! Ce sont les hommes qui évoluent dans la vie.
J.M. : Vous avez inventé, dans une définition du "Jeu des Dictionnaires", une machine à remonter le temps…
P.G. : La "Résingle" ? C’est autre chose. À la base, c’est une vision humoristique. Ce sont des gens d’aujourd’hui que j’envoie soit vers le passé, soit vers le futur – parfois proche comme le lendemain. C’est concret, c’est ma culture. Ce sont des variations sur ce que j’aime et que je connais. Le reste est hasardeux, c’est de la prospective.
J.M. : Peu de chances donc de voir "Le Chat" en spationaute ?
P.G. : En effet, mais ce n’est pas impossible… Il en a tant vu, "Le Chat" !