Saint-Judas-de-la-Nuit

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Dédié à Henri Vernes, « en gage de mon indestructible amitié », paru en 1964 l’année même de sa mort, Saint-Judas-de-la-Nuit est un roman difficile à résumer en quelque lignes. Il représente en tout cas la quintessence de ce que faisait Jean Ray, immense auteur de fantastique à l’égal d’un Lovecraft ou d’un Poe, mais n’ayant malheureusement pas bénéficié d’une même couverture. C’est donc tout à l’honneur d’Alma Editeur de nous permettre de redécouvrir enfin ses plus beaux textes que l’on ne trouve plus guère qu’en fouillant les bouquinistes à la recherche d’un exemplaire de la défunte Marabout ou NéO. Roman compliqué à lire, parce que l’auteur le découpe en 8 chapitres séparés par ce qu’il appelle des interférences, au nombre de 5. Des changements brusques dans la narration qui se révèlent assez déboussolantes de prime abord, mais qui font toute la force de ce (trop) court récit.

Une histoire qui n’est pas sans rappeler Malpertuis d’ailleurs un autre chef-d’oeuvre de l’auteur flamand.

Qu’en est-il de l’histoire en elle-même? Elle tourne autour d’un manuscrit maudit, le Grimoire Stein, et de son auteur, Judas Stein Von Ziegenfelsen, investi de pouvoirs terrifiants, d’une église à Nuremberg, l’église Saint Sebald, où une châsse (un reliquaire) est décrite dans ledit manuscrit. C’est aussi l’histoire d’un jeune garçon, Pierre-Judas Huguenin, à qui a été transmis ce terrifiant pouvoir par hasard, sans qu’il en ait réellement envie et dont on imagine facilement qu’il n’aura de cesse de s’en débarrasser.

C’est surtout l’histoire du père Tranquillin, dans le civil le théologien Daniel Sorbe qui, étudiant, a eu sans le savoir entre les mains quelques feuillets du livre de Stein et qui se voit investi d’une mission par son supérieur : après la découverte du carnet de notes de Pierre-Judas Huguenin, il doit se rendre à Nuremberg à l’église Saint Théobald afin d’observer de plus près la châsse, mais aussi, on s’en doute, de courir après le Grimoire… Sans dévoiler la fin, on peut déjà révéler que Tranquillin sera mis lui aussi en présence de cette puissance maléfique.

Tout au long des pages, ce qui frappe surtout, c’est la dualité des personnages, en particulier les religieux. Dans le livre-mémoire qu’il consacre à Jean Ray, Henri Vernes dit de lui qu’il était sans doute croyant pour avoir longtemps fréquenté le milieu ecclésiastique. Ce qui est sûr, c’est que dans Saint-Judas, les religieux ne sont guère représentés sous leur beau rôle : la plupart sont gourmands même en carême, soumis au péché ou désireux de le commettre (pêché de chair en particulier, pour l’abbé Capade). Ray évoque même un ivrogne notoire qui aurait pu devenir homme d’église. Jusqu’à mettre en parallèle ce qu’on appelle Dieu et le Diable, le Bien le Mal, que Jean Ray se garde de nettement séparer, faisant dire par l’intermédiaire du père Tranquillin que si Dieu ne parvient pas à apporter le bonheur aux hommes, alors il ne voit pas d’inconvénient à ce que le diable s’en charge.

Le reste du livre publié par Alma contient les travaux préparatifs à l’écriture du roman, ainsi que 11 nouvelles de qualité inégale, dont une amusante relecture d’Ulysse et Circé et une autre de Samson et Dalila, ma préférée étant sans conteste Strorchhaus ou la maison des cigognes.

Saint-Judas-de-la-Nuit - Jean Ray, Alma Editeur - oct. 18 -  18 €

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