Une rentrée des classes de Catherine Bolle

Petit Lapin calé au chaud sous mon blouson, juste là où mon cœur bat, j’avance. Mon doudou ne me quitte plus depuis que le monde est redevenu comme avant. La rue est pleine de trous, je les évite comme je peux. À chaque fois que je trébuche, maman resserre sa main sur la mienne.

Nous n’habitons pas loin de l’ancienne mairie, dans un petit appartement rien que pour nous. Papa a dit que notre situation offre malgré tout des avantages. Puis il a rigolé. Ça m’a fait un bien fou de l’entendre rire. Je suis rassuré de le savoir à nos côtés tandis que nous approchons de l’école. Emmitouflé dans son épais manteau gris, il garde la tête haute et ne détourne jamais le regard. Maman n’y arrive pas. Elle souffle un peu plus à chaque pas, la gorge pleine de larmes. Son bonnet en laine lui cache presque les yeux et sa main libre s’agrippe à l’écharpe remontée jusqu’au nez.

Elle a tenu à m’habiller avec mes plus beaux vêtements, ce matin. Comme elle n’arrivait pas à boutonner ma chemise, elle a opté pour un pull vert. À qui appartenait-il avant ? Ça ne sert à rien de se poser la question, me dit sans cesse papa. Mais ça n’empêche, un autre enfant que moi l’a porté. C’était son pull.

Sans un mot, j’ai laissé maman l’ajuster.

— La rentrée des classes est un jour important, a-t-elle murmuré. Surtout celle-là.

Une question m’a aussitôt brûlé les lèvres.

— Même pour…

Je n’ai pas fini ma phrase, mais j’ai lu dans ses yeux qu’elle avait compris. Alors, elle a ajouté de sa voix rauque en déposant un baiser sur ma joue :

— Même pour un enfant comme toi.

 

Le klaxon d’une voiture me fait sursauter : derrière nous, trois gamins ont traversé la route sans regarder. Le soldat à l’intérieur du break leur fait signe de se dépêcher. Le plus grand des trois hausse les épaules et pousse les deux autres vers ce qui reste du trottoir. Le break repart en trombe. Une jambe en décomposition pend de la remorque accrochée à l’arrière. Combien y a-t-il encore de cadavres à ramasser ? Je croyais que le quartier avait été nettoyé pour la rentrée scolaire. La date a même été avancée. Comme s’il y avait urgence à retrouver une vie normale. C’est la première fois que je reprends l’école en plein hiver. De toute façon, j’ai oublié mes autres rentrées.

Les trois gamins accélèrent le pas et nous dépassent. Peut-être seront-ils dans ma classe… Le plus jeune d’entre eux ne doit pas avoir plus de cinq ans. Quatre ans de moins que moi. Soudain, ses yeux croisent les miens. Il tressaille et s’accroche des deux mains à la parka du plus grand. Je me détourne. Nous ne serons pas camarades.

— Nous arrivons, dit papa.

Je redresse la tête : au bout de la rue, des adultes sont attroupés devant une grille. Ils sont peu nombreux et discutent. Des rires d’enfants proviennent de la cour qui a été aménagée devant l’ancienne mairie.

— Regarde, susurre maman, tes futurs copains.

Papa étouffe un grognement avant de soupirer :

— Sait-on jamais.

Je ne peux détacher les yeux d’une fillette qui pousse des cris amusés face aux grands gestes d’un garçon devant elle. Elle fait mine de prendre peur et de s’enfuir. Il me faut quelques secondes pour comprendre à quoi ils jouent.

— Qu’est-ce que vous foutez là ?

Un homme nous barre la route. Dans son dos, deux femmes chuchotent en nous fixant tour à tour, papa, maman et moi.

Papa s’arrête et me tend la main. Je lâche celle de maman pour maintenir Petit Lapin contre moi, puis approche mes doigts de ceux de mon père. Serré contre son manteau, j’assiste sans broncher au face-à-face avec cet inconnu qui ne cache pas sa colère. Pas plus que ces femmes qu’une troisième a rejointes. Elles s’approchent de quelques pas et continuent de nous dévisager.

— Ils n’ont rien à faire là, lance la plus âgée.

Les deux autres approuvent. L’une d’elle va jusqu’à se pincer le nez avant de ricaner :

— En plus, ils puent !

Les autres éclatent d’un rire mauvais. Maman tire sur la manche du manteau de papa.

— Rentrons !

Sa voix rauque est cassée par l’émotion. Celle de mon père aussi, malgré la hargne qui le gagne.

— Non. Le petit a le droit d’aller à l’école. Au même titre que les autres enfants.

L’homme émet un juron et crache à terre.

— C’est ça le problème. Ici, nous accueillons les enfants. Pas ça.

Il me désigne du menton. Une grimace de dégoût déforme sa bouche. Les doigts de papa se crispent sur mes phalanges à me faire mal. La boule au fond de ma gorge grossit et devient douloureuse. Prête à renoncer, maman a déjà reculé d’un pas. À présent, ils sont cinq, alignés devant la grille de l’école comme un mur infranchissable. Je jette un œil aux enfants qui poursuivent leurs jeux en toute innocence. Mon rêve de les rejoindre est en train de s’effondrer.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?

Un homme en costume noir vient de sortir du bâtiment qui abrite l’école. Il se dirige dans notre direction.

— Ne te mêle pas de ça, l’Éclaireur, lui lance le méchant homme. C’est pas tes oignons.

L’Éclaireur… Celui de la guerre ?

Sans tenir compte de ces paroles, il avance. Les femmes s’écartent.

— Je suis monsieur Louvert, l’ami. L’Éclaireur a posé ses armes pour redevenir l’instit qu’il était autrefois, fait-il en resserrant sa cravate.

— Mais enfin, tu ne peux pas mélanger nos enfants avec ceux-là ! hurle l’homme en pointant son index sur moi.

Mon père serre le poing et fait un pas en avant. Aussitôt, l’ancien Éclaireur lui fait signe de se calmer. Il se campe devant l’homme au regard mauvais et détache chaque syllabe sans cesser de le fixer droit dans les yeux :

— Tous les enfants en âge d’être scolarisés ont leur place dans mon école.

Malgré son costume propre, c’est le chef de guerre qui vit à nouveau en lui. Celui qu’ils ont tous suivi pour survivre pendant l’épidémie. Papa m’a raconté comment il s’y était pris pour ramener l’ordre dans la ville.

L’homme ne proteste pas. Il finit par baisser les yeux.

— Comme tu voudras. Mais fais en sorte qu’il n’arrive rien à nos enfants.

— Je m’y engage, soupire l’Éclaireur.

L’autre ne l’écoute déjà plus. Il crache une dernière fois par terre et tourne les talons.

— Bien, la classe va pouvoir commencer, conclut l’instituteur.

Il se tourne vers moi et pose sa main sur mon épaule. Ça m’arrache un frisson, personne ne m’a touché depuis longtemps, à part mes parents.

— Viens, bonhomme. Comment t’appelles-tu ?

— Har… Har… Harry.

— Bien. Suis-moi, Harry.

Le sang monte à mes joues. J’espère qu’il ne m’interrogera pas, les mots peinent tant à sortir de ma bouche. Maman dépose un baiser rapide sur mon front. Nous évitons de nous regarder. Papa marmonne un « merci » à peine audible à mon nouvel instituteur qui lui répond d’un hochement de tête, puis mes parents font demi-tour. Je leur fais un signe de la main, resserre mes doigts sur Petit Lapin et entre dans la cour de l’école à la suite de celui qui vient de nous aider.

Un sifflet coincé entre ses lèvres, Monsieur Louvert fait signe aux élèves de rejoindre la lourde porte en bois. Ils accourent et se rangent deux par deux. Je les compte mécaniquement : ils sont quatorze. Dix garçons et quatre filles. Tous d’âge différent. Trois d’entre eux sont déjà des adolescents. Tous me détaillent de la tête aux pieds. Je baisse la tête et me place derrière eux. Lorsque je passe devant monsieur Louvert posté à l’entrée du bâtiment, il me glisse à l’oreille :

— Ne t’inquiète pas, ils finiront par t’accepter.

Le sourire qui accompagne ses paroles me fait si chaud au cœur que j’ai envie d’y croire.

