LATOUR Sébastien 01

Auteur / Scénariste: 




A l’occasion de la sortie du tome 2 de Wisher, Phenixweb est parti à la rencontre de son créateur, Sébastien Latour. Mais avant de découvrir cet auteur aux multiples talents, je vous propose une courte présentation de sa bande dessinée.
Bien sûr, pour ceux qui connaissent, vous pouvez attaquer directement la suite ! Pour les autres, Wisher est une bande dessinée à part dans l’univers du Lombard. L’idée commence avec une toute nouvelle collection « Portail » en 2006, qui touche à la Fantasy sous une forme novatrice. Le Cycle d’Ostruce, par exemple, mélange des dragons et des tsars, au cœur d’une Russie uchronique en pleine révolution.

Dans Wisher, nous avons à faire à un jeune trafiquant d’art. Plutôt beau gosse, Nigel copie des toiles de maîtres, les refourgue à de riches mafieux et de temps à autres, il s’accorde une soirée drague en discothèque. Rapidement, il découvre l’existence d’un Djinn qui sommeille en lui et qui menace de se réveiller. Mais plus incroyable encore, Nigel est destiné à devenir le sauveur des féeriques, ces créatures magiques, derniers survivants de leur espèce, qui survivent dans les souterrains de Londres. Face à lui, Nigel combat le MI-10, une section secrète de la police anglaise, dont le seul but est l’extermination totale des féeriques. Nigel doute. Comment les féeriques peuvent-ils exister ? Comment les libérer alors qu’il n’est qu’un simple humain ? C’est alors que le Djinn se manifeste.

A la lecture des tomes 1 et 2, je ne me suis pas ennuyé une minute. Wisher se révèle une BD passionnante, mêlant intelligemment la Fantasy à l’action. Mais trêve de bavardages, laissons parler l’homme de la situation, Sébastien Latour.




Phenixweb : Sébastien Latour, bonjour. Tu es professeur d’anglais, si je ne me trompe. Comment, un jour, un professeur décide-t-il comme ça de faire la bande dessinée ?

Sébastien Latour : Le besoin d’écrire des histoires, dans des univers de fantasy, ça date de l’époque « jeux de rôle » des années 90. J’aime la bd au niveau du format graphique, mais court, concis. Je me suis dit que je pouvais m’exprimer à mon aise dans ce médium. Et puis j’ai passé 4 ans à lire ce qui se faisait, à étudier le scénario, pour trouver des histoires qui n’étaient pas encore écrites, par rapport à mes envies, et pour les écrire de façon correcte.

Ecrire c’est se mettre dans une bulle avec plein de voix dans la tête. Ca fait du bien par rapport aux classes que j’avais.

A quels jeux de rôle jouais-tu ?

Warhammer, Shadowrun, Feng-Shui, Deadlands, un petit Donjons, de temps en temps, évidemment j’écrivais des scénars aussi. Oh et AMBRE ! Où j’ai écrit une campagne dont on a fait deux parties, dont environ 1% du truc (rires). Disons que j’ai appris à susciter l’intérêt d’un groupe de ’lecteurs joueurs’, la gestion du rythme, des transitions, du dialogue... très bonne école le JDR !

Pourquoi Le Lombard plus qu’un éditeur comme Soleil ?

J’avais peur d’être noyé dans le nombre. Alors j’ai envoyé mon scénario à des éditeurs qui n’ont pas (ou peu) de fantastique dans leur catalogue. Je suis bien tombé, à un moment où le Lombard voulait diversifier son catalogue. Et puis De Vita était en attente d’un projet (ce que je ne savais pas, remarque).

Bon plan, en effet. Passons maintenant à ta dernière sortie bd, le tome 2 de Wisher. Comment t’es venu cette histoire d’urban fantasy ?




J’ai trouvé ce genre d’urban fantasy en lisant principalement Neil Gaiman. Je trouvais ça super original (de Neverwhere à American Gods). Ca changeait des jeunes guerriers qui doivent retrouver les 4 morceaux du crystal de Portnawak. Le coté moderne, du merveilleux au coin de la rue, m’a séduit. Et dans le paysage BD, il n’y en avait quasiment pas. Je suis parti d’une opposition classique forces de la magie contre forces de la réalité. J’ai choisi un champion pour chacune. Je me suis dit, pour être réaliste, que les féériques devaient être pratiquement tous exterminés.
Il me fallait une créature puissante pour renverser la balance, j’ai pensé au djinn. Ensuite j’ai cherché une structure "mythologique" et j’ai trouvé Le chemin du héros de Campbell qui m’a donné les étapes de l’aventure. C’est pour ça que les gens qui l’ont bien digéré maintenant (Star wars, Matrix...) sentent quelque chose de familier.
Mais c’est pas parce qu’on a une structure que c’est facile à mettre en place, lol.

