Watchmen

Réalisateur: 

Minuit dans le jardin du Bien et du Mal



Compte à rebours mortel

L’action se déroule en 1985 dans une Amérique alternative. L’histoire démarre avec le meurtre d’Edward Blake, alias le Comédien, un ancien membre des Watchmen, défenestré du 30ème étage par un mystérieux inconnu doté d’une force hors du commun. La résolution de cet horrible crime ne semble pourtant pas intéresser grand monde à l’exception de Rorschach, l’un de ses ex-compagnons d’armes misanthrope et parano, qui est convaincu de l’existence d’une sinistre machination visant à discréditer et éliminer tous les anciens justiciers.
Il commence alors son enquête et prend le temps de prévenir ses anciens collègues, aujourd’hui tous à la retraite, du danger qui les menace. Peu de temps après le Dr Manhattan décide de quitter la Terre, suite à une cabale à son encontre l’accusant injustement d’avoir provoqué un cancer chez plusieurs de ses proches. Une bien étrange “coïncidence” que Rorschach refuse de considérer comme telle. A force d’opiniâtreté, il finira par mettre à jour un terrible complot de grande envergure, lié à leur passé commun, et qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’avenir de l’Humanité toute entière.

Au nom de la loi

Dans cette “autre” Amérique, sortie tout droit de l’imagination débordante d’Alan Moore, des justiciers sans superpouvoirs (à l’exception du Dr Manhattan), autrefois considérés comme des héros du quotidien et vénérés par les foules comme des idoles, se terrent maintenant dans l’ombre depuis qu’ils ont été relégués au rang de parias lors de la promulgation en 1977 de la Loi Keene leur interdisant d’exercer leurs activités de redresseurs de torts en toute liberté. L’intervention en 1959 du Dr Manhattan a résolument bouleversé l’histoire du XXème siècle telle que nous la connaissons :
les Etats-Unis ont gagné la guerre au Vietnam, le Watergate n’a jamais eu lieu et Richard Nixon en est déjà à son 5ème mandat consécutif. Le monde vit sous la menace constante d’une guerre nucléaire imminente tandis que l’Horloge de l’Apocalypse, symbole de l’extrême tension existant entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, indique en permanence minuit moins cinq.

American outlaws

Watchmen vit tout d’abord le jour sous la forme d’une mini-série de 12 fascicules publiés par DC Comics de 1986 à 1987, à raison d’un épisode par mois, avant d’être réédité sous celle d’un roman graphique depuis lors passé à la postérité. La couverture ornée d’un smiley maculé de sang, un cadran d’horloge égrenant un fatidique compte à rebours qui prendrait fin à minuit ainsi qu’une structure en 12 chapitres sont autant d’éléments emblématiques de cette œuvre atypique, riche et complexe
qui mélange une bande dessinée sous sa forme traditionnelle avec toutes sortes d’informations supplémentaires, diverses et variées, qui sont distillées tout au long du récit par le biais de coupures de presse, de lettres et rapports de police, de la retranscription du journal intime d’un des personnages ou encore d’une BD dans la BD avec une histoire horrifique de pirates, intitulée “Tales of the Black Freighter”, qui figurera dans le DVD du film sous une forme animée.

Les héros sont fatigués

Dans cette Amérique alternative, les super-héros sont reconnus de tous mais n’ont plus le droit d’exercer leur activité de justiciers masqués depuis la mise en place de la Loi Keene. Pour Alan Moore, la société a les super-héros qu’elle mérite. C’est pourquoi dans Watchmen, il en déconstruit les archétypes et les ancre dans une réalité plus urbaine, parallèle et désespérée. Il les montre comme des gens normaux qui sont confrontés non seulement à divers problèmes éthiques et personnels mais aussi à leurs névroses et échecs. Ses personnages vieillissent, sont corrompus, dépriment ou sombrent dans la folie. Leurs histoires entremêlées forment un récit dense dans lequel des évènements du passé influent sur le présent. Avec Watchmen, il a créé une nouvelle mythologie basée sur le vice : alcooliques, narcissiques, paranoïaques et parfois carrément nihilistes, ses super-héros ne sont que le reflet d’une Amérique qui peine à transcender ses faiblesses. En voulant rendre un hommage noir (et très personnel) aux super-héros, Moore nous a offert un monument de la contre-culture américaine qui combine des éléments fantastiques et de SF à une virulente satire sociale et politique.

L’équipe originelle des Minutemen, qui ont connu leur heure de gloire dans les années 40/50 et sont à la retraite depuis leur dissolution en 1954, comprenait la Silhouette, le Spectre Soyeux, le Comédien, Hooded Justice, Captain Metropolis, le Hibou, Mothman et Dollar Bill. La génération suivante, celle des Watchmen, regroupait le Spectre Soyeux II, le Hibou II, Rorschach, le Dr Manhattan, Ozymandias et le Comédien (seul survivant de la 1ère équipe). Après l’entrée en vigueur de la Loi Keene, ils sont passés à autre chose, avec plus ou moins de succès, à l’exception du Comédien et du Dr Manhattan, qui ont travaillé officiellement ou officieusement pour le Gouvernement, tandis que Rorschach continuait envers et contre tous à jouer inlassablement les justiciers masqués dans l’ombre, à ses risques et périls.