 

À mon entrée en classe, tout le monde se tait. Les enfants me dévisagent comme leurs parents l’ont fait dans la rue. Je baisse la tête et avance dans la salle. Comme je m’y attends, toutes les places sont prises. Toutes sauf une, au fond. Je m’y dirige déjà lorsque monsieur Louvert interpelle une petite fille au deuxième rang.

— Carla, laisse ta place à Harry, s’il te plait.

— Harry ? Oh non, monsieur ! Pitié, me placez pas à côté de lui ! proteste le voisin de table de Carla, le grand qui a aidé ses copains à traverser la route.

L’Éclaireur le fait taire d’un regard.

— Ça suffit, Dan.

Il ajoute dans un soupir :

— Je vais vous apprendre à vivre ensemble, les enfants. Allez, Harry, viens t’asseoir.

J’ose à peine tirer la chaise, elle crisse sur le plancher en bois. Dan détourne la tête d’un air écœuré. C’est donc vrai que je sens mauvais ? Je m’assois puis porte Petit Lapin à mon nez : l’odeur de mon doudou m’est familière, je ne distingue rien de la puanteur dont parlent ceux qui n’ont pas été infestés. J’installe mon doudou au coin de la table en bois. Tant pis si les autres se moquent de moi. Mon enfance n’est pas loin, après tout. Et je l’ai si peu vécue.

 

Monsieur Louvert nous demande d’ouvrir notre cahier à la première page et d’écrire notre nom. Depuis combien de temps est-ce que je n’ai pas tenu un stylo ? Ma main tremble. Et si je n’y arrivais pas ? Je prends une profonde inspiration et me lance. Mais je secoue la tête devant ce premier essai. Mon H ressemble à une maison en ruines.

— Alors, les enfants, vous vous en sortez ?

La voix de la petite Carla s’élève du fond de la classe :

— Je ne sais pas encore écrire. Tu vas m’apprendre ?

L’instituteur s’approche d’elle et lui répond en rigolant :

— Bien sûr, Carla. Chacun apprendra à son rythme.

Il ajoute plus bas, comme pour se parler à lui-même :

— Peut-être pourrons-nous former deux groupes de niveaux différents si un autre instituteur vient m’épauler…

— Dans ce cas, il faudra mettre Harry dans le groupe des petits, il ne sait pas écrire !

Je me tourne vers Dan qui observe en ricanant les lettres que j’ai tracées. Devant mon air ahuri, il ajoute en se pinçant le nez :

— Hey, ferme la bouche, ça pue comme dans un charnier !

Les rires des élèves résonnent dans la salle. Un charnier… Savent-ils de quoi il s’agit, au moins ? Un frisson de haine descend le long de ma colonne vertébrale, je n’aurais pas dû venir à l’école…

— Ça suffit !

Monsieur Louvert frappe un grand coup sur son bureau. Le silence est immédiat. Il passe une main sur son visage avant de soupirer.

— Bien. Changement de programme.

D’un air détaché, il s’empare aussitôt d’un livre. Il tapote la couverture.

— Je vais vous raconter une histoire. Écoutez attentivement.

Il s’assoit sur le bord du bureau, tourne les premières pages et commence sa lecture.

— Mr et Mrs Dursley, qui habitaient au 4, Privet Drive, avaient toujours affirmé avec la plus grande fierté qu’ils étaient parfaitement normaux, merci pour eux. Jamais quiconque n’aurait imaginé qu’ils puissent se trouver impliqués dans quoi que ce soit d’étrange ou de mystérieux.

Il poursuit sa lecture en relevant par moment le nez sur nous. Son regard s’illumine à chaque phrase qu’il voit entrer en nous, comme si notre imagination dansait devant lui.

Lorsqu’il s’arrête, plusieurs enfants réclament la suite. Il referme le livre et nous observe, un sourire aux lèvres.

— Alors, de quoi parle le début de l’histoire ?

C’est Dan qui lève le doigt en premier.

— Oui ?

— D’un enfant pas comme les autres.

Il renifle avant d’ajouter :

— Je sais pourquoi vous avez choisi ce bouquin. Vous voulez nous faire comprendre qu’on doit accepter les gens pas normaux.

Il ne peut s’empêcher de tourner la tête vers moi. Toute la classe me fixe. Sa voix résonne et me fait mal quand il achève de cracher le fond de sa pensée.

— Mais c’est faux. Ils resteront anormaux quoi qu’on fasse. Ils n’auraient pas dû survivre.

Monsieur Louvert se lève. Son ton très calme m’apaise à peine.

— Tu te trompes, Dan. L’épidémie a tué beaucoup de monde. Personne, dans cette classe, n’a été épargné. Moi-même, j’ai…

Il ferme les yeux deux secondes avant d’enchaîner :

— Bref, nous avons tous beaucoup souffert. Et tu as raison, j’ai choisi cet extrait pour qu’on puisse discuter de tout ça une bonne fois pour toutes. Les personnes comme Harry vivent avec nous désormais, elles font partie de la société et nous devons les accepter.

Son regard s’attarde sur moi. Sur mon crâne à moitié chauve, sur mes joues et mes mains pleines de cloques. Maman dit qu’elles finiront par se refermer, mais est-ce que je retrouverai un jour une apparence normale ? Monsieur Louvert penche la tête.

— Ces personnes souffrent sans doute plus que nous. La science a réussi à les guérir, mais ils garderont au plus profond de leur chair les traces de la maladie.

Dan grince des dents.

— Oui, Dan ?

Il hésite, avant de soupirer :

— Non, rien.

— Dis-nous ce que tu penses, l’encourage Monsieur Louvert.

Puis il s’adresse à toute la classe, comme si nous étions des personnes de la plus haute importance.

— Vous devez vous exprimer, mettre des mots sur ce que vous ressentez au plus profond. L’avenir dépend de vous, à présent.

Dan se lève. Sa chaise bascule et tombe lourdement.

— Ok, alors je vais vous dire ce que j’ai sur le cœur.

Il me pointe du doigt. Ses yeux remplis de haine me glacent d’effroi.

— Lui, il a encore ses parents alors que les miens sont morts. Vous trouvez ça normal, vous ?

Un sanglot s’étouffe dans sa gorge. C’en est trop. Comment est-ce que j’ai pu imaginer que les choses seraient de nouveau comme avant ? Que j’allais redevenir un élève comme les autres, apprendre à lire, écrire, rêver ? Aucune leçon de notre instituteur ne réussira à faire taire la haine en eux. Je prends délicatement Petit Lapin et me lève à mon tour. Je me racle la gorge.

— Je… vais…ren…rentrer chez…moi.

— Non, Harry !

Monsieur Louvert se précipite à mes côtés. Il pose son livre sur ma table et me prends par les épaules.

— Non, tu vas rester. Sinon, tout est perdu d’avance.

— Qu’est-ce qui est perdu d’avance ? demande Dan avec la même agressivité dans la voix.

L’ancien soldat cherche ses mots. Il pose sur l’adolescent un regard à la fois ferme et bienveillant.

— La cause pour laquelle je me bats depuis des mois. La paix.

Cette fois, Dan ne répond rien. Monsieur Louvert lui demande de ramasser sa chaise, puis récupère son livre. Nous nous rasseyons en silence. Je ne peux détacher mes yeux de la couverture du roman : c’est celui que maman adorait, autrefois. Elle le gardait précieusement sur sa table de chevet. Alors que monsieur Louvert repart vers son bureau, une photo s’échappe des pages et tombe aux pieds de ma table. Je me baisse pour la ramasser. Mais mes doigts s’arrêtent au-dessus du portrait de la fillette.

Ce visage, ces beaux cheveux blonds et ces yeux bleus un peu trop enfoncés me sautent à la figure. D’un coup, le souvenir le plus profondément enfoui en moi resurgit.

 

Il faisait très chaud. Nous nous étions réfugiés, papa, maman et moi dans un vieil appartement abandonné. Maman était très malade. Elle avait faim, mais la nourriture que papa nous rapportait était insuffisante. Il n’avait rien trouvé de frais depuis des semaines.

Je passais mes journées au chevet de maman. Allongée sur un lit, elle respirait avec difficulté. Les os de son visage ressortaient sous sa peau à me faire peur. Je n’osais même plus caresser sa joue. Les cloques sur ses bras et son ventre s’élargissaient. Elles menaçaient de recouvrir tout son corps.