Justement, dans Wisher, il y a une cité à sauver, un élu qui doute et se découvre des pouvoirs, un film comme Matrix t’a-t-il influencé ou est-ce uniquement Le chemin du héros de Campbell ?

Uniquement Campbell (et donc toutes les récits à travers le monde du parcours initiatique du héros). Moi, c’est plutôt Star Wars que Matrix qui m’a influencé. L’idée de faire 3 histoires, avec un personnage de plus en plus fort côté mystique.
L’élu doute toujours. Tu douterais pas, to,i si je te disais que tu es le dernier espoir de l’humanité ?

Ouhla, je laisse ça aux héros (rires). L’aventure se passe à Londres. Pourquoi cette ville ? Y es-tu allé ?

Oui, j’y vais une fois par an, avant beaucoup plus. Il y a un mélange d’ancien et de modernité qui me plait. Je m’y sens bien. C’est une grande capitale avec des souterrains datant de l’époque romaine. On se dit facilement que la ville abrite des secrets.

Peux-tu nous parler un peu plus de ces fameux souterrains et de l’imaginaire qu’ils suscitent ?

En psychanalyse, les souterrains, c’est l’inconscient. En mythologie, quand le héros entre dans la grotte, il affronte son coté obscur, ses peurs et ses angoisses. Dans notre monde, on a repoussé le merveilleux, la magie, le surnaturel et on l’a enfoui dans un imaginaire/folklore qu’on réserve aux enfants.
Dans Wisher, le sanctuaire représente ce merveilleux enfoui, une architecture libre gothique aérienne, des archétypes de féériques mais pas forcément avec le caractère qu’on leur connaît. Dans le tome 2, Nigel doit choisir entre ce merveilleux enfoui sous terre (en lui, donc) et un aspect sombre de sa vie passée, à savoir le milieu des criminels de Londres qui sont une autre forme de monde caché par la société.

C’est vrai qu’on sent un réel travail en profondeur quant à la création de Nigel, comme pour tous tes personnages principaux. Nigel est un génie qui a vécu 1.000 ans enfermé dans une lampe. Du coup, il est claustrophobe et c’est aussi un charmeur comme le sont les Djinns du Moyen Orient. Parle-nous de l’approche de ce personnage ?

Je voulais que les pouvoirs du Djinn, enfermés dans Nigel, influencent Nigel au quotidien, d’où son amour du pouvoir et de l’argent, son pouvoir de séduction auprès des femmes et sa faculté incroyable de trouver ce que ses clients demandent. Sa claustrophobie n’était que la manifestation de Djinn qui veut sortir : se sent-il en danger ou est-ce qu’il avait fixé une date pour son retour ? Il y a un côté très sombre à l’histoire du Djinn qu’on découvrira au tome 3, où on en apprend plus sur le parcours de Nigel et du DJinn depuis le moyen âge jusqu’à aujourd’hui.




Huuum. Sans trop nous révéler le 3ème tome, nous voyagerons du passé au présent ? N’y a-t-il que trois tomes ?

Le premier cycle a 4 tomes. Dans le tome 3, Nigel va récupérer une partie de ses souvenirs, on ne voyage que dans sa tête.

Le MI-10 et ses agents, comment les as-tu abordés ?

Historiquement. Je voulais savoir comment Sir George avait pu monter une organisation efficace d’extermination de féériques. Il a donc noyauté l’empire britannique et manipulé ses souverains à sa cause, avec la reine Victoria à son apogée (voir tome 2). Je me suis dit que comme Edgar Hoover qui exigeait une tenue impeccable pour ses agents du FBI, Sir George aussi exigerait une classe toute britannique à ses agents, qui sont un croisement entre John Steed et l’Agent Smith. Ce côté désuet (et encore, pas partout à Londres) me plaît beaucoup. C’est comme une aristocratie de l’assassinat. Très british.

Une aristocratie de l’assassinat ?

