A la croisée des mondes : effets spéciaux
Le monde de Lyra
La plus grande difficulté de cette adaptation cinématographique du roman de Pullman provient du fait que, sur le plan visuel, tout reposait sur la translation et le glissement d’un certain nombre d’éléments de notre vie quotidienne qu’on connaît bien vers quelque chose qui y ressemble mais tout en ayant un aspect légèrement différent et qui devait, en outre, impérativement toujours rester crédible à nos yeux. Il fallait donc créer un autre monde qui nous paraisse familier mais tout en ayant son identité propre.
Le développement visuel du film a pris près de deux ans et monopolisé en amont une multitude de dessinateurs et de maquettistes : il fallait commencer par tout concevoir comme, par exemple, les nombreux paysages londoniens (en faisant des amalgames de toutes sortes d’éléments pour en faire des hybrides) et plus particulièrement le Jordan College d’Oxford (dont l’architecture est un savant mélange d’Oxford, de Greenwich et de Chatham), les vastes étendues enneigées du Grand Nord, les ours en armures, le port de Trollesund, le palais des glaces de Ragnar Sturlusson (le Roi des panserbjornes) ou encore la station expérimentale de Bolvangar et sans oublier, bien évidemment, les daemons.
C’est aux célèbres Studios Shepperton que furent construits tous les décors intérieurs et fabriqués les quelques 600 costumes, en majeure partie inspirés de la mode des années 1920-1940, ainsi qu’une multitude d’accessoires. Parallèlement des sculpteurs s’attachèrent à façonner les armures des ours et créer la forme initiale des différents daemons. Les armures ont été sculptées en taille réelle avant d’être moulées puis scannées en 3D. Leur modèle virtuel a ensuite été envoyé à la société d’effets spéciaux chargée de la création des ours, l’armure 3D étant associée au corps de l’animal dans l’ordinateur. Le même procédé a également été utilisé pour la création des daemons, sauf que leurs sculptures n’ont pas toutes été faites en taille réelle.
Les nombreux effets spéciaux permettant de transposer à l’écran le monde de Lyra ont principalement été répartis entre Framestore CFC, Cinesite et Rhythm & Hues. Pour sa part, Cinesite s’est surtout chargé des vues panoramiques sur les paysages, urbains ou non, qui donnent l’impression aux spectateurs d’être immergés dans l’univers fantastique de Pullman.
Corps et âmes
Bien que situé dans un monde parallèle, le monde de Lyra ressemble fort au nôtre (avec ses continents, ses océans, Britannia, Norroway, le Pôle Nord, etc). Toutefois, la principale spécificité de ce monde est que l’âme de chaque humain vit à l’extérieur de son corps sous la forme d’un “daemon”. Il s’agit-là d’une entité spirituelle ayant une apparence animale et dotée de la parole, qui accompagne l’être humain tout au long de sa vie et reste constamment aux côtés de sa moitié corporelle. Un daemon est la personne en elle-même et en fait partie intégrante, même s’il en est physiquement dissocié. Un humain et son daemon sont inséparables l’un de l’autre. Chaque daemon naît et meurt avec la personne à laquelle il est attaché à vie. C’est un fidèle compagnon qu’on aime par-dessus tout et qui se comporte un peu comme un guide spirituel ou un ange gardien avec lequel on peut discuter tout à loisir. Le daemon d’un enfant peut se transformer à volonté et prendre toutes les formes que le potentiel de l’enfant suscite, ce qui n’est plus le cas lorsque celui-ci devient adulte.