Héros ou salopards


Comment faire changer l’humanité dans le but de la rendre enfin pacifique ? Pour tenter de trouver une solution à cette insoluble problématique, vieille comme le monde, chacun des Watchmen a sa propre vision des choses. Comme tel est (malheureusement) souvent le cas, les adages bien connus se vérifient une fois encore : “L’Enfer est pavé de bonnes intentions” et “la fin justifie les moyens”. Ils décident de remettre de l’ordre en ce bas monde et peu importe de quelle façon.

La densité et la complexité du récit, les dialogues, le symbolisme ambiant, la simultanéité des intrigues et leurs interactions, les retours en arrière et les projections dans le futur, les histoires parallèles et les différents procédés fictionnels utilisés sans cesse dans la narration ont fait de Watchmen une œuvre à part, longtemps considérée comme inadaptable au cinéma. Pour mener à bien cette tâche titanesque, Snyder a décidé (tout comme précédemment avec 300) d’utiliser le comic book comme storyboard, le respect de l’œuvre originelle étant ici d’autant plus assuré du fait que Dave Gibbons a étroitement collaboré à la préparation ainsi qu’au tournage du film, contrairement à Alan Moore qui se désolidarise, une fois encore, de l’adaptation cinématographique de l’une de ses œuvres (tout comme il l’avait déjà fait avec From Hell, La Ligue des Gentlemen Extraordinaires ainsi que pourV pour Vendetta).

Le monde, la chair et le diable

Le film démarre très fort sur la défenestration du Comédien consécutive à un brutal affrontement dans son appartement au cours duquel son agresseur et lui s’assènent des coups d’une rare violence, allant jusqu’à réduire en miettes une partie du mobilier et à carrément défoncer des pans de murs entiers. Suit alors le très long générique d’ouverture qui nous présente le sort funeste réservé aux Minutemen, les premiers justiciers ayant œuvré dans les années 40/50, sous forme de ralentis voire même parfois carrément d’arrêts sur image reproduisant ainsi l’illusion d’une case de comic book, mais passe aussi en revue divers évènements réels et/ou fictifs qui se sont déroulés en l’espace d’une quarantaine d’années. D’emblée le spectateur est plongé au cœur de l’univers des Watchmen avec toute sa noirceur, sa violence et ses histoires de mœurs dissolues dont Snyder ne nous épargne rien. Des bas-fonds de New York à la planète Mars en passant par le repaire secret d’Ozymandias en Antarctique, les différentes intrigues et les divers complots s’enchaînent tandis que la survie de l’Humanité repose entièrement sur les problèmes identitaires d’un groupe de personnages hétéroclites.


Même si le résultat final est inégal, on ne peut que reconnaître la grande intégrité de Snyder dans le respect de l’œuvre originelle même s’il lui a évidemment fallu faire certaines coupes donc des choix qu’il assume totalement et jusqu’au bout sans faire de compromissions vis–à-vis des Studios d’Hollywood. On ne peut également que s’incliner devant le travail minutieux de création de cette Amérique alternative de différentes époques au travers des nombreux décors, costumes et accessoires auxquels viennent s’ajouter une multitude d’effets spéciaux, divers et variés (personnage 3D du Dr Manhattan, sa désintégration lors de l’accident dont il a été victime dans son laboratoire puis sa rematérialisation, son Palais de Verre sur Mars, les taches d’encre mouvantes sur le masque blanc de Rorschach qui varient en fonction de ses diverses émotions, la destruction de New York ou encore Bustatis – une sorte de félin géant issu de manipulations génétiques qui sert d’animal de compagnie à Ozymandias). Tel un funambule avançant sur le fil du rasoir, il lui a fallu trouver un juste équilibre non seulement en ce qui concerne les diverses intrigues mettant en avant tel ou tel personnage mais aussi les déplacements dans le temps (passé, présent, futur) et l’espace (sur la Terre et sur Mars) afin que l’ensemble forme un tout cohérent sur grand écran. Alors que le récit nous est relaté comme étant celui du journal intime de Rorschach, le parti pris est pourtant celui du Dr Manhattan, c’est-à-dire celui d’une neutralité relativement bienveillante vis-à-vis du comportement souvent borderline des Watchmen qui est aux antipodes de celui irréprochable que l’Amérique attend théoriquement de ses super-héros.

Watchmen

Réalisation : Zack Snyder

Avec : Billy Crudup, Carla Gugino, Patrick Wilson, Malin Akerman, Matthew Goode, Jackie Earle Haley, Jeffrey Dean Morgan

Sortie le 4 mars 2009

Durée : 2 h 40

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