Moineau de Dieu (Le)

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J’ai lu ce livre et sa suite encore non traduite Children of God il y a déjà dix ans, puisqu’il est paru en 1996. Il imagine la découverte d’une civilisation extra-terrestre par le programme SETI, une tentative de premier contact avec cette civilisation et les conséquences que l’échec de ce contact va provoquer. Du point de vue humain dans le premier volume, le seul traduit pour l’instant, mais le second raconte comment la civilisation de Rakhat, car tel est le nom de cette planète, sera chamboulée par la venue des terriens.

 

L’essentiel du roman, en dehors de la catastrophe finale que le lecteur découvrira peu à peu à travers le récit du seul survivant de la première expédition, est la découverte de cette civilisation qui unit deux espèces, les Runa et les Ja’anataa, l’une herbivore et l’autre carnivore, de la planète. La première vit dans des villages qu’on ne saurait qualifier d’agricoles puisqu’ils cueillent, mais ne cultivent pas, et la seconde dans des villes, assurant les parts d’organisation de la vie commune : gouvernement, police, industrie.

 

Bien que venus rechercher les auteurs d’émissions musicales, c’est-à-dire les rares artistes Jana’ataa, c’est avec les Runa que les premiers explorateurs, un groupe de plusieurs jésuites et quelques savants associés à l’expédition, vont prendre contact et dont ils vont découvrir la vie paisible, mais sans vraiment comprendre comment cette vie est contrôlée par les Jana’ataa. Leur présence, et leur influence, va remettre en cause les bases mêmes de l’existence des deux espèces.

 

Le système de cohabitation des deux espèces et la civilisation qui en découle sont très bien décrits et imaginés d’une manière tout à fait cohérente et crédible par l’auteur, anthropologue. Sur ce plan, comme sur d’autres, le livre se situe au niveau des meilleures œuvres d’Ursula Kroeber Le Guin ou de Carolyn Janice Cherryh.

 

Le deuxième sujet du livre est d’imaginer que, devant cette nouvelle découverte d’un Nouveau Monde, la Compagnie de Jésus serait, comme au seizième siècle, en première ligne. Et, tandis que les autorités politiques débattent de la réaction à donner à la découverte des émissions radio venues du système d’Alpha du Centaure, la Compagnie de Jésus organise tout de suite l’envoi d’un vaisseau d’exploration qui comportera 8 personnes, avec quatre jésuites dont l’un, le père Emilio Sandoz, a participé à la découverte par un astronome d’Arecibo des émissions en cause et les trois autres, savants ou médecins, sont associés à celle-ci. C’est donc le destin de ces huit personnages,  surtout celui du seul qui reviendra, Emilio Sandoz, et l’évolution de ses idées et de sa foi, qui constituent le deuxième thème du livre. Comment la Compagnie de Jésus devra réagir à ce retour, alors que Sandoz, d’après le rapport transmis par la deuxième expédition envoyée par les Nations Unies trois ans après celle de la Compagnie, apparaît comme un traitre, voire un monstre. La Compagnie doit tirer au clair ce qui s’est passé, et cela à partir du témoignage que Sandoz ne veut pas donner.

 

La relecture du livre, surtout dix ans plus tard, a amené son content de surprises.

D’abord celles liées au calendrier de l’histoire, supposée commencer en 2019. Parce que le monde de 2019 est assez loin de celui que nous pouvons envisager deux ans avant cette date, même si certaines des idées proposées se sont réalisées : celles sur l’évolution politique du monde ne sont pas totalement fausses ; la guerre civile turque qui aurait atteint l’une des héroïnes du livre n’a pas eu lieu, mais ce qui s’est passé en Irak et en Syrie pourrait y ressembler. Certaines évolutions techniques, en particulier dans les communications, ne sont pas loin d’avoir été prévues. Par contre l’exploitation spatiale, en particulier celle des astéroïdes, ne semblent plus envisagées avant plusieurs décennies. Et de ce fait l’idée du vaisseau spatial-astéroïde modifié demeure une pure fantaisie.