Les voitures de l’armée circulaient de plus en plus en ville. On entendait le bruit des moteurs et à chaque fois, maman sursautait. Elle voulait me prendre dans ses bras, mais elle n’en avait plus la force. Je savais que s’ils nous trouvaient, ils nous tueraient.

Un soir, papa était rentré les mains vides. Il avait été surpris durant sa chasse par des militaires. Ses yeux devenaient fous, il me faisait encore plus peur que maman. Alors, la nuit suivante, j’étais sorti. J’avais quitté l’appartement sans me faire remarquer. Pour aller où ? Sur le coup, je n’avais pas réfléchi. Je voulais juste agir, essayer à mon tour de rapporter quelque chose à manger.

L’air de la ville était brûlant, où peut-être était-ce la fièvre en moi. Je me faufilais entre les voitures abandonnées pour ne pas me faire remarquer. La pleine lune guidait mes pas et je prenais garde de repérer mon chemin pour pouvoir retrouver l’appartement. Ce qui m’effrayait le plus était de tomber sur un corps en décomposition. Il y en avait plein. Lorsque l’un d’eux me barrait la route, je l’enjambais du mieux que je pouvais, en évitant de croiser ses yeux.

J’étais sur le point de faire demi-tour quand je l’avais entendue.

 

Cachée derrière une voiture à quelques mètres de moi, elle sanglotait. Je m’étais approché sans bruit. La faim tordait mes boyaux, mon ventre prenait le dessus sur toutes mes autres pensées. Même le souvenir de maman devenait flou face à mon besoin de manger. Lorsque la fillette m’avait aperçu, elle en était restée pétrifiée. Les deux mains sur sa bouche, elle retenait un cri qui ne réussissait pas à sortir. À cet instant, le moteur d’un véhicule s’était fait entendre. Des soldats s’approchaient, au bout de la rue, ils allaient venir et me prendre mon repas. Alors je n’avais pas réfléchi…

 

Un toussotement me tire de mes pensées. Monsieur Louvert s’est penché à son tour pour ramasser la photo. Ses doigts frôlent les miens.

— C’est Anna, ma petite sœur.

Perdu dans ses souvenirs, il fixe le portrait.

— Elle a disparu l’été dernier. C’est bête, mais j’ai toujours gardé l’espoir de la retrouver. Je me dis qu’un jour peut-être, elle sera assise là, parmi mes élèves…

Dans un geste nerveux, je secoue la tête. Il relève les yeux sur moi et se fige. Je baisse aussitôt les miens.

— Tu la connais ? Tu l’as vue ?

Je ferme les yeux. Je revois le visage de papa à mon retour à l’appartement. Le sursaut plein de vie de maman. Bien sûr, je m’étais servi en premier, au coin d’une rue, mais il en restait assez pour tous les deux. Pour redonner des forces à maman. Pour survivre…

— Harry, réponds-moi.

Je relève la tête sur mon instituteur. Est-ce qu’il sera assez fort pour entendre la vérité ? Est-ce que je trouverai les meilleurs mots pour lui expliquer que je n’avais pas le choix ? Que maintenant que nous sommes guéris, nous voulons tirer un trait sur le passé, comme dit papa ?

Je n’hésite pas longtemps.

— Non, je… je ne la con… connais pas. Dés… désolé.

Monsieur Louvert pousse un soupir de soulagement.

— C’est moi qui suis désolé, petit. Je ne voulais pas t’embêter avec mes questions.

Puis il se redresse et repart d’un pas plus lourd à son bureau.

 

 — Oh, regardez ! s’exclame la petite Carla. Il neige !

Tous les enfants se précipitent aux fenêtres. Petit Lapin serré contre mon cœur, je m’approche. Les flocons tombent sans s’arrêter. Une brusque envie de les sentir sur mon visage monte en moi. En nous tous. Monsieur Louvert n’attend pas leur demande. Il ouvre grand la porte, les enfants s’engouffrent dans le couloir qui mène à la cour. Je les suis. Comme les autres, je me mets à tournoyer sur place, la tête tournée vers le ciel. Un peu en retrait de mes camarades, mais pas loin non plus.

 

Références du roman cité : J.K. Rowling, Harry Potter à l’école des sorciers.

 

Ou à télécharger en PDF http://www.phenixweb.info/sites/default/files/Une-rentreee-des-classes-c...

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