Clé de l'abîme (La)

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Et si les écrits de H.P. Lovecraft devenaient un jour, dans un futur très lointain, du fait d’un concours de circonstances catastrophique faisant suite à la chute d‘une comète sur Terre, la nouvelle Bible sur laquelle s’appuyait la civilisation ? Et si le monde entier venait à croire à l’existence de divinités cyclopéennes surgies des étoiles ? Et si les cauchemars visqueux du solitaire de Providence devenaient le credo d’une post-humanité ