LE ROY Philip 01
Autant vous le dire tout de suite, j’ai ADORE votre roman. Tellement aimé que je vais m’empresser de me procurer vos deux autres livres. Alors, M. Le Roy, qui êtes-vous, d’où venez-vous, que faites-vous dans la vie ? Dites-nous tout.
Je suis écrivain, voyageur, vo sinh (pratiquant le viet vo dao), cinéphile, bassiste rock, père de trois filles. De quoi largement remplir chaque journée.
Comment en êtes-vous arrivé à l’écriture ?
En faisant une école de commerce. Non, je plaisante. Cinq années de Sup de Co m’ont surtout poussé à faire le tour du monde. C’est le cinéma, les voyages et des années dans la publicité comme concepteur rédacteur qui m’ont formé au travail sur les mots, les images et l’imagination.
Pourquoi écrire ?
C’est un besoin. Non pas cathartique (il y a des psychiatres pour ça) mais plutôt lié à l’envie de faire naître chez les autres des émotions, des sensations fortes. Faire rêver le lecteur, lui faire peur, le faire voyager et susciter en lui une réflexion sur le monde grâce au pouvoir magique des mots est jouissif.
Votre héros, Nathan Love, voyage pour le besoin de l’enquête, dans le monde entier. Avez-vous visité les lieux que vous décrivez ?
Non seulement j’ai visité les lieux que je décris, mais ils m’ont inspiré les situations vécues par mes personnages. J’essaye par ailleurs d’apporter de l’authenticité à ces descriptions par l’évocation des sensations qui m’ont assailli lorsque j’ai débarqué dans les pays en question. Sensations qui ne sont jamais évoquées dans les guides touristiques. Ainsi, lorsque Nathan Love arrive à Manille, il s’imprègne de ce nouvel environnement (c’est un réflexe de profiler, mais c’est aussi un plaisir), il se laisse pénétrer par les sons, les odeurs, les images…Une action humanitaire au cœur des bidonvilles de Manille m’a permis par exemple de représenter avec justesse ce que voit Nathan Love lorsqu’il est plongé dans le même cadre. De même plus tard, lorsque Jessy débarque au Sri Lanka, celle-ci écarquille les yeux devant le changement de décor. Ses sens sont en alerte, elle est envahie par l’odeur des épices et du thé, le son des docks, la chaleur tropicale.
J’aime embarquer le lecteur dans des endroits où il n’a pas forcément posé les pieds, que ce soit un coin glacial de l’Alaska ou un club sado-maso très chaud de Castro Street.
Avez-vous la même philosophie de la vie que votre héros ?
Oui, à la différence que Nathan Love est l’incarnation extrême de ce à quoi je tends. Il pratique d’autant plus facilement le zen et les arts martiaux dans l’esprit des budo qu’il vit seul, ne possède rien, est détaché de tout. Au début du roman qui se situe après la mort tragique de sa femme, Nathan est parvenu à se purifier, à revenir à l’essentiel, ce qui en fait quelqu’un de clairvoyant, de supérieur. Sa vision du monde est plus proche de la vérité, car il n’est plus conditionné par la société en marge de laquelle il vit. Des individus comme lui existent dans le monde, ils sont peu nombreux et on ne les voit jamais. J’ai eu l’honneur d’en rencontrer un.
Vous accusez la religion chrétienne d’un énorme secret envers ses ouailles, vous basez-vous sur des faits précis ?
Il est indéniable que les caves du Vatican recèlent des secrets. Comme personne n’y aura jamais accès, j’ai fait fonctionner le sixième sens de l’écrivain. A partir des données scientifiques, historiques, archéologiques et théologiques actuelles, j’ai élaboré une version crédible des origines du christianisme. Comme pour n’importe qu’elle enquête criminelle, j’ai recueilli tous les indices, tous les éléments de preuve, pour avancer une thèse qui peut certes être attaquée sur le plan de la foi mais pas sur le plan de la raison.
Comment vous est venue cette idée ?
Je n’ai jamais vraiment compris comment un acte de masochisme absolu (humiliation, flagellation, couronne d’épines, chemin de croix, crucifixion, mort lente) pourrait sauver l’humanité et servir de fondement à une religion prônant l’amour du prochain, à moins que… et c’est là que l’idée a germé.
En me documentant sur la période pendant laquelle le Christ a vécu, j’ai appris trois choses essentielles : l’ère était très mystique, le peuple très crédule, Yehoshua Ben Yossef très charismatique (on dirait médiatique aujourd’hui). A partir de ces trois éléments historiques et en rassemblant suffisamment de preuves concordantes, il est facile d’échafauder des thèses plus solides que celle qui prétend que Jésus est le fils de Dieu ressuscité.
