Voltaire et Rameau : une rencontre au sommet
Le Temple de la Gloire
(Rameau)
Voltaire était-il musicien ? Déjà, en 1736, il faisait dire à son Mondain, qui exaltait le bonheur de vivre de l'époque :
« Il va siffler quelque opéra nouveau,
« Ou, malgré lui, court admirer Rameau. »
Profondément classique de par son éducation, l'écrivain se voyait en tant que continuateur du Grand Siècle, celui qui avait vu la collaboration entre Molière et Lully, et qu'il allait réitérer. Par deux fois, en 1745, Voltaire et Rameau se virent confier par le Roi Louis XV un ouvrage commun. La Princesse de Navarre à l'occasion du mariage du Dauphin, puis Le Temple de la Gloire, pour célébrer la victoire de Fontenoy. Pages de circonstances donc, dans lesquelles aucun des deux artistes ne donna la pleine mesure de son génie, mais dont la mise en œuvre a certainement plu à Voltaire. Il avait déjà contacté l'auteur de Dardanus pour un Jephté avorté et il écrira plus tard un livret pour un Samson qui, lui non plus, ne vit pas le jour. Rameau utilisera ailleurs la musique composée et l'écrivain publiera le livret seul. Ce livret inspirera plus d'un siècle plus tard Saint-Saëns pour son Samson et Dalila.
Si la collaboration entre ces deux figures prestigieuses du Siècle des Lumières ne donna pas les fruits attendus, Le Temple de la Gloire n'en est pas pour autant une œuvre négligeable. L'Opéra Royal de Wallonie présentait, en concert, la version remaniée de 1746, dont une bonne moitié n'a jamais été rejouée depuis la création. Il s'agissait donc d'un événement important, auquel un public très nombreux assistait, d'autant plus que le spectacle ne se donnait que deux fois : ce 12 octobre à Liège et le 14 à Versailles.
Malgré une trame assez aride, Voltaire parvint à écrire un livret « philosophique » : après un prologue confié à l'Envie enchaînée au Temple de la Gloire par Apollon, l'entrée du Temple se voit refusée deux fois, tout d'abord au cruel tyran Belus et à son épouse Lydie, puis à tout un groupe : Bacchus, sa maîtresse Erigone et leur joyeux cortège de bacchantes. Ici se place un des rares vers audacieux de Voltaire :
« Bacchus, qu'on célèbre en tous lieux,
« N'a point ici la préférence;
« Il est une vaste distance
« Entre les noms connus et les noms glorieux ».
Seul le vertueux empereur Trajan, qui console l'impératrice Plautine, rentrant de campagne et pardonnant à ses ennemis, aura, grâce à sa clémence, les honneurs du Temple, qu'il renommera « Temple du Bonheur ». L'allusion à Louis XV était claire. L'opéra a bénéficié des meilleurs interprètes (le ténor Pierre Jélyotte, la soprano Marie Fel, la danseuse Camargo) et fut représenté trente fois. Même si l'inspiration de Rameau n'est pas d'un niveau constant, les pages remarquables abondent, dès la vigoureuse ouverture avec cors et timbales, ou l'entrée de l'Envie au début du prologue, terrifiant air de basse.L'acte de Belus comporte un bel air de soprano, une curieuse musette, de beaux chœurs de bergers et une ravissante danse finale avec basson solo.
L'acte de Bacchus, lui, est plus inégal, à part un air pour la bacchante soliste et la dramatique intervention du grand prêtre refoulant le dieu devant la porte. Plus long et imposant, l'acte de Trajan débute par une plainte superbe de l'impératrice délaissée. Après un récitatif un peu longuet (excellent continuo du clavecin et du violoncelle), l'intervention des cinq rois (cinq solistes du chœur) invoquant la clémence de Trajan est du plus bel effet.
L'opéra finit de manière fort curieuse : un air de ténor très virtuose avec gazouillis de flûte imitant les chants d'oiseau, sans aucun chœur final. Cette œuvre, intéressante, de deux génies exceptionnellement à l'unisson a été portée à bout de bras par des interprètes remarquables et convaincus. Les Agrémens et le chœur de chambre de Namur ne sont plus à présenter, ni le chef Guy Van Waas, à qui l'on doit tant de belles productions dans ce répertoire : ils brillèrent autant dans la rutilance orchestrale des intermèdes dansés (grande spécialité de Rameau) que dans les interventions chorales dramatiques ou pastorales. Le succès de la soirée doit leur revenir en grande partie. Mais les solistes, eux aussi, ont impressionné. Il faut les citer tous : la fraîche et tendre Judith Van Wanroij (Lydie, Plautine), la piquante Katia Velletaz (une bergère, une bacchante, Junie) et Chantal Santon-Jeffery, grandiose, grave Arsine, Erigone et la Gloire. Quant aux hommes, tous deux spectaculaires, comment choisir entre la basse Alain Huet (L'Envie, Belus, le grand prêtre), dramatique à plaisir - quel art de l'articulation ! - et le ténor Mathias Vidal (Apollon, Bacchus, Trajan), d'une splendide tenue vocale, mais qui avait une légère tendance à surjouer. Ce concert, introduit par Benoit Dratwicki, du coproducteur Centre de musique baroque de Versailles, fera l'objet d'un enregistrement pour le label Ricercar.
http://www.youtube.com/embed/NgqoK7t33XQ
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 12 octobre 2014.
Texte écrit pour le site de Crescendo
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