Lord Stranleigh, philanthrope

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La collection Baskerville de chez Rivière Blanche s’évertue depuis quelques années à déterrer les merveilles de la littérature anglaise du début du XXe siècle. J’avais chroniqué ici les excellentes Aventures d’Aristide Pujol ; il me semble que celle de Judith Marsh font grand bruit par ailleurs. En ce qui me concerne, je m’attaque aujourd’hui à celles de Lord Stranleigh.

Lord Stranleigh, philanthrope, est donc le quatrième volume d’une série de livres mettant en scène un jeune Anglais multimillionnaire, « plus riche que la famille royale elle-même ». Publié initialement en épisodes dans des périodiques anglais, autour des années 1910, il se dévore comme une friandise acidulée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Là où certains des volumes précédents sont des romans, d’autres sont présentés comme des recueils de nouvelles, chaque tome pouvant se lire indépendamment des autres (tout comme pour les histoires de Conan Doyle mettant en scène Sherlock Holmes, par exemple).

Celui-ci possède la particularité d’être à mi-chemin entre les deux. Ce format pour le moins surprenant possède l’avantage de nous permettre de prendre le temps de faire connaissance avec le personnage central, un jeune Lord insouciant, et qui voudrait bien ne pas tant l’être, et avec l’univers dans lequel il évolue, la plume tranquille et astucieuse de Robert Barr nous guidant à travers ses aventures pas toujours aussi innocentes qu’il n’y paraît. On y croise, au débotté, des personnages récurrents et d’autres plus ponctuels, qui sortent et entrent comme sur la scène d’un vaudeville, empruntant chacun sa propre trajectoire et entretenant avec le Lord des relations toutes particulières. Car c’est là l’une des grandes qualités de Robert Barr, qui place en son héros des qualités de patience, de malice et de tolérance telles qu’il parvient, au détour d’une péripétie ou d’une réflexion, à mettre en évidence avec un rare brio la complexité des relations humaines – toujours en s’amusant et avec cet indéfectible flegme que l’on prête si volontiers aux sujets de Sa Majesté. Une perspective surprenante qui, au fil des pages, donne sens et piquant à des histoires que, pour n’être pas non plus ennuyeuses, le lecteur par trop attaché à ses sacro-saints « schéma narratifs » et autres « twists finaux » pourrait par ailleurs qualifier d’inachevées. Cela n’a pourtant rien à voir avec de la maladresse ou de la fantaisie gratuite : Barr fait appel à notre perspicacité, et c’est aussi bien.

Car sa méthode s’avère payante. Peu à peu, sans que l’on y prenne garde, une véritable trame s’installe et on la suit avec le même plaisir et la même insouciance que notre Lord s’y adonne lui-même. Et surtout, l’auteur y dévoile ses intentions, pour terminer sur ce qui s’apparenterait presque à un roman à thèse – bien que, par modestie ou par prudence, il ait la sagesse de ne jamais donner de réponse définitive aux questions qu’il pose. Voilà le terme, en fait : Lord Stranleigh, philanthrope, est un roman-question. Ladite question pouvant se formuler ainsi : dans tous les coins du monde (et de l’Angleterre), nous passons notre temps à commenter les décisions des grands et des moins grands de ce monde, nous indignant face à leur sournoiserie et nous élevant en chantres du bon sens et de la bienveillance ; mais que ferions-nous, en vérité, si la providence voulait bien vous accorder quelque dispensable et inépuisable fortune, pour améliorer les choses ? Comment s’y prendre, par où commencer ?

C’est bien là le projet auquel s’attelle Lord Stranleigh, avec une réussite souvent mitigée hélas ; le génie de Robert Barr sera de démontrer que les obstacles qui se dressent face à lui ne sont que rarement ceux auxquels il s’attendait et que les deux côtés de la Force sont souvent plus proches que ce que l’on veut bien en croire. Chacun y prendra ce qu’il voudra. Le résultat est une sorte de surprenant traité politico-éthique, mené avec un art de la narration à la fois déconcertant et consommé.

 

Lord Stranleigh, philanthrope par Robert Barr, traduction Jean-Daniel Brèque, Baskerville 26, ISBN-13: 978-1-61227-449-2, 232 pages, Rivière Blanche

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