Oui, les agents du MI-10 sont des tueurs. Leur look leur donne un côté élitiste qui me plaît. Gentlemen de l’assassinat, si tu préfères.




Tu es donc un grand lecteur de Neil Gaiman et de littérature. Tu nous as parlé de jeu de rôle et de John Steed. Le cinéma t’influence-t-il aussi ? Car lorsque je vois Bulldog et sa bande de malfrats, j’y vois « Trainspotting » ou « Le Parrain » ? Serais-tu un aficionado des films de mafieux ?

Les petites frappes anglaises, de Layer Cake, Snatch, Robert Carlyle dans le 51ème Etat. Les Sopranos version Cockney. Ma période littérature a été très courte, peut être deux ans. Je préfère le cinéma et les séries télé que je consomme jusqu’à l’overdose. Quand tu vois Dexter, Galactica, ou Dr House, tu te dis qu’écrire avec l’équipe scénaristique de ce calibre, ça doit être incroyable.

Des envies de scénario Tv ou cinéma alors ?

Je suis ouvert à toutes propositions, héhé. Par contre j’ai déjà pas mal d’histoires pour la BD qui demandent à être mises en images. L’avantage de la BD c’est le budget illimité d’un coup de crayon.




Grand séducteur, Nigel est entouré de nombreuses et intrépides jeunes femmes. Très jolies d’ailleurs. Je pense entre autres à l’inspecteur Jane Grey, à Eireann, la banshee, Aelle, la fée. Parle-nous de chacune.

Je vais peut-être commencer par celle dont tout le monde nous parle en dédicace, la larme à l’oeil parce qu’elle n’est pas dans le tome 2 : Farah, la masseuse brune.

Oui, c’est bien dommage cette absence.

Les gens ont senti une connexion entre eux deux, Nigel doit renoncer à elle pour ne pas l’exposer au MI-10. En fait ça montre la qualité des auteurs : on vous fait sentir un vrai manque sur un personnage secondaire. Mais c’est pour mieux l’utiliser plus tard, mon enfant ! Farah joue un rôle essentiel dans la vie de Nigel, certains pensent que c’est une féerique... Plus de détails dans le tome 3.

Eireann est la première guide, une guerrière qui accompagne le héros le temps qu’il trouve sa voie. On sent une complicité entre les deux. Une sorte de tension sexuelle qu’on a souvent dans les séries entre "collègues". J’aime bien cette dynamique.

Elle est le côté débridé de la fée, animée par ses envies. Elle veut Nigel, elle fait tout pour l’avoir.

Jane Grey est un personnage fascinant, qui va gagner en importance au fil des albums, c’est un peu le grain de sable dans la machine du MI-10. Elle veut comprendre qui est Nigel, et qui sont ces gens qui ont le pouvoir de la forcer à arrêter une enquête.

Je veux des personnages féminins aussi forts que les masculins. Et en même temps que chaque personnage féminin ait une facette différente, des degrés différents de mystères. Finalement, Merlin c’est le conseiller de Nigel pour la magie, mais les leçons de la vie, ce sont les femmes qui vont lui donner. Mais n’est ce pas toujours le cas ?

Je ne te le fais pas dire.

Après oui, elles sont toutes belles, mais c’est Giulio qui sait leur donner du charme et de la sensualité. Les dessinateurs italiens sont très forts pour dessiner de belles ragazze !!!

Revenons sur Farah. Elle n’apparaît pas dans le tome 2, mais une grande brune apparaît sur la couverture, un hasard ?

Oui, la brune derrière le vampire, c’est son assistante. Le problème que j’ai eu pour ce tome 2, c’est qu’il s’est passé 18 mois entre les deux tomes, mais seulement quelques heures entre le T1 et le T2. Quand Nigel rentre dans son loft, la première chose qu’il fait, c’est de l’appeler au téléphone pour reprendre contact avec elle. Le lecteur voudrait tous ses personnages à chaque tome (ah oui, il voudrait aussi que la bd fasse 100 pages et qu’il y en ait une tous les mois). On ne crée pas un mystère autour d’un personnage en le montrant tout le temps. Si Nigel la revoit trop vite, il risque de la remettre en danger. Et aussi, les lecteurs ont pris l’habitude de considérer que le premier perso féminin qui passe sera le GRAND AMOUR du héros, alors ils veulent que ça avance vite. Ils n’ont peut être pas tort, mais la vie rattrape les personnages.

