Cas Alan Turing (Le)
Le dessinateur Eric Liberge et le scénariste Arnaud Delalande nous ont préparé une biographie en bande dessinée d’Alan Turing. Après le film « The Imitation Game » de Mortem Tyldum consacré au mathématicien, qui est inspiré du livre de Andrew Hodges, voici une version qui n’a rien à envier.
Pour beaucoup de personnes, Alan Turing (1912-1954) est considéré comme le père de l’informatique. Mathématicien de génie et cryptographe, il a cassé le code de la machine Enigma développé par les Allemands. Il s’est intéressé à l’intelligence artificielle et a imaginé un test qui porte son nom, qui cherche à savoir si, lors d’une conversation, un interlocuteur est un humain ou une machine.
La bande dessinée ne se limite pas à montrer comment le code Enigma a été cassé par Turing et les mathématiciens qui l’entouraient dans la hutte 8. On suit le génie depuis l’enfance jusqu’au moment où il doit être castré chimiquement. Pour le lecteur qui connait l’histoire, la suite est bien triste puisqu’il s’est suicidé.
Liberge et Delalande nous montrent un Turing perturbé par ses pulsions, par l’image qu’il donne aux autres. Par moment, on le voit comme une victime ou un bouc émissaire, par moment on se demande si c’est un homme ou un monstre insensible. Les deux auteurs sont parvenus à montrer la dualité chez ce génie.
Pour nous raconter cette histoire extraordinaire, les deux auteurs nous proposent une BD de 96 pages. Cela inclut la biographie, mais aussi un supplément sur la guerre cryptographique ainsi qu’une liste de livres de référence consacrés à Turing. Ce livre très complet a le mérite de pouvoir se lire seul, sans devoir lire le livre de Hodges ou voir le film de Tyldum.
Notre monde actuel doit beaucoup à Alan Turing. Les ordinateurs que nous utilisons quotidiennement sont le fruit d’une rapide évolution technologique qui a vu son origine avant et pendant la Seconde Guerre mondiale grâce à Turing. Si l’idée de la structure générale d’un ordinateur vient de Von Neumann, c’est Turing qui a proposé le premier projet d’ordinateur.
La BD se termine sur le suicide d’Alan Turing (qui croque la pomme), mais sur une note positive où Steve Jobs et Steve Wozniak se posent des questions sur le nom et le logo de leur nouvelle entreprise. Le logo d’Apple est un hommage à Alan Turing. Mais on découvre dans cette BD que le mathématicien s’est lui-même inspiré de la pomme empoisonnée de Blanche-Neige et les sept nains.
J’aurais préféré un peu moins de flashbacks dans cette histoire, mais c’est un choix justifié par les auteurs. En fait, c’est excellent. Cette BD tient à la fois de la biographie et du documentaire sur la Seconde Guerre mondiale. Elle aborde les turpitudes d’un génie qui a d’abord travaillé dans l’ombre des services de cryptage anglais. À sa manière, Turing a permis de gagner la Seconde Guerre mondiale. La découverte de son homosexualité à une époque où c’était réprouvé a conduit à une castration chimique puis à son suicide. La reine Elizabeth n’a gracié Turing qu’en 2013.
Le dessin de Liberge est très réaliste. Il aide le lecteur à comprendre comment Turing voit le monde, comment il s’attèle à un problème et le résout. Pas de fioriture dans le dessin qui doit parfois montrer des concepts difficiles pour le lecteur. Mais le dessinateur s’en sort très bien au fil des pages.
Le scénario de Delalande est digne d’un bon film. On suit Turing à des moments différents de son existence. Et les flashbacks sont là pour nous rappeler comment les idées lui sont venues.
Dans l’ensemble, une BD excellente qui mérite de s’intéresser à ce génie qu’était Alan Turing. Des livres de ce genre, il en faudrait plus souvent. J’ai vraiment beaucoup aimé.
Le cas Alan Turing, Eric Liberge & Arnaud Delalande, édition des Arènes, 96 pages, 2015
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