Inhumains (Les)

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Ce roman, paru initialement en 1991, se révèle être un excellent Brussolo. En effet, à la différence de certaines de ses productions qui pèchent parfois par manque d’application - productivisme oblige - « Les Inhumains » fait mouche. Et ce tant au niveau de l’intrigue qu’à celui de la richesse de la langue ici déployée. L’ambiance du XIXème siècle fantasmagorique qui sert de décor au récit est remarquablement rendue. Les personnages ne sont pas unidimensionnels.

En fait, le contraire eut été décevant. L’intrigue nous plonge en effet dans l’univers des sculpteurs académiques qui travaillaient le marbre afin d’en tirer des œuvres à la gloire des dieux de l’Antiquité gréco-romaine. Julien, somnambule au passé trouble, se tue à la tâche dans un atelier parisien. A l’aide de ses grosses mains calleuses, il façonne, il taille, il sculpte à qui mieux-mieux. C’est là qu’il fait la connaissance de Céline, modèle nu qui ne tarde pas à s’amouracher de ce garçon ténébreux. Ils s’inquiètent tous deux de la vague de disparitions qui frappe les plus fameux sculpteurs du moment : leurs corps sont retrouvés à intervalles réguliers sur les berges de la Seine, malaxés, pétris à l’instar de vulgaires figurines tombées entre les mains d’un géant capricieux pour lequel la chair serait semblable à de l’argile, les os une simple armature concassable à l’envi.

Il va s’avérer que leur patron, Aristide Bantoux, est le prochain sur la liste. Pris de panique, ce dernier s’est lancé dans une série de croquis qui rompent avec le classicisme dans lequel il se complait habituellement. Une pointe de folie transparaît même dans certaines de ses esquisses. Insuffisamment, sans doute, car on le retrouve bientôt lui aussi chiffonné en bord de Seine.

Poursuivis par la police, qui les tient pour responsables de cette nouvelle mort, puis ruinés, les deux amants décident de se réfugier chez le tuteur de Julien, le mystérieux baron Hosting Shicton-Wave. Lord en exil, passionné d’occultisme, il était déjà apparu dans un roman précédent de Brussolo, « Les Démoniaques ». Son comportement malsain, ses manipulations irresponsables, en font un personnage peu recommandable. Ce dont Julien et Céline ignorent tout lorsqu’ils arrivent dans son manoir.

Une entité maléfique, probablement venue des étoiles, croupit dans la cave de cette bâtisse sous une forme qui la rapproche d’une boue organique. Le baron, désireux de s’offrir un dieu de compagnie qui exaucera ses moindres desiderata, démarche auprès des plus illustres sculpteurs parisiens afin d’en trouver un qui soit capable de donner forme à cette masse stagnante. A chaque fois, mécontent du résultat, le « titan » broie les artistes comme de la glaise.

Pour Julien, la tentation est trop forte. Il se lance lui aussi corps et âme dans cette entreprise dangereuse, espérant parvenir à battre les plus grands sur leur propre terrain. Le résultat transformera le manoir en un microcosme de folie et de mutations corporelles en tous genres…

« Les Inhumains » est par conséquent un livre qui vaut le détour, ne serait-ce que pour sa deuxième partie, qui nous décrit par le menu la déchéance physique des principaux protagonistes aux prises avec l’entité. Le chaos organique qui surgit alors - fait d’homoncules façonnés à l’aide de chair humaine, de têtes privées de corps et de cervelle qui continuent de deviser comme si de rien n’était, d’amputés à divers stades d’élagage – fascine et captive au plus haut point.

Serge Brussolo, LES INHUMAINS, 306 pages, Editions Vauvenargues

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