Dimension Uchronie 1
S’il rappelle la définition classique de l’uchronie, l’exploration des conséquences d’une divergence dans l’histoire, Bertrand Campeis semble avoir élargi le domaine à tous les récits situés dans une histoire parallèle, un mode où se sont réalisées d’autres possibilités, y compris des mondes de féérie, où les lois physiques seraient changées, où des créatures d’un univers de magie auraient pénétré. Les récits de mondes parallèles à la Sliders, voire de féérie, ne sont pas inintéressants, d’ailleurs et, même si j’ai une vision plus étroite de l’uchronie, que je limite à l’étude de comment la divergence se développe, je limiterais la modification nécessaire du titre à la nécessité à intituler le livre Dimension Autres Histoires...
Il n’y a donc que deux ou trois histoires qui rentrent dans mon cadre d’uchronie, celles dont les suites de la divergence et ses conséquences sont le sujet. Avec le risque d’une erreur dans les données de départ (Magellan étant portugais, son vaisseau ne pourrait être attaqué par d’autres vaisseaux portugais ni son non-retour influer sur l’évolution de l’Espagne, à moins de reclasser la nouvelle, intéressante et bien construite en dehors de ce défaut, dans la catégorie Mondes parallèles).
Catégorie où je mets tous les récits dont l’auteur a d’abord pensé à construire un monde possible et intéressant, ensuite à le justifier par une divergence possible. Il y en a un certain nombre dans ce recueil. Des mondes où Sparte, Rome, les Aztèques, les Chinois dominent l’époque « moderne », des mondes où des extra-terrestres ou des créatures légendaires interviennent, plus ou moins cohérents et inattendus. Certains ont réutilisé un univers déjà existant dans leurs autres ouvrages ou se sont référés à des œuvres connues.
Cela s’applique d’ailleurs à la dernière nouvelle du recueil, la seule traduite, celle de Jerry Oltion, qui transfère une histoire de notre passé dans un monde différent, où les « native Americans » auraient conservé la propriété de leurs terres, sauf Manhattan dûment achetée... C’est bien une « histoire parallèle » (alternate history), mais cela sort du cadre de l’uchronie, la recherche des conséquences possibles d’une divergence.
Il reste des œuvres que je classe vraiment dans l’uchronie et pour lesquelles je serai plus sévère. Parce que si l’esclavage n’avait pas été aboli (il ne l’a été en fait qu’en 1848, pas sous Napoléon), l’histoire ultérieure serait beaucoup plus changée et le XXe siècle pourrait difficilement avoir connu Hitler, de Gaulle, Kennedy... C’est un reproche analogue à celui que j’avais déjà fait à Johan Héliot pour les tomes 2 et 3 de sa trilogie uchronique. Empire Romain ou la disparition de l’Europe chrétienne après la Grande Peste n’affecterait pas en profondeur le rythme des découvertes scientifiques, techniques et des évolutions sociales (vous voyez à quels livres je pense) ... Et que, paradoxalement peut-être, je ne ferai pas aux « histoires parallèles », puisque le fait d’y introduire une histoire de notre monde y devient un truc littéraire...
Par contre imaginer que la mort prématurée de Georges Lucas aurait entraîné la disparition de l’industrie cinématographique (et accessoirement la réélection de Giscard en 1981, même si je ne crois pas que cela en aurait fait un émule de Macron) est tout à fait légitime.
J’espère vous avoir donné un avant-goût de la variété des récits de cette anthologie et l’envie d’aller les découvrir et vous faire votre opinion personnelle... Merci Bertrand Campeis, et merci aux auteurs et traducteurs...
Dimension Uchronie 1, anthologie de Bertrand Campeis, Rivière Blanche, coll. Fusée, n°74, 2018, 358 p., couverture de Tiffanie Uldry, 26€, ISBN 978-1-61227-817-9