Voltaire et l'Islam

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Au hasard de mes pérégrinations au long des nombreux stands, à la dernière Foire du livre de Bruxelles, je tombai sur celui d’une librairie arabe. Un titre, Voltaire et l’Islam, m’interpella tout de suite : j’ignorais complètement que les rapports de Voltaire avec la religion de Mahomet avaient fait l’objet d’une étude approfondie et, qui plus est, de la main d’un auteur musulman. Djavâd Hadidi, né en 1932, est un lettré iranien, qui soutint cette thèse à la Sorbonne en 1960. Il mena une belle carrière académique à Téhéran, membre de l’Académie et directeur de la section de littérature comparée. Le texte de sa thèse, écrite dans un excellent français, parut en 1974 et le livre que voici en constitue une réédition.

Je sais que l’on trouve des voltairiens sur le site de Phénix, et je désire donc leur en faire part. Comme le célèbre essai d’Amin Malaaouf Les Croisades vues par les Arabes, cet ouvrage livre l’opinion des Orientaux, là sur un événement, ici sur la pensée d’un auteur, tous deux purement occidentaux. C’est là que réside leur grand intérêt. Voltaire a passé sa vie entière à combattre l’intolérance et à défendre la liberté d’expression : en son temps, l’Église catholique muselait celle-ci, n’hésitant devant l’utilisation de la torture ni les exécutions capitales au nom de la Vérité détenue (voir les affaires Calas, ou de la Barre, plaidées et gagnées par Voltaire). Rien de plus logique, donc, que Voltaire s’intéressât très tôt aux religions et à leur histoire.

Djavâd Hadidi suit les relations entre l’écrivain et l’Islam de manière chronologique, pour démontrer les changements et variations de l’humeur voltairienne envers la religion musulmane. Doué d’une sagacité prodigieuse, le futur auteur de Candide se démarqua tôt de l’opinion de ses professeurs jésuites, membres de ce que l’on appelait alors « le parti dévot », pour essayer de comprendre l’Islam de manière objective, sur base de la documentation de son temps tels des récits de voyages. Dans son œuvre, il entame l’approche de l’Islam par la civilisation turque, dans L’Histoire de Charles XII, puis dans Zaïre (1732). Mais c’est dix ans plus tard, dans sa tragédie Mahomet ou le fanatisme, qu’il l’abordera de plein fouet. Personne n’est dupe : au travers du Prophète arabe, c’est bien Jésus et son Église qu’il fustige. Hadidi rectifie de multiples erreurs de Voltaire, aveuglé par sa fureur anticatholique, quant à la figure même de Mahomet ainsi qu’à son message. Ici se révèle la thèse centrale de l’Iranien : plus Voltaire étudie l’Islam (il lira le Coran), plus sa vision s’affine, et plus il opposera l’ouverture d’esprit et la désincarnation de cette religion à l’intolérance et aux absurdités des chrétiens. L’Islam, simple et sans mystères, est bien plus proche de cette « religion naturelle » à laquelle il aspire. Voilà ce qu’il affirmera dans Candide et surtout dans le Dictionnaire philosophique, L’essai sur les mœurs ou dans son fameux Traité sur la tolérance(1763), écrit dans la foulée de l’affaire Calas.

Selon Hadidi, Voltaire prend dorénavant la défense de l’Islam contre la religion de Jésus. Entraîné par son prosélytisme, il ferait presque de l’écrivain un musulman qui s’ignore, ce qui déforce un peu la fin de sa thèse. D’autant plus que celle-ci devient parfois assez théologique. Il illustre son propos par des citations de textes, que nous pouvions déjà connaître grâce à L’autodictionnaire Voltaire d’André Versailles, chroniqué ici même. Mais il n’oublie pas non plus que Voltaire s’est souvent contredit et que, vieillissant, il s’est un peu rapproché du christianisme, qu’il distingue de son institution, l’Église (« L’Infâme »). Voltaire aura fait découvrir l’Islam à son temps des Lumières et profondément modifié l’opinion de ses contemporains sur la religion de Mahomet, tel est son apport le plus important, selon Hadidi. L’ouvrage se clôt par une intéressante bibliographie.

 

Djavâd Hadidi, Voltaire et l’Islam, Éditions Albouraq 2012, préface d’Etiemble, 268 p., 15 euros.

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