Western is not Dead

Il avait pris en charge son prisonnier à Fort Huachuca peu après minuit, et ils approchaient maintenant de Contention, enveloppés de brume, dans le silence matinal. Les deux cavaliers avançaient lentement, l’un derrière l’autre.


Ainsi commence la nouvelle de Elmore Leonard qui plonge d’emblée le lecteur dans les « 15h Chrono » de ce face à face contre nature entre Jim Kidd et Paul Scallen, rebaptisés au cinéma Ben Wade et Dan Evans. L’histoire d’un puissant hors-la-loi prisonnier d’un justicier amateur qui doit le livrer au fameux train de 3h10. La nouvelle de vingt pages est devenue un classique, que dis-je, un axe dramatique fondateur, à rajouter aux célèbres « 36 Situations dramatiques » de base recensées par George Polti.


« 3h10 pour Yuma » a directement inspiré deux grands westerns. Celui de Delmer Daves faisant lui-même écho à un autre train, qui sifflait trois fois. Et le film de James Mangold, cinquante ans après. De quoi actualiser les thèmes abordés (la morale, le pouvoir d’achat, le courage, la famille, la justice), le casting et la mise en scène. La trame est si proche du thriller (on est chez Leonard n’oublions pas) qu’on la retrouve dans des films comme « Le contrat » de Bruce Beresford qui sort en ce moment en DVD. Comment James Mangold s’en est tiré ? Et d’abord qui est James Mangold ?

Dans son CV, on trouve pas mal de chefs-d’œuvre. Je citerai juste « Copland » qui a métamorphosé Stallone et « Identity », un thriller tellement génial que j’ai presque envie de lâcher le fil de ma critique et d’en faire l’apologie ici. Mais bon, ce « 3h10 pour Yuma » mérite aussi le détour. A commencer par l’affiche. Tiens, on ne parle jamais des affiches de cinéma. Celle de « 3h10 » est carrément une œuvre d’art. Elle a l’audace de nous montrer l’un des tueurs du film, et de dos en plus, au lieu de nous présenter les visages des deux méga stars payées pour attirer les spectateurs.
Ça sent déjà l’œuvre artistique, la poudre et la poussière. Au-delà de l’affiche, Mangold filme au cordeau les grands espaces et les gros plans, les tueries et les dialogues, comme à la grande époque. Il dirige des acteurs au sommet de leur art, incarnant des personnages complexes, ambigus, débarrassés de tout manichéisme, ce qui est plutôt rare pour un western. Même les seconds rôles sont mémorables. Mention spéciale à Ben Foster qui offre au personnage de Charlie Prince, l’acolyte de Wade, une interprétation hallucinée dans son cuir blanc serré comme une camisole de force. Sur l’affiche, c’est lui, et ce n’est pas un hasard. Quant aux deux acteurs principaux, on assiste à de la haute voltige. Russel Crowe y est royal, charismatique, impitoyable, (regardez juste son regard, écoutez simplement sa voix, en VO of course)
face à un Christian Bale fébrile, invalide, obstiné, responsable, anti-héros, anti-Batman, anti-Bateman, sur les frêles épaules de qui pourtant tout se joue (même remarque sur le regard et la voix). Les défauts et les qualités de l’un révélant les faiblesses et les forces de l’autre. Les deux ennemis s’affrontent mais aussi s’influencent. Dans ce face-à-face terrible, la psychologie est mise à rude épreuve et en constante évolution, nourrissant du coup le suspense. Car « 3h10 » est avant tout un film à suspense. Tous les mécanismes sont là, comme les aurait rêvés Hitchcock s’il avait réalisé un western. Est-ce que Dan Evans ira jusqu’au bout ? Fera-t-il monter Ben Wade dans ce fameux train ? Mangold crée un crescendo de tension en accumulant les obstacles matériels et psychologiques.
Dan Evans est un faible, un amateur, un père de famille qui doit penser aux siens qui l’attendent, un fermier infirme encombré de son fils et talonné par des tueurs aguerris, un mercenaire novice sous-payé au regard des risques qui se multiplient sur son parcours, un pauvre type lâché par tout le monde pour se retrouver seul, face à un prisonnier expérimenté, redoutablement intelligent qui guette la faille… Au fil des minutes qui égrainent cette course contre la montre matérialisée par l’heure butoir fixée par le titre, le suspense monte jusqu’à un dénouement digne des plus grands thrillers : inattendu et inévitable. Je ne vous dirai pas si Dan Evans accomplit sa mission, mais James Mangold, lui, la remplit en beauté.