 

Toujours sur le problème de la réalisation du voyage, on peut se demander quelle quantité d’énergie serait nécessaire pour accélérer un astéroïde jusqu’à 99% de la vitesse de la lumière, avec une accélération de 10m/s² qui équivaudrait à la pesanteur terrestre. De plus, d’après les calculs approximatifs que j’ai faits, il faudrait un an pour cette accélération, année pendant laquelle l’astéroïde aurait parcouru une demi année-lumière. La contraction du temps, qui ne deviendrait sensible qu’à partir d’une fraction suffisante de c, ne réduirait le temps de parcours perçu par les astronautes pendant cette partie du voyage que de façon faible (sans doute deux ou trois mois de gagnés), même si cette contraction serait énorme pendant la partie du voyage faite à 0,99c. En prenant en compte le temps de la décélération, une autre année perçue comme dix mois par les astronautes, le voyage total leur demanderait plus d’un an et demi de vie et non six mois comme le roman l’affirme. Et, à moins d’un trajet qui comporterait un long détour, le voyage demanderait, au total, moins de six ans perçus sur Terre pour atteindre une étoile située à 4,3 AL de la Terre. Or le roman évalue la durée de voyage à 17 ans. Cela paraît beaucoup trop. Mais peut-être le voyage n’est-il pas en ligne droite. Ces détails techniques m’ont un peu dérangé à la relecture, mais sont secondaires.

 

Un autre détail, littéraire, est celui de savoir qui narre le roman. Nous avons, bien sûr, comme souvent, des chapitres qui prennent le point de vue de tel ou tel personnage, en particulier tantôt le point de vue de Sandoz, tantôt celui d’un autre personnage, membre de l’expédition ou enquêteur jésuite confronté à lui après son retour. Plus, une fois, page 372, des remarques de l’auteur qui sont totalement hors de la portée d’aucun des personnages ; ces deux paragraphes m’ont d’autant plus dérangé que ce sont les seuls qui présentent ce défaut. Aux autres moments où une erreur d’interprétation des explorateurs est signalée, la remarque pourrait être attribuée à une réflexion d’un personnage réfléchissant après coup. Celle-ci ne m’a pas paru le pouvoir.

 

Encore un problème de vraisemblance : l’envoi de la mission jésuite a été connu du public un an après leur départ. Il a fallu deux ans de plus au Consortium créé par les Nations Unies pour envoyer sa propre expédition, qui arrive donc trois ans après les héros. Ceux-ci découvrent qu’il ne reste qu’un survivant, Sandoz, et le renvoient vers la Terre. Puis ils cessent d’émettre. Ce qui veut dire que quand Sandoz arrive sur la Terre, transporté par son astéroïde automatisé dont il est le seul passager, cela fait dix-sept ans que la seconde expédition n’envoie plus de nouvelles. Et personne n’a encore envoyé une troisième expédition ? Seule la Compagnie de Jésus en prépare une à envoyer dès qu’elle aura résolu la question Sandoz ?

 

C’est sans doute parce que ce roman s’approche trop de la perfection que je me sens obligé d’insister sur des défauts mineurs. Mais ne nous y trompons pas : sur les deux sujets majeurs, imaginer un premier contact possible avec une civilisation totalement différente et imaginer les problèmes théologiques et moraux d’un penseur jésuite confronté à une telle réalité, ce roman reste un chef-d’œuvre. Et le second, plus ethnologique (avec une ethnologie différente) et historique, aussi.

 

Comme Emilio Sandoz qui, à la fin du roman, commence à admettre qu’il devra retourner sur Rakhat, je crois que les lecteurs, prévenus de l’existence de cette seconde partie de l’histoire, l’attendent avec impatience. J’espère que le succès que mérite ce livre en permettra la traduction, à laquelle je m’attaquerai si besoin est.

 

Le moineau de Dieu, par Mary Doria Russel, traduit par Béatrice Vierne, Actu SF, 2017,  463 p., couverture de Fredrik Rattzen, 19€, ISBN 978-2-36629-844-4

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