Salut à toi O mon frère

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"Un père, une mère et leurs six enfants. Deux filles, quatre garçons. Une équipe mixte de volley-ball et deux remplaçants, ma famille au grand complet. Neuf en comptant le chien. Onze si l’on ajoute les deux chats". La grouillante et fantasque tribu Mabille-Pons : Charles, clerc de notaire pacifiste, Adélaïde, infirmière anarchiste et excentrique, les enfants libres et grands, trois adoptés. Le quotidien comme la bourrasque d’une fantaisie bien peu militaire. Jusqu’à ce 20 mars 2017, premier jour du printemps, où le petit dernier manque à l’appel. Gus, l’incurable gentil, le bouc émissaire professionnel, a disparu et se retrouve accusé du braquage d’un bureau de tabac, mettant Tournon en émoi. Branle-bas de combat de la smala ! Il faut faire grappe, retrouver Gus, fourbir les armes des faibles, défaire le racisme ordinaire de la petite ville bien mal pensante, lutter pour le droit au désordre, mobiliser pour l’innocenter, lui ô notre frère.

 

Je l’ai déjà écrit par ailleurs – avec l’âge, je ne sais, je radote – la littérature française ne possède pas vraiment une tradition du polar humoristique. A l’ombre de San Antonio, ils sont rares ceux qui se lancent dans l’exercice. Pourquoi ? Sans doute d’abord parce que ce n’est pas facile. L’humour reste une arme difficile à manier. D’autant plus en ces temps troublés, où le politiquement correct, la police de la pensée et la caisse de résonance des réseaux sociaux offrent des marges de manœuvres bien étroites aux trublions de tous bords. Que naisse une blague, une vanne, un jeu de mots… et il se trouvera toujours bien quelqu’un pour s’en offenser, pour s’en emparer, lui donner de l’importance et transformer une saillie en objet de croisade.

Seconde explication, peut-être ? Manier l’humour demande une solide dose d’auto-dérision. Un regard en biais sur les codes. Une transgression. Une critique. Une distance. Autant d’éléments qui sont complexes à manier dans un contexte de sacralisation de la littérature, tel que celui qui baigne les lettres françaises. Il suffit pour s’en convaincre de voir avec quel sérieux, quelles pompes, quelles références sont traités la rentrée littéraire (pardon, la Rentrée Littéraire) ou encore la saison des prix.

 

De tout cela, dans son dernier roman, Marin Ledun n’en a cure. Et c’est tant mieux. Un bâton de dynamite dans une main, son clavier dans l’autre, il investit un personnage principal féminin d’une telle énergie, d’un tel humour, d’un tel regard et d’une telle tendresse, qu’il parvint à emporter le lecteur dans un univers à la fois drôle, décalé, humain… et empli de sens.

Il n’y a pas à s’y tromper. Dans Salut à toi mon frère, l’auteur a compris que la fonction première de l’humour est d’offrir un regard original sur les réalités de la vie. De la lutte des classes au mariage pour tous, du racisme aux préjugés, tous les sujets sont ici abordés avec intelligence et légèreté. Sans jamais se muer en pompeux moralisateur, Marin Ledun utilise le rire à bon escient. Il ne se moque jamais, il pointe avec malice et intelligence les petits (et les grands…) travers de notre société enferrée dans son conformisme et ses contradictions. Tout cela sans oublier de tricoter une intrigue policière, en forme de « mais bon sang, si ce n’est pas lui, c’est qui donc ? », dont la résolution joue, toujours avec le sourire, sur les attentes.

Bref, une réussite, dont le ton, les personnages, l’intrigue et les idées ne laisseront personne indifférent.

 

Interview de Marin Ledun ici

Salut à toi ô mon frère par Marin Ledun, Gallimard

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