Croyez-vous que la religion en général et le christianisme en particulier régit le monde ?
Quatre pouvoirs (religieux, économique, répressif et politique) régissent le monde. La religion régit les esprits, j’en veux pour seule preuve “l’endeuillement” généralisé de la planète à la mort de Jean-Paul 2 ou bien les kamikazes fabriqués à la chaîne par l’islam. L’économie, le pouvoir le plus puissant des quatre, régit notre quotidien en faisant de nous des consommateurs. Le pouvoir répressif (armée, police…) régit nos comportements en nous imposant des règles, des limites à ne pas franchir. Le pouvoir politique quant à lui est réduit à quelques organisations ultra puissantes et réseaux d’influence. Ces 4 pouvoirs sont parfois reliés entre eux et complémentaires, parfois antagonistes. “Le Dernier Testament” met le doigt sur un conflit idéologique entre le pouvoir religieux et le pouvoir économique, entre le spirituel et le temporel. Paradoxalement, c’est une bonne chose, car le jour où les 4 pouvoirs auront tissé des alliances solides avec une main mise totale sur les médias et la science, le monde sera sous le contrôle de quelques personnes. A moins que ce ne soit déjà le cas…
Vous êtes à l’opposé d’un film comme « La Passion du Christ » de Mel Gibson, qui joue sur la violence des dernières heures du Christ. L’avez-vous vu et qu’en pensez-vous ?
Cette violence et la symbolique sanglante qui va en découler (le christianisme est quand même symbolisé par un cadavre cloué sur une croix) est en contradiction avec le message de paix et d’amour du Christ. Cela n’a pas de sens à moins que toute cette mise en scène ne fasse partie d’un plan. Pour Mel Gibson, il n’y a pas de plan. Pour moi, il y en a un. Il en a fait un film. J’en ai fait un livre. Ceci mis à part, Gibson a dépeint la Passion du Christ à la manière des plus grands peintres du Vatican. Il soutient le dogme, mais avec quel talent ! Quand j’ai contemplé le plafond de la Chapelle Sixtine, je ne me suis pas demandé si le Jugement Dernier existait, j’ai admiré en silence, comme pendant la projection de “La passion du Christ”. Donc respect pour l’artiste.
Vous êtes-vous beaucoup documenté pour écrire votre livre ?
Enormément. Un thriller est un mécanisme complexe où tout doit concorder. Chaque fait doit être réel ou crédible. Chaque détail doit être juste. Ce qui m’a demandé le plus de travail, ce sont les recherches sur la mort du Christ et sur la psychologie de Nathan Love. Le christianisme et le zen n’ont plus beaucoup de secrets pour moi.
Comment écrivez-vous ? Avez-vous un plan au départ ou laissez-vous vivre vos personnages ??
Je pars d’une situation dramatiquement forte, dans laquelle je plonge quelques personnages qui devront s’en sortir par eux mêmes ! L’intrigue se constitue ainsi peu à peu. Bien sûr, j’ai une idée de la façon dont tout cela va se terminer, mais en laissant agir les personnages à leur manière, la fin diffère parfois de celle à laquelle je m’attendais. Ce qui est très bon pour le suspens. Car si je suis surpris moi-même par le dénouement, le lecteur le sera d’autant plus. “Le Dernier Testament” commence par une tuerie dans un laboratoire de recherche clinique dans lequel se trouvaient deux prix Nobel, un agent du FBI et un cobaye humain mort depuis un an ! Et dans les alentours de ce laboratoire, errent des créatures monstrueuses… Pour justifier tout ça, il m’a fallu au moins forcer les caves du Vatican et remonter aux origines du christianisme.
Le méga-succès du « code Da Vinci » extrapole aussi sur des secrets religieux. Une inspiration, une curiosité ? Que pensez-vous de ce livre ?
Je n’ai pas encore lu le “Da Vinci Code” auquel on compare souvent mon roman qui a été écrit bien avant sa sortie. Le “DVC” n’a donc été d’aucune influence et je peux donc difficilement en parler. La seule chose que je peux dire, c’est que Dan Brown a fait de sa thèse le sujet de son livre, tandis que la mienne tient dans la résolution, soit 50 pages sur 700. Le reste étant du pur thriller, en l’occurrence une enquête criminelle menée par une Esquimaude et un profiler zen, sur une série de meurtres de plus en plus violents perpétrés à travers le monde.
Qu’est-ce que le za-zen que pratique votre héros ?? En êtes-vous vous-même un adepte ?