Comme Trinity dans Matrix.

Oui, comme Trinity. Ca fait partie des codes. Mais là encore, on est formaté pour du 2 heures de film, qui prend des raccourcis pour rentrer en deux heures. Combien de fois les héros s’embrassent après 20 minutes et s’aiment à la folie ? Si on regarde la situation de Nigel, il a trouvé une fille qui lui plait, qu’il drague, qu’il veut revoir. Et puis on veut le buter, on lui montre le sanctuaire, on lui apprend qu’il est le sauveur de l’humanité. Alors la jolie masseuse, elle passe un peu au second plan, n’en déplaise aux amateurs de jolies femmes en BD.

Si je pouvais sortir Wisher en 200 pages d’un coup, on aurait pas cette discussion, lol.




Bon, maintenant que tout le monde a pu admirer la belle Farah, j’insiste un peu plus sur les autres et belles héroïnes. Eireann, par exemple, dans son prénom, il y a Eire, un rapport avec l’esprit rebelle des Irlandais ? Et Jane Grey, une rousse, un lien avec les X-Men ?

Eireann c’est "Irlande" en gaélique, qui a donné Eire après. Jane Grey aucun rapport avec X-Men. C’était une des femmes d’Henry VIII. Mais Giulio l’a fait rousse, alors du coup... Les noms des personnages, c’est important. Je trouve toujours bizarre les persos qui s’appellent Krador ou Jean Martin. Quel intérêt ? Nigel c’est Legin à l’envers (le Djinn phonétiquement), qui montre son identité secrète. Michael Bound, l’agent du MI-10, c’est parce que Bound c’est "attaché", c’est l’âme damnée de son maître et un pacte familial qu’on connaîtra dans les prochains tomes. Sir George "Cross", car il y a un rapport aux croisades. Et ainsi de suite.

Ne dit-on pas que l’Irlande est une terre de légendes ? La Fantasy ne vient-elle pas de là-bas ?

Elle vient de partout (voir Campbell). La première peur de l’homme, c’est la peur du noir et de la nuit. L’imagination peuple les zones obscures de plein de bestioles aux yeux rouges. On connaît l’imaginaire celtique mieux que les autres, et comme mon protecteur de féériques, c’est Merlin, je trouvais normal qu’il y ait un grand nombre de féériques celtiques dans le sanctuaire. Mais on va en croiser de toutes origines. Les gens qui me reprochent le mélange de différents mythes et folklores voudraient-ils que la magie s’arrête dans le nord ouest de l’occident ? Mon peuplement de féériques suit les mouvements des populations humaines, et si on regarde le développement de l’empire britannique à travers les siècles, on peut voir quels pays Sir George a visité et quels féériques il a exterminés.

Pour ma part, je suis même curieux d’en apprendre plus sur les Djinns et les créatures fantastiques d’Orient. Et concernant les Britanniques, je pense aux Indes, à la Chine, que connais-tu de l’Orient ? Va-t-il prendre une part plus grande dans le tome 3 ?

Dans le tome 3, on va comprendre pourquoi le dernier Djinn est Nigel, et le côté tragique de sa situation. Je me laisse libre d’injecter du folklore de tous les pays...

Tu as choisi Giulio De Vita pour les dessins. Pourquoi ? En quoi son style correspond t-il mieux qu’un autre ?

Je n’ai pas choisi Giulio, c’est un cadeau du ciel. James Healer au Lombard s’est arrêté après le départ de Swolfs pour Soleil. Giulio étudiait les propositions d’autres scénaristes, mais ne trouvait pas son compte. Wisher l’a captivé car il a vu qu’il pouvait mélanger plusieurs styles et univers graphiques, et qu’il pouvait y injecter sa culture cinéma. Comme je lui ai dit, il y a peut-être 3 personnes à pouvoir dessiner du réaliste et du fantastique côte à côté sans que ça choque quand on passe de l’un à l’autre (Hub - okko- ou Brian Hitch – ultimates – pouvant faire ça aussi).

Giulio est un surdoué du dessin. Il a une technique incroyable, il peut dessiner ce qu’il veut, et on y croit. Il mérite d’être dans les plus grands à côté de Marini par exemple. Il a su fusionner le comics et le franco-belge. C’est une prouesse. Je suis fan. J’espère que Wisher lui apportera la reconnaissance qu’il mérite.

