Ténèbre
Nous sommes en 1890, l’Afrique est un continent morcelé par les colonisations, et chacun se dispute la part du lion sans se préoccuper des autochtones réduits à l’état d’esclaves. Parce que le roi des Belges ne supporte plus les exactions des colons anglais et français sur son propre territoire, il décide de dépêcher sur place un géomètre pétri d’ambition mais sans aucune réelle connaissance des lieux. Il a pour but de cartographier les limites exactes de ce Congo belge. Accompagné par un maître tatoueur chinois, bourreau spécialisé dans la découpe de ses victimes, Pierre Claes s’enfonce dans ces terres inconnues et hostiles.
Lorsque le lecteur ouvre le roman de Paul Kawczak, Ténèbre, il se retrouve immédiatement dans un univers poisseux, entre un voyage initiatique et la violence crue de la réalité coloniale. Un roman dont l’ambiance pour un peu rappellerait celles des films de Werner Herzog avec Klaus Kinski Aguirre et Fitzcarraldo. Piégé par ce milieu chaud et humide qui pourrit les corps et corrompt les âmes, Claes se voit peu à peu transformé, englouti par le continent, malade de la malaria qui le laisse à moitié mourant et halluciné tandis que son bourreau amoureux accomplit son œuvre de mutilation.
Ténèbre est un roman dur où l’espoir n’est pas permis. Ce qui est noir, ce n’est pas ce continent tel qu’on le qualifie à l’époque, mais bien l’esprit de ces envahisseurs, de leurs motivations et aussi de leur destin. Le final, d’ailleurs, dans une colonie pompeusement baptisée Harmonie et où les fondateurs s’escriment à créer une société égalitaire entre blancs et noirs et où la sexualité s’avère aussi libre que débridée, est le révélateur de ce récit tragique où tout finit dans une explosion grotesque.
Ténèbre est un roman rare, indiscutablement d’une grande qualité, mené d’un bout à l’autre par un auteur inspiré et que je ne saurais que conseiller sans réserves.
Je remercie les éditions J’ai Lu pour leur confiance.
Paul Kawczak - Ténèbre - Editions J’ai Lu - Aout 2021 - 7,90€