Nouvelles belges à l’usage de tous

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Après Littérature belge d’aujourd’hui, recueil d’articles critiques de Jacques De Decker, chroniqué récemment, Espace Nord poursuit son offensive en passant cette fois au rayon fictionnel. Voici, proposé par un spécialiste, auteur de nombreuses études sur le genre, un aperçu de la nouvelle belge, des origines à nos jours. Les dix premiers auteurs font un peu figure de « Grands Anciens », de Camille Lemonnier à Jean Ray en passant par Rodenbach, Rosny Aîné, Hellens ou Owen. Quant aux seize auteurs suivants, ils se partagent entre modernes (Sternberg, Mariën, Thiry) et contemporains (Engel, Ancion, Lambert), entre célébrités (Thinès, Rolin, Nothomb) et plus reclus (Burniaux, Pierson-Piérard, Colaux, Deschepper). En tout vingt-six écrivains, tous intéressants et talentueux.

 

Chaque nouvelle est précédée d’une phrase la résumant et d’un bref extrait significatif. Un bémol quand même à l’édition : l’absence totale de biographies, cruelle pour les quelques auteurs peu ou pas connus. L’ordre est chronologique, à partir de ce bon vieux Camille Lemonnier, le « Zola belge », et ses Concubins (1886), récit sordide et misérabiliste, au  style gras, fermier, bien typique d’un auteur ayant publié des contes flamands et wallons.

 

Tous ces écrivains du passé se distinguent par un souci stylistique poussé, que l’on rencontrera moins plus tard : Delattre, Rodenbach, Rosny Aîné (L’assassin surnaturel) ou de Ghelderode (Sortilèges, véritable poème en prose). Quelques auteurs plus récents, quand même, sauvent la mise : Marcel Thiry, adorateur de nuques (Belle de nuque), Colette Nys-Mazure (le poétique Moi qui pâlis au nom de l’Alpha) ou Catherine Deschepper avec Zoé, nouvelle de 2015, à propos d’une fille qui n’aime pas la musique classique. Mais, on le sait, la Belgique est terre surréaliste. Pour preuve, Drame, une curieuse pièce d’André Baillon, en trois actes et douze pages, dans laquelle les didascalies prennent plus d’importance que le texte même. L’enterrement de monsieur Untel, de Constant Burniaux, n’est pas en reste d’originalité – car, qui est M. Untel ? –  tout comme l’horrifique Le goût de l’argent de Marcel Mariën : si vous voulez hériter de l’immense fortune du défunt industriel M. Van Luppen, il vous faudra... le manger. Georges Thinès, lui, suit les aventures nocturnes d’une gargouille, dans L’homme troué.

 

N’ayez crainte, le recueil contient aussi des nouvelles qui s’éloignent de l’imaginaire pur pour rejoindre la littérature générale ;  certaines sont remarquables. Madeleine Pierson-Piérard, par exemple, relate, avec un souci du détail piquant, un moment de la vie d’un suicidaire dans La dernière journée, Dominique Rolin, elle, décrit la cruelle expérience d’une jeune fille qui a crû être amoureuse d’un jeune Américain et qui, arrivée là-bas, déchante (Mademoiselle de Paris). Autres fantasmes, ceux d’un homme qui en voit disparaître un autre dans les toilettes d’un café, et qui ne revient pas (Rose Greenwich, de Grégoire Polet), ou ceux d’un quidam qui, par le plus terrible des hasards, se nomme... Marc Dutroux (Le grand méchant Marc, de Nicolas Ancion).

Terminons avec le sourire. Celui d’Amélie Nothomb qui nous conte la fable du prince qui voulait épouser une femme laide (Légende peut-être un peu chinoise). Ou celui d’Yves Wellens qui, dans In tempore semper suspecto, s’amuse : un séisme, le long de la frontière linguistique belge, a des conséquences bien singulières.

 

Comme le dit René Godenne dans sa postface, il a voulu donner à lire « des textes  incontournables, des grands textes, des bons textes ». L’intention est parfaitement réalisée, pour le plus agréable plaisir du lecteur.

 

Nouvelles belges à l’usage de tous, choisies par René Godenne, Espace Nord 2015, ISBN 978-2-87568-058-7,  446 p., 9,50 euros.

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