As-tu eu une influence sur la conception graphique ?

J’envoie des descriptions des personnages, genre ’casting virtuel’ fait avec des têtes d’acteurs et actrices. Je donne quelques idées. Ensuite, il faut laisser parler le talent. Dans le cas de Giulio, c’est allé très vite. Je voulais un Merlin plus proche de Clint Eastwood que de Dumbledoore. Je voulais une Banshee un peu asiatique. Je voulais des agents du MI-10 très britanniques... Mais comme c’est lui qui va les dessiner encore et encore, c’est important qu’il trouve son univers graphique librement. Le Sanctuaire est beaucoup plus aérien que j’avais imaginé. En général si ça ne correspond pas à ce que j’avais imaginé, c’est en mieux.

On connaît tous les archétypes de la fantasy. Il faut trouver des idées pour s’en démarquer, alors on réfléchit un peu et on essaie de s’en démarquer, mais c’est pas la priorité. Il faut qu’on y croie. Alors un gobelin aura la tronche d’un gob, une fée d’une fée. Mais il y a des variations ici et là.

Y a-t-il une créature dont tu sois plus fan qu’une autre ?

Bonne Nuit le vampire. L’échange avec Nigel lors de leur première rencontre est ma scène préférée du tome 2. Il n’est pas impressionné par le "sauveur", on ne lui raconte pas d’histoires. Il est paralysé (voir tome 4, lol). J’aime bien sa place comme second de Merlin, celui qui lui rappelle les réalités de leur combat.

J’aime bien aussi le féérique qui a un look de rappeur qui montre le chemin de la sortie à Nigel, car je ne sais pas ce qu’il est. Feerique non catalogué. Il y en aura pleins.




Dans la vraie vie, tu es donc aussi prof d’anglais. Dans une ZEP, c’est ça ? A la longue, comptes-tu devenir scénariste BD à part entière ou préfères-tu allier tes deux métiers ?

J’ai quitté ma ZEP l’année dernière. Je suis revenu dans mon pays basque natal, dans un lycée très agréable à St Jean Pied de Port, au milieu des montagnes, des vignes, avec une rivière qui passe sous les fenêtres de ma salle de cours. Du bonheur. Dès septembre, je suis prof à mi-temps (mais pas demi-prof, hein !). J’aurai donc le temps d’écrire toutes les histoires qui sont en file d’attente dans ma cervelle. Et le succès de Wisher aidant, j’aurai aussi des occasions de rencontrer des dessinateurs de talent qui voudront voir ce que je sais faire ! Si je peux devenir scénariste à plein temps, pourquoi pas, mais rester en contact avec des ados, c’est très enrichissant quand même. Et puis c’est marrant d’avoir leurs réactions à la lecture de mes bds.

Quelle expérience gardes-tu de ton travail en ZEP ? Quel regard tes élèves avaient-ils sur ton travail ?

Wisher est sorti la dernière année, le regard sur mon travail était bref. J’ai constaté un réel problème entre les jeunes et les univers fantastiques. Ils sont souvent tellement ancrés dans le réel que leur capacité d’imagination et de projection dans des mondes fantastiques est très limitée. Ils n’aiment ni Matrix, ni Star War, ni Le Seigneur des Anneaux car ce n’était pas réel. Quelque part, c’est terrifiant, que l’éducation à l’imaginaire ait été à ce point réduite. Tournons-nous vers les classiques de science-fiction où on parle d’état totalitaire et des moyens qu’ils ont pour arriver à leur fin : tuer le vocabulaire, tuer le rêve (d’un monde meilleur évidemment), tuer la capacité d’expression. Alors on n’en est pas là, et loin de moi l’idée de dire que c’est fait consciemment, mais quand on ne pense qu’au quotidien sans se projeter en avant, et qu’on ne tire aucune joie de la lecture ou d’autres formes d’évasion, c’est inquiétant.

Les quelques élèves qui ont adoré Wisher étaient ceux dont cette capacité à retrouver du merveilleux n’était pas partie.

C’est vrai que la culture du fantastique fait partie intégrante de la culture anglo-saxonne. Penses-tu que c’est si différent chez nous ?

