COLIN Fabrice 01
Dites-nous quelque chose à votre propos ? Qui êtes-vous ?
Un autodidacte tourné vers l’avenir.
Comment en êtes-vous venu à l’écriture ?
Pratiquement par hasard. Il y a quinze ans, j’écrivais des scénarii de jeux de rôle pour des sommes dérisoires, et je m’amusais beaucoup. J’ai rencontré un éditeur (Stéphane Marsan, alors chez Mnémos) qui m’a encouragé à essayer le roman. J’ai suivi son conseil.
A quel âge avez-vous commencé à écrire ?
Aucune idée – tout dépend de ce qu’on entend par là. J’ai publié mon premier scénario de jeu de rôle à 15 ans : j’étais très fier. Et mon premier roman à 26 ans.
Vous souvenez-vous encore de vos premiers textes ? Que sont-ils devenus ?
Je ne suis jamais passé par la sacrosainte étape des tapuscrits refusés à droite à gauche. C’est peut-être un problème, d’ailleurs. Mon premier texte véritable a été Neuvième Cercle, et Stéphane l’a publié. C’était un très mauvais roman.
Comment écrivez-vous ? Est-ce une profession pour vous ? Quelles sont vos autres passions ?
Je vis de mon clavier, si l’on peut dire. J’écris par phases, deux, trois, parfois six semaines intensives. Le reste du temps, je réfléchis, je rêvasse, j’écoute de la musique. La banalité et l’inaction sont fécondes en surprises.
Pourquoi l’écriture ? Quel est, selon vous, le rôle de l’auteur dans notre société ?
Je n’ai jamais envisagé la question sous cet angle. J’écris parce que j’aime ça. Je doute que mes livres apportent quoi que ce soit aux gens, sinon du plaisir et, j’espère, un soupçon de vertige, quelques instants de beauté. Dans notre société, le rôle de l’écrivain est devenu à mon sens à peu près nul.
La subversion, l’engagement politique ont-t-ils toujours leur place dans le choix d’écrire de la science-fiction plutôt qu’autre chose ?
Je ne crois pas. Les ouvrages de Naomi Klein me font réagir, pour citer un exemple ; ou ceux de certains sociologues, de certains philosophes. Mais jamais je n’ai reposé un livre de science-fiction avec l’envie d’agir ou de prendre un problème à bras-le-corps. A quoi sert la pensée si elle n’est pas suivie d’action ?
Comment travaillez-vous les idées de base ? Vous vous basez sur un vécu ou sur une recherche préalable de documents, voire vous partez tête baissée et improvisez selon l’évolution ?
Je fais un plan. J’ai besoin de savoir où je vais. Je pars d’une impression diffuse – un lieu, une époque, un climat, des images – et l’histoire se met en place petit à petit. Je fais un plan,comme un squelette qu’on habille de muscles et de chair.
Vous semblez être attiré par tous les arts. Votre blog regorge de références de films, de livres, de musique. Avez-vous l’intention de rester dans l’écrit (livres, BD) ou êtes-vous tenté par mettre en scène un de vos livres, au cinéma ou à la télévision ?
Je ne suis pas du tout tenté par la mise en scène. C’est un métier de fou, qui requiert une patience d’ange et des nerfs d’acier.
J’aurais adoré jouer dans un groupe de rock,mais ça n’est tout simplement pas arrivé, et je pense que le monde m’en est secrètement reconnaissant. Je ne nourris aucun regret. L’écriture est un continent suffisamment vaste.
D’ailleurs la plupart des titres de vos posts de blogeur sont en anglais. Jeu ou simplement plus facile d’exprimer votre pensée via la brièveté de titres en anglais ? Pas trop peur que la majorité de vos lecteurs ne les comprennent pas ?
Je ne sais plus comment est venue l’idée mais, oui, cela a certainement à voir avec l’efficacité lapidaire de certaines formules – difficile à retrouver en français.
De par son contenu, sa tonalité, le blog s’adresse plutôt à un lectorat adulte. J’ai la faiblesse de considérer que les gens lisent l’anglais.
« La mémoire du vautour » n’est pas un livre de science-fiction ou de fantasy mais plus une plongée aux enfers : manipulations mentales par l’armée, divagations mentales avec les drogues… Comment vous est venue une telle idée ?
Le point de départ, c’est la chanson Lucky de Radiohead : « Kill me Sarah, kill me again with love » et plus loin « Pull me out the air crash ». L’histoire découle de ça.
Un chapitre de « La mémoire du vautour » est écrit au féminin car c’est la version de Sarah. Ecrire et décrire les sentiments d’une femme de l’intérieur quand on est un homme, ça se prépare comment ?
Pfew. Je n’en sais rien. Je suis marié : je suppose qu’après dix ans de vie commune, je commence à comprendre vaguement ce qu’est une femme. Pour le reste, je m’efforce de me mettre dans la peau du personnage et de ne pas trop me poser de questions.
Dernièrement, et sur plus de 600 pages, j’ai réitéré l’expérience en jeunesse avec La Malédiction d’Old Haven. Peut-être que je prends goût à cet exercice.