C’est Rhythm & Hues qui s’est chargé de la création des nombreux daemons en 3D (comme le singe au pelage doré de Mrs Coulter, le léopard des neiges de Lord Asriel prénommé Stelmaria, Hester le fidèle compagnon de Lee Scoresby ou encore les loups qui accompagnent les Tartares), de leur animation, de leur transformation et de leur interaction avec les personnages humains. Tâche ô combien ardue, en raison de leur interaction permanente avec leurs alter ego humains ce qui impliquait qu’il fallait constamment synchroniser l’animation des daemons à la gestuelle des acteurs. C’est l’animation du daemon de Lyra qui fut la plus difficile à réaliser dans la mesure où Pantalaimon (plus familièrement appelé “Pan”) change souvent d’apparence (furet, chat sauvage, etc) comme c’est toujours le cas avec les daemons d’enfants. Il fallait donc faire en sorte que ses diverses métamorphoses soient rapides et fluides.
L’ours
Iorek Byrnison est un panserbjorne, c’est-à-dire un ours des glaces vivant dans le Grand Nord et plus spécifiquement dans la région de Svalbard. Comme ces derniers ont la particularité de ne pas avoir de daemons, ils se fabriquent des armures dans un métal très spécial qui leur font alors office d’âme. Considéré comme un paria par les siens à la suite d’un combat déloyal qu’il a perdu, Iorek a été chassé par son clan et réside désormais à Trollesund, le principal port de Laponie. Perçu par les humains comme étant un combattant sanguinaire, ils lui ont confisqué son armure et l’obligent à faire à leur place les sales besognes en échange d’un peu de nourriture. Ayant perdu sa dignité, Iorek a trouvé refuge dans l’alcool. Comme son espèce est généralement peu portée sur la cohabitation avec les humains, il a tendance à se méfier de tout le monde mais il devra cependant apprendre à faire confiance à Lyra. C’est en se servant de l’aléthiomètre que la fillette va retrouver l’armure de Iorek et c’est ainsi qu’elle va s’en faire un précieux allié dans sa quête qui s’avèrera particulièrement périlleuse.
Dans le monde de Lyra, les panserbjornes ne sont pas des ours polaires comme ceux de notre monde. Il s’agit-là de créatures intelligentes dotées de la parole et qui, une fois revêtus de leurs armures, sont de redoutables guerriers aguerris. Ce sont les équipes d’infographistes de Framestore CFC qui leur ont donné vie afin de faire d’eux de véritables personnages et non pas seulement de simples animaux animés. Dans un premier temps, il leur a fallu définir la taille de Iorek et de ses congénères, leurs proportions par rapport à Lyra et aux autres humains ainsi que l’aspect de leurs différentes armures. Pour cela, ils ont tout d’abord visionné de nombreux documentaires animaliers sur les ours polaires afin d’étudier la façon dont leur fourrure bouge, leur masse musculaire se déplace lorsqu’ils courent et comment ils (ré)agissent lorsqu’ils se battent entre eux. Une sculpture de Iorek a ensuite été réalisée avant d’être scannée pour obtenir son image 3D puis son enveloppe corporelle virtuelle a été dotée d’un squelette, de muscles et de fourrure. Ils ont passé beaucoup de temps à peaufiner les détails des différentes textures, le comportement de leur fourrure et de leur masse musculaire car lorsque les ours bougent, cela influe obligatoirement sur les plaques articulées de leurs armures.
Dans la scène où on voit Lyra chevaucher le dos de Iorek alors que ce dernier court à vive allure sur le sol glacé des vastes plaines du Grand Nord, ils se sont servis des mouvements d’animation de l’ours en 3D pour animer une sorte de selle de rodéo montée sur des vérins pilotés par ordinateur. On a placé une selle ainsi qu’une reproduction de l’armure de Iorek sur la machine et quand Dakota Blue Richards s’installait dessus, il suffisait alors d’appuyer sur un bouton pour que la selle bouge exactement comme Iorek l’aurait fait s’il avait effectivement couru sur le plateau. L’action a été filmée, par plusieurs caméras et sous différents angles, dans un studio sur un plateau entouré d’un fond vert. Il suffisait ensuite d’incruster la fillette dans le reste de l’image : c’est donc bien elle qu’on voit à l’écran, chevauchant le dos de Iorek, et non pas son double numérique.
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