Moi, Lucifer

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Ce n’est sans doute pas le premier livre dans lequel nous avons une confession du Diable, ou plutôt ici du premier des anges déchus, Lucifer. Auquel, à la veille du Jugement dernier, Dieu propose la rédemption, au prix d’une vie passée dans le corps d’un mortel sans commettre de péché. Et nous suivons le mois d’essai par Lucifer du corps d’un écrivain suicidé, mois à la fin duquel le démon devra décider d’accepter ou de rejeter l’offre divine. Mois qui lui sert à profiter comme jamais des joies de l’incarnation (mais est-ce la première ? Il me semble avoir vu des allusions à d’autres incarnations, en plus de ses visites sous forme immatérielle à notre monde), à rédiger un certain nombre d’explications sur son histoire, depuis la première création divine, celle des anges, jusqu’à ses différents conflits avec Dieu. Mais il sait depuis le début que le motif de sa révolte est toujours valable et qu’il n’acceptera pas l’offre de Dieu, malgré l’intervention de Michael qui veut le convaincre...

Je dois dire que je n’ai pas accroché à cette version de Lucifer et à ses explications de différents points des mythes chrétiens. Peut-être parce que je n’adhère pas aux mythes traditionnels, sans doute aussi parce que j’ai eu l’impression que les dits mythes étaient rappelés de façon un peu incohérente. Ou parce qu’ils comportent, dans leur version standard, des contradictions, parmi lesquelles la présence d’un unique nom latin au milieu des légions d’anges à noms hébreux n’est pas la moindre. Mais le Dieu omniscient qui réalise, malgré les tentatives de Lucifer, que le monde qu’il a voulu créer est bien pire. Comme l’a fait remarquer Mark Twain, pour avoir créé un monde tellement imparfait, s’il est vraiment omnipotent et omniscient, il est sadique à un point de très loin supérieur au sadisme du pire criminel de l’histoire et même loin au delà de la méchanceté attribuée au Diable. Lucifer n’est qu’un pauvre diable égaré dans une histoire trop profonde pour lui et qui est perpétuellement conscient de son insignifiance (quel rapport avec le monstre d’orgueil de la mythologie chrétienne ?). La trinité Père-Fils-Saint Esprit n’a, elle, aucune excuse.

Et j’ai encore moins cru encore à cette découverte par Lucifer des plaisirs de l’incarnation comme s’ils étaient nouveaux pour lui. Si le fait de prendre le corps d’un écrivain raté l’a ramené au niveau mental de celui-ci et lui a donné toutes les opinions a priori et les préjugés de son hôte, passe encore ; mais il aurait fallu le faire comprendre au lecteur, pas essayer de lui faire croire que Lucifer avait dès le départ un Q.I. de crétin. À moins que Glen Duncan ait décidé dès le départ que tous les anges, déchus ou non, sont des attardés mentaux. Quand les autres angles interviennent, on se pose vraiment la question : sont-ils vraiment idiots ou est-ce Lucifer qui les décrit comme tels ?

Glen Duncan a écrit d’autres romans qui méritent sans doute un coup d’oeil. Mais celui-ci ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Moi, Lucifer par Glen Duncan, traduit par Michèle Charrier, Lunes d’encre 2011, 286 p., couv photo Tom Ridley, 21€, ISBN 978-2-207110890-1

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