On retrouve souvent un souci de la nature et de sa conservation ou un intérêt pour ses débordements (ici, c’est le tsunami thaïlandais qui est mis en scène). Pensez-vous que l’homme a encore le temps de limiter son impact négatif sur la terre ?
Le limiter, oui. Le supprimer, non. Mais si la Terre en a ras-le-bol, elle se débarrassera de nous une fois pour toutes, et les poulpes prendront le relais.
L’air de rien, se détachent petit à petit deux pôles géographiques : l’attrait de l’Amérique et celui de l’Orient. Grand voyageur dans les faits, dans l’esprit ?
Les deux. Je suis un écrivain visuel. Rien ne m’excite plus que la perspective d’un voyage, fût-il virtuel, et j’adore les guides touristiques. Par ailleurs, je me suis rendu un certain nombre de fois aux Etats-Unis, oui. Mais jamais en Asie.
Vous partagez votre écriture entre les romans jeunesse et les livres adultes. Abordez-vous l’un et l’autre de la même façon, avec les mêmes critères ?
Pas du tout. Pour moi, la littérature jeunesse, c’est raconter une histoire, de préférence bonne, mais ça s’arrête là. Il peut s’agir d’une histoire sombre, tortueuse, compliqué mais ça ne reste que ça.
La littérature « adulte », à mes yeux, peut et doit plonger le lecteur dans des états qu’il n’a pas l’habitude de traverser au quotidien : fascination, émerveillement, désorientation, etc.
Quel est votre auteur de fantastique préféré ?
Borges. Je lui dois mes premiers émois métaphysiques.
Quel est votre auteur de littérature générale préféré ?
La réponse varie suivant les jours et les humeurs. Nabokov ? Bret Easton Ellis ? Pynchon ? Murakami ? Bolaño ?
Quel est votre roman de fantastique préféré ?
J’aime les nouvelles de Lovecraft : la Couleur tombée du ciel, etc.
Quel est votre roman hors fantastique préféré ?
Ada ou l’ardeur, de Nabokov.
Quel est votre film de fantastique préféré ?
Lost Highway de David Lynch – si l’on considère qu’il appartient bien à ce genre.
Quel est votre film hors fantastique préféré ?
C’est une question un peu folle. Je peux choisir une série ? Six feet under.
Quel livre d’un autre auteur auriez-vous désiré avoir écrit, soit parce que vous êtes jaloux de ne pas avoir eu l’idée le premier, soit parce que vous auriez traité l’idée d’une autre manière ?
Je suis jaloux de beaucoup de gens. C’est un sentiment très sain, parce qu’il pousse à se surpasser. Mais, évidemment, je dois répondre La Horde du contrevent,d’Alain Damasio. Pour moi, l’écriture de ce roman s’apparente à un exploit.
Quel est votre principal trait de caractère ?
J_ e crois que je suis assez réfléchi. Je passe mon temps à analyser les gens et les situations, généralement en pure perte.
Qu’est-ce qui vous énerve ?
En ce moment ? Le Parti socialiste.
Outre l’écriture, quels sont vos hobbies ?
Se vautrer devant une série télé avec un verre de bon vin me paraît un objectif tout à fait honorable. Sinon, j’ai deux enfants de trois et six ans : ça occupe pas mal.
Quel est le don que vous regrettez de ne pas avoir ?
J’aimerais pouvoir écrire en anglais.
Quel est votre rêve de bonheur ?
Il est atteint. Je ne pourrais pas faire beaucoup mieux.
Par quoi êtes-vous fasciné ?
Les gens qui se donnent dix ans pour écrire un roman, et qui vont jusqu’au bout.
Vos héros dans la vie réelle ?
Les militants : les gens qui donnent de leur temps pour des causes humanitaires. En rédigeant Engagés ! (NDLR : Engagés ! : Pour résister au vieux monde, aux editions de L’Atalante), j’ai rencontré une militante RESF extraordinaire, qui m’a d’ailleurs poussé à franchir le pas à mon tour, à ma très modeste mesure.
Si vous rencontriez le génie de la lampe, quels voeux formuleriez-vous ? (3)
Que mes proches meurent très vieux.
Que mes proches meurent très heureux.
Que le monde trouve une alternative viable au capitalisme.
Votre vie est-elle à l’image de ce que vous espériez ?
Oh, je n’en espérais pas tant.
Citez-nous 5 choses qui vous plaisent.
Dans le désordre, alors :
Le FC Arsenal.
Ma femme sous la douche le matin.
Le sourire des mes enfants.
Les Flaming lips.
Ecrire.
Cinq choses qui vous déplaisent
Dormir seul à l’hôtel.
Le libéralisme.
Les gels capillaires.
La littérature française nombriliste.
L’adoration.
Last but not least une question classique : vos projets ?
Trop nombreux et incertains pour être intégralement cités. Dans les choses sûres : un roman de littérature générale sur Radiohead, un troisième tome jeunesse chez Wiz / Albin Michel (western steampunk crépusculaire), une chronique historique sur une famille juive du 20e siècle (Seuil Jeunesse) et une BD en six volumes chez L’Atalante avec Serge Lehman (La Brigade chimérique, sur des dessins de Gess).
Critique de "la mémoire du vautour" ici !