Naufragés du temps T1 à T3

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Illustrateur / Dessinateur: 

Invasion planète Terre

 

A la fin du 20ème siècle, la Terre est menacée par le Fléau. Ces spores gigantesques pullulent dans l’air et tuent par millions. Heureusement, il existe un antidote. Tout du moins, une solution, mais les Hommes n’ont pas acquis suffisamment de sagesse pour la recevoir des mains de Christopher, le scientifique à l’origine de l’invention. Du coup, les autorités terrestres enferment Christopher et sa femme dans deux bulles de verre et les placent en orbite autour de la Terre. Leurs bulles les maintiendront à l’âge qu’ils avaient à la fin du 20ème siècle et reviendront tous les cent ans jusqu’à ce que les Hommes se sentent prêts à recevoir leurs sauveurs.

1000 ans plus tard, 30ème siècle, l’Humanité retrouve la bulle de Christopher. Ils réveillent l’individu et quémandent son aide. Christopher les aidera à condition qu’ils l’aident à retrouver la femme qu’il aime, Valérie. Le professeur Otomoro, Mara et Chris se lancent alors dans l’espace à la recherche de la bulle disparue. Après le Fléau, ils font face à une nouvelle menace. Sur un astéroïde, ils viennent en aide à des humains qui combattent d’étranges créatures faites de métal vivant. Les Trasses peuvent prendre l’apparence de rats, de chauves-souris géantes, d’anguilles venimeuses et tout autre forme animale en lien avec d’étranges croyances. L’aventure commence. Et il faudra bien des escales à Chris pour découvrir le véritable sens de sa quête.

Un héros face aux femmes

 

Cette bd sort au cœur des années 70 et ça se sent. A cette époque, le modèle de la femme soumise qui a perduré jusque dans les années 50-60 est encore pesant. Mais les femmes se lâchent enfin, portées par l’élan de l’après mai 68. Rappelez-vous ! 1942, l’avortement est puni de mort. 1975, la loi Veil sur l’avortement est votée. La femme peut enfin décider de son sort sans crainte de poursuites judiciaires. Il existe bien d’autres exemples de l’évolution de la condition féminine dans les années 70. La contraception remboursée, l’autorité parentale remplace la dictature du père, le divorce se fait par consentement mutuel…

La femme s’affirme donc. Dans la vie et dans les séries TV. Dans « L’âge de Cristal », Jessica tient le haut de l’affiche. Avec le héros, elle participe à l’action, prend des décisions et influence l’évolution de l’histoire. Idem pour « Buck Rogers » où les femmes feront tourner la tête à notre héros, dans « Chips », série où vous noterez que des femmes, policières de surcroît, chevauchent des motos sans qu’un bonhomme prenne le guidon – c’était pas si banale pour l’époque. Je poursuivrai avec la séduisante Barbara Bain dans « Cosmos 1999 » et les inoubliables « Trois drôles de dames ». Là, c’est clair, les femmes volent la vedette à leurs homologues masculins.

C’est tout naturellement que « Les Naufragés du temps » s’inscrivent dans cette tendance. Certes, le héros principal reste un homme. Mais il n’est plus l’inébranlable cow-boy à la John Wayne que nos parents ont connu. Il possède ses doutes. Il fait des erreurs. De plus, il ne les résout plus à coups de revolver, mais il se sert de sa tête. Christopher Cavallieri est l’exemple du héro moderne et les femmes qui l’entourent ont leur mot à dire. Même si je n’ai pas eu immédiatement cette impression.

Réédition oblige, ma lecture d’aujourd’hui s’est confrontée à celle de l’époque. Au début, les Hommes prennent part à l’action. Christopher est le héros tout puissant et la seule femme qui participe aux événements est Mara, une scientifique, folle amoureuse de Chris et prête à tout pour lui venir en aide. Une image plutôt superficielle de la femme, me disais-je. Puis, au fil de ma lecture, Mara se révèle plus indépendante. Elle ne se contente pas de sourire bêtement à son beau héros, elle agit avec et contre lui. Elle pense aussi. Waow, quelle découverte je fais me direz-vous ! Et bien, ne vous moquez pas. Ca ne fait pas si longtemps qu’on se préoccupe de ce que pensent les femmes, malheureusement. Mara et les années 70 sont là pour prendre date.

Autrement dit, Mara a plus des allures de grande adolescente au début du premier tome. A travers son amour fou pour Christopher, elle va se surpasser, voyager à travers l’espace, combattre des extra-terrestres, lutter contre des créatures divines. Des milliers de choses dont elle ne se serait jamais cru capable. Elle deviendra alors femme à part entière, avec ses doutes et ses certitudes, ses envies et ses ambitions, surtout lorsque son bien-aimé retrouve sa femme du 20ème siècle, Valérie.

