Sur l’écriture

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Sur l’écriture rassemble plusieurs lettres issues de la correspondance de Charles Bukowski avec des auteurs, éditeurs, chroniqueurs, sur une période qui s’étale de 1945 à 1993, depuis ses échecs jusqu’à ses succès, depuis la misère jusqu’à la fortune, depuis l’anonymat jusqu’à la célébrité.

 

L’auteur

Heinrich Karl Bukowski est né le 16 août 1920 à Andernach en Allemagne et décédé le 9 mars 1994 à Los Angeles. Arrivé aux USA en 1923, en pleine crise économique, il vit une enfance difficile, marquée par la tyrannie d’un père qui les battait lui et sa mère.

Bukowski est un enfant solitaire, mal dans sa peau, isolé et rejeté. Il découvre la poésie et la littérature en même temps que l’alcool. A 17 ans, rentré ivre d’une soirée, il répond aux coups de son père pour la première fois. Il le met KO et cet évènement marque un tournant décisif dans sa vie. En 1940, il entre à l’université pour suivre un cursus de journalisme. Il cumule les petits jobs, boit de plus en plus, vit dans des chambres d’hôtel miteuses. Il affirme avoir connu sa première expérience sexuelle très tard, avec une prostituée. Mais surtout, il écrit. La machine est lancée et rien ne l’arrêtera. Ses mentors s’appellent John Fante, Céline, le Hemingway des débuts, Dostoïevski, Henri Miller. Il écoute de la musique classique (Mahler, Chopin) sur une radio pourrie, vit de petits jobs, s’enivre, est un temps SDF, manque de mourir d’une hémorragie digestive, songe au suicide. Surtout, il écrit. Poèmes, nouvelles, romans, notes sur des bouts de journaux trouvés dans la rue, qui s’envolent dans le vent. Personne ne veut de ses textes qui sentent la canaille, la sueur et la rue, écrits avec les tripes, bruts de fondement. Il faudra des années pour qu’il soit publié et plus encore pour qu’il soit reconnu à sa juste valeur : celle d’un géant, d’un artiste au sens large (il s’adonnait également à la peinture et au dessin, avec talent), qui révolutionna la littérature et qui est maintenant considéré par certains comme le plus grand poète américain.

 

Mon avis

Charles Bukowski. La seule évocation de ce nom suffit à faire trembler les citadelles de la morale et à déclencher des polémiques incendiaires. Bukowski garde pour certains l’image d’un fou, alcoolique et asocial, qui se complaisait dans ses perversions et affichait ostensiblement ses pulsions de viol et de meurtre. Pour d’autres, il était un génie, un artiste entier et trop souvent incompris, capable de tout sacrifier à son art.

Les années ont permis de faire décanter son œuvre monumentale. Trop conscient de la vanité qu’il y avait à se proclamer écrivain, Bukowski aurait sans doute pensé qu’on ne pouvait juger l’œuvre d’un auteur qu’une fois celui-ci enterré six pieds sous terre. En France, dites « Bukowski » et l’on vous répondra « Apostrophes », tant la séquence du colossal écrivain titubant sur le plateau et insultant Bernard Pivot après avoir peloté sa voisine est devenue légendaire. Peut-être avait-il compris avant tout le monde que trop souvent en art, le public prend la proie pour l’ombre et passe à côté de l’essentiel. Les images de Nabilla assaillie de journalistes et de photographes au dernier salon du livre de Paris donnent à cette vision, qui transparaît dans presque chacune des lettres de ce recueil, un caractère prophétique. À l’heure des réseaux sociaux, Bukowski se serait sans doute suicidé à vingt ans.

Avant d’être un ermite alcoolique (ce dont il ne se cache nullement), Bukowski était d’abord et avant tout un écrivain prolifique. Il écrivait sans cesse : romans, nouvelles, mais surtout et d’abord de la poésie, s’appliquant à chaque fois qu’il s’installait derrière sa machine à garder le même état d’esprit incendiaire. Il apportait un soin tout particulier à rédiger sa correspondance. La plupart de ses lettres ressemblent à ses poèmes et réservent quelques passages à secouer les tripes et le cœur.

 

Écrire est une forme de survie, une nourriture, une vitamine, une boisson, une baise torride, en plus d’écrire cette machine nettoie et broie, assainit et prie. […] Tout ce dont j’ai besoin c’est du papier, des rubans de machine à écrire, quelque chose à bouffer et un endroit où squatter.

 

Bukowski était entier, ne trichait pas et regardait la réalité en face. Il crachait sur le papier le monde tel qu’il le voyait, loin des images préfabriquées construites par des experts en marketing. Il détestait les auteurs, les lectures et les salons littéraires et supporta mal la célébrité une fois qu’elle vint. Il n’hésitait pas non plus à dénigrer les auteurs qui ne lui plaisaient pas, même s’ils étaient morts (Shakespeare en prend pour son grade) ou à la mode (il réfuta toujours l’étiquette Beat, s’en prenant à Ginsberg ou Burroughs qu’il accusait d’être artificiels). Ces caractéristiques lui valurent d’être longtemps moqué, déconsidéré, quand il n’était pas tout simplement haï. Débarrassé du vernis de la fiction, les lettres présentées dans ce recueil nous dévoilent le visage d’un homme blessé par la vie, un écorché vif, un boxeur qui rendit coup pour coup et refusa de plier le genou.

Sur l’écriture est un trésor qui ne doit pas être réservé aux seuls fans de Bukowski, mais qui ravira tous les amateurs de littérature. Il est rare de pouvoir partager ainsi l’intimité d’un auteur légendaire.

 

La nature de mon personnage ou le nombre de prisons dans lesquelles j’ai croupi, ou bien la quantité de cellules, salles de soins, beuveries, ou de lecture de poésie sans âme qui vive auxquelles j’ai pu échapper, là n’est pas la question. Il suffit de regarder les mots qu’il sculpte sur une feuille de papier blanc pour savoir si un homme a une âme ou pas. 

 

Sur l’écriture par Charles Bukowski, Au Diable Vauvert, 2017 

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