La science-fiction et la fantasy sont des genres mineurs, c’est bien connu. Etudions de la vraie littérature des sentiments, et laissons de côté ces récits pour ados incohérents ! Par contre lisez Harry Potter les enfants (ben oui, c’est un moyen de leur donner envie de lire de la VRAIE littérature plus tard). C’est comme ça, on veut faire avaler à des enfants nos classiques des belles lettres. Il faut les connaître aussi, mais c’est un peu vouloir être ceinture noire de judo à 13 ans.

Lire ; c’est lire

Si tu proposes de la BD en classe, ça a intérêt d’avoir été sélectionné par l’intelligentia parisienne, sinon, quelle est la valeur littéraire de la bd ? Un énorme bravo à Jean David Morvan pour la collection Ex libris, qui clouera le bec à beaucoup.

Pourtant la Bd a le vent en poupe cette dernière décennie en France ?

Le temps que les choses changent, il y a un décalage énorme. Tu parles de comics et les gens pensent Superman. Tu parles séries américaines et tu entends parler de Dallas. Tu parles de film américain et on te parle de mecs avec des flingues. Et puis tu sors La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, Rome et Juno, et c’est l’interrogation générale. On veut trop faire apprendre de choses aux enfants, sans leur laisser une part de choix (contrôlé, mais quand même). Quand tu as 32 heures de cours par semaine plus les devoirs, quel temps as-tu pour ton imaginaire ?

Bon. Je ne te demanderai pas ce que tu penses de la restructuration de l’éducation nationale, LoL, mais plutôt ce que tu peux nous dire sur ton autre grande série chez Le Lombard, "Ellis Group" ?

Ellis Group est dessinée par le grand Griffo qui s’amuse beaucoup sur cette série parce qu’il a des choses étranges à dessiner. Ellis Group est beaucoup plus comics et expérimentale que Wisher. C’est une agence secrète qui s’occupe de la ville de New York. Chaque nuit, les rêves et les cauchemars de ses habitants prennent vie et il faut bien nettoyer tout ça au petit matin, voire empêcher le rêve de se terminer si on peut. Mon personnage principal découvre qu’il est lui-même un rêve, ce qui n’arrange rien à sa façon de voir les choses. On fait un premier cycle de trois tomes dans lesquels je pose les bases de fonctionnement de l’agence Ellis, je libère mon grand méchant qui était prisonnier et j’oppose mes agents à des forces qui les dépasse. Et lorsque tout espoir semble parti... Saison 2, si les lecteurs en veulent encore.
L’univers et les possibilités sont plus larges que Wisher, mais c’est plus dur de rentrer dedans.

Peux-tu juste nous parler un peu plus de tes deux grands méchants, les marchands de sable noir et blanc ?

Je me suis dit qu’il fallait un personnage iconique du monde des rêves, le marchand de sable était une évidence. Ensuite je me suis dit qu’il ne pouvait pas tout faire tout seul, d’où l’idée d’un pour les rêves, un autre pour les cauchemars. Et puis je me suis dit "marchand" de sable ? Que peut -il vendre ? Un dealer de rêves ? Des pistes intéressantes. Et pour éviter ce que je déteste, c’est-à-dire des personnages manichéens, le méchant des rêves pouvait illustrer l’expression "affronter ses pires cauchemars". Comme Roméo dans le tome 1, il exerce une sorte de justice personnelle où il fait revivre aux criminels leurs actes immondes. Le problème c’est que ça dégénère à chaque fois, l’agence Ellis a du l’enfermer. Le premier cycle tourne autour de ce couple de personnages potentiellement surpuissants.

Et bien voilà. Merci pour ta franchise et ton enthousiasme. Si tu désires ajouter quelque chose sur tes futures séries ou autres ?

J’aimerais que le lecteur qui apprécie aide les bonnes séries à sortir du lot. Et il existe une façon très simple : aller sur les sites de vente en ligne tels Amazon ou La FNAC et donner des avis positifs sur ce qu’on fait. C’est pas long, et ça fait bien plaisir aux auteurs.

Sinon pour les fans de Wisher, je vous rassure sur les délais : le T3 paraîtra en janvier. Le tome 4 suivra la même année.

Re-sinon, si tu es dessinateur talentueux et tu cherches des scénarios de bonne facture, tu peux me contacter.




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Commentaires

Un grand bravo, pour cette BD de (très) bonne facture !

L’imaginaire est vraiment bien calibré et en accord avec les dessins, j’attends le tome 3 avec impatience.