Valérie, lorsqu’on la découvre, c’est la version sixties de la femme. Une femme aimante, qui veut des enfants et passer toute sa vie à côté de son homme. Elle en devient protectrice et jalouse lorsque Mara rôde autour de Chris. Le tome 2 marque d’ailleurs cette confrontation des générations entre la blonde naïve et la brune aventurière. Rien d’étonnant à ce que Christopher choisisse d’abord sa Valérie plus docile, plus rassurante, avant de succomber au charme de Mara, celle qui ose et qui offre à Christopher un individu plus mûr avec qui échanger. Valérie tiendra cependant sa revanche.

Rien d’étonnant non plus à ce que d’autres femmes interviennent dans l’histoire. Quinine la prostituée, par exemple, se révèle une captivante prédatrice pour les hommes. Nul ne sait lui résister. Elle représente ces femmes fatales, capables de séduire les hommes les plus amoureux et de profiter d’un instant de doute pour les attirer dans leur couche. En effet, l’homme n’est pas fidèle par nature. Quinine joue avec cette réalité. Mais à trop jouer, ne risque-t-elle pas d’aimer ?

Un grand classique mêlé de modernisme

 

« Les naufragés du temps » a tout d’une passionnante love story, mais c’est avant tout un magnifique Space Opera mêlé aux questionnements métaphysiques des années 60-70. Comme tout le monde le sait, la liberté de pensée de cette époque s’est accompagnée d’autres libertés. « Sex, drugs and Rock’n roll », c’est vrai, mais surtout, l’intérêt pour le spirituel et le Fantastique qui explose. C’est dans les années 70 que l’on entend parler des fameux « Crop Circles ». La Zone 51 est très à la mode et les histoires d’Ovnis pullulent dans les magazines. A cela, il faut ajouter l’explosion de l’Astrologie, des pratiques spirituelles et de la « nouvelle philosophie ». Les gens s’interrogent beaucoup sur leur époque, sur la réalité métaphysique de leur existence. En gros, chacun cherche à dépasser la matière pour trouver l’harmonie. Rien de plus normal à une époque où la guerre du Vietnam faisait plusieurs millions de morts côté vietnamien et dénombrait près de 50000 soldats américains tués.

Ainsi, le spirituel s’impose. Mais où se trouve-t-il dans « Les naufragés du temps » ? Et quelle forme prend-t-il ? Parce que j’en ai vu des vaisseaux spatiaux, des peuples venus d’ailleurs, des pistolets laser et des insectes géants. Ces derniers semblent tout droit sortis des vieux films SF des années 50. Alors où est-il le spirituel ? Et bien, dans le passage sur le Styx, entre autres. L’auteur soulève l’idée que tous les tyrans de l’univers finissent dans un cercueil sur le Styx, ce fleuve des morts formant un anneau autour de Saturne. Les Croque-morts qui accompagnent les cercueils n’ont pas assez d’une vie pour effectuer la traversée. Sorte de métaphore sur le fait que les générations à venir mettent plusieurs décennies à effacer les blessures laissées par les dictatures passées.

Cette réflexion sur la société était chose courante dans les années 60-70. La science-fiction ne se contentait plus de divertir, elle se penchait sur notre société et proposait des réflexions sur les problèmes présents. Autre exemple dans le tome 3, on parle d’ADN, soit trente ans avant qu’on ne déchiffre le génome humain. Les personnages s’interrogent sur le danger des manipulations génétiques et sur le pouvoir considérable qu’elles offrent à ses possesseurs. Et force est de croire que les auteurs avaient raison de s’en inquiéter.

Voici donc venu le temps de découvrir ou redécouvrir « Les naufragés du temps », cette série qui marqua la SF des années 70. Les nouvelles couleurs ne dénotent pas un instant. Traitées en aplats de couleurs, elles complètent idéalement l’encrage de Paul Gillon et attireront sans nul doute de nouveaux lecteurs. Bientôt les prochains tomes, il me tarde.

Les premières planches de chaque tome sont consultables sur http://www.glenatbd.com/

Titre : Les naufragés du temps – réédition des tomes 1 à 3
Scénario : FOREST Jean-Claude et GILLON Paul
Dessins : GILLON Paul
Couleurs : HUBERT, SCHWENDIMANN Laetitia et YANNICK
Editeur : Glénat
Parution : août 2008

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