Ce qui nous tue

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Anna Crawford est professeure d’anglais dans une petite ville lambda de Pennsylvanie, comme il en existe des centaines partout dans le monde. Seldom Falls est la petite ville où il est censé bon vivre. À la suite d’un « écart de conduite », elle est mise à pied de son lycée et condamnée à se morfondre chez elle. Elle échappe donc au massacre perpétré par un étudiant, qui pénètre dans l’établissement, abat dix-neuf personnes et en blesse quarante-cinq. Son éloignement pour insubordination fait d’elle une suspecte potentielle. Avec les moyens que l’on imagine, la voilà emmenée de force, interrogée, finalement innocentée, mais vilipendée. Car si on est rescapée dans ces conditions, c’est qu’on a forcément quelque chose à se reprocher.

Alors qu’elle perd peu à peu pied avec la réalité, la ville autour d’elle, traumatisée, s’enfonce dans l’excès : les journaux cherchent si toutes les victimes sont réellement à plaindre et n’ont pas un cadavre caché dans le placard, le maire promulgue à tour de bras des lois liberticides afin de rassurer la population, l’invitation à la délation de comportements suspects est de mise, et, alors qu’il faut désormais montrer patte blanche pour accéder aux grandes surfaces, l’armurerie n’a jamais été aussi prospère. La fin du monde est proche, contre les mécréants, une seule solution : armons-nous toujours davantage…

C’est un véritable pamphlet que nous offrent les éditions du Cherche-midi avec ce roman coup de poing de Tom McAllister. Pamphlet contre cette Amérique de Trump arqueboutée contre vents et marée sur son deuxième amendement, dans sa volonté d’être ultra sécuritaire. Ce qui débouche fatalement sur des situations absurdes : puisqu’un lycéen a pu pénétrer dans l’établissement pour tuer sans être arrêté, alors armons les professeurs et créons des milices étudiantes à même de riposter. Les autorités se déplacent, on créé un monument à la mémoire des défunts qui va forcément coûter une fortune et être très moche, on promet une riposte sans pitié, et on passe à autre chose parce que dans la ville d’à côté un nouveau massacre vient de commencer.

Tandis que l’auteur dénonce avec un humour féroce cet état de fait, il s’attache aussi à raconter le quotidien de son héroïne Anna, en se substituant à elle pour raconter ses errances à la première personne. Anna ne travaille plus, elle en est incapable. Elle renoue avec un ex-petit ami qui se croit obligé de lui venir en aide pour qu’elle aille mieux. Son frère qu’elle a tiré du marasme où il se trouvait quelques années plus tôt, ancien junkie désormais rangé, veut tout faire pour elle, même la faire venir chez lui et la protéger. Mais Anna ne veut pas. Ayant eu par le passé des soucis familiaux, elle est en définitive quelque peu asociale. Elle se cherche des buts dans la vie, se retrouve embarquée dans un comité de défense du citoyen, mais aussi dans un groupuscule dirigé par un obscur réverend Chet, pour qui la fin du monde est proche, et qui envisage la construction d’un gigantesque bunker à la sortie de la ville. L’allégorie du soleil absent de Seldom Falls est d’autant plus parlante : lorsqu’elle s’éloigne, Anna Crawford retrouve la lumière qui a disparu chez elle.

Vous l’aurez compris, j’ai réellement apprécié Ce qui nous tue. Il y a un côté résolument « Michael Mooresque » dans ce récit de l’Amérique actuelle et ses paradoxes, sans doute moins flamboyant, moins excessif qu’un Bowling for Columbine, mais essentiel. Un vrai coup de coeur.

Je remercie infiniment les Editions du Cherche-midi pour leur confiance et pour m’avoir permis de découvrir ce premier roman traduit en France.

 

Ce qui nous tue -Tom Mc Allister - Cherche-midi Editeur - février 2020, 21€

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