Le zen n’explique rien, on ne peut donc expliquer le zen. Comme le dit Nathan Love, ce n’est pas une voie, cela ne demande aucune foi et ne promet aucun paradis. Pour le zen, rien n’existe. Le zen fait éclater le vide de toute chose. Grâce au zen, Love parvient à écarter toutes les causes qui obscurcissent la vraie connaissance, celle qui existait déjà en nous même avant que l’on soit conditionnés. Zazen, c’est une posture ; c’est l’assise juste, la respiration juste, c’est être dans l’instant même, c’est penser sans penser. L’enseignement de zazen ne peut se faire pas les mots, mais par l’expérience, d’âme à âme comme disent les grands maîtres. Je peux donc décrire le comportement de Nathan Love, mais difficilement l’expliquer. Personnellement, j’applique le zen et la méditation dans mon quotidien, tout comme je pratique les arts martiaux en conservant leur dimension première.
Etes-vous autant détaché du monde que votre héros ?
J’ai une famille qui me procure des joies profondes que Nathan ne peut plus éprouver du fait de la mort de sa femme. Je ne peux donc pas être aussi détaché que lui. Mais je prends le recul nécessaire quand j’écris afin de favoriser l’acuité de ma vision de ce monde.
Pensez-vous, comme Nathan Love, que l’amour éloigne de la Vérité ?
L’amour est un sentiment qui nous retient dans ce monde. C’est aussi ce qui pousse Nathan à réintégrer la société. Du coup, il est moins détaché, a moins de recul sur les choses, il est à nouveau conditionné et la Vérité s’éloigne. Le cerveau des amoureux est comparable à celui des drogués, il sécrète des grandes quantités de dopamine qui déclenchent des sensations d’euphorie et de bien-être. Les circuits neuronaux associés au sens critique et au jugement social sont anesthésiés. L’amour rend aveugle, cher Marc. Ce qui nous éloigne d’autant plus de la réalité.
Dans la trame, dans les décors, je trouve que vous vous approchez d’un auteur comme Jean-Christophe Grangé. Que pensez-vous de ses livres ?
Merci du compliment, car je respecte beaucoup l’auteur des “Rivières Pourpres”. Il se documente énormément, sait nouer des intrigues, tenir le lecteur en haleine, inventer des choses qui n’ont jamais été faites. Avec Maud Tabachnik, ils ont ouvert la voie du thriller français. Et quand “L’Empire des loups” sort au cinéma, on présente le film comme une adaptation d’un livre de Jean-Christophe Grangé, avant même de citer les acteurs ou le metteur en scène. Donc bravo.
Des contacts avec le monde du cinéma ?
Je conçois mes romans comme des films. J’ai écrit mes deux premiers romans à partir de mes scénarii. Pourquoi pas l’inverse pour celui-ci. Je viens d’en terminer le synopsis. Le roman est déjà entre les mains de producteurs très intéressés. C’est mon éditeur qui gère.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
L’état du monde.
Le monde vous fait-il peur ?
Le monde faisait peur autrefois. Les forêts, les océans, le ciel, les animaux sauvages… Malheureusement, aujourd’hui il ne fait plus peur à l’homme qui se charge de le tailler en pièces. Non, je ne crains pas le monde. Je crains l’homme…qui laisse une plaie partout où il passe.
Pourquoi avoir choisi le polar ?
Je préfère parler de thriller plutôt que de polar. Le thriller c’est donner des émotions et des frissons au lecteur. Pour faire passer un message, je trouve que c’est le genre idéal. Un film comme “Fight Club” par exemple, est beaucoup plus passionnant et convaincant qu’un long discours sur l’état de notre société.
Quels sont vos écrivains de référence ?
Aucun. Mais je suis fan de Stephen King avec toutes ses qualités et ses défauts. J’admire la technique narrative des anglo-saxons à laquelle j’aime ajouter de la profondeur psychologique, un style d’écriture et un peu de sexe quand même.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce livre ?
Trois ans. L’avantage d’écrire un roman sur une longue période, c’est que les personnages principaux deviennent tellement familiers qu’ils finissent par agir tous seuls.
Quel est l’accueil de la presse et du public ?
Les réactions sur Internet et dans les librairies sont formidables. Un retirage est déjà programmé. Les critiques sont emballés par les personnages, la révélation finale, le rythme et le style du roman.
Comme je suis impatient, dites-nous vite quels sont vos projets et quand sortira votre prochain livre ?
Je viens de terminer un huis clos meurtrier sur le pouvoir du cinéma. Et j’ai écrit le chapitre 143 du “Dernier testament” qui sera le chapitre 1 d’un nouveau roman. Rendez-vous en 2006.
Critique du "Dernier Testament".
Autres interviews de l’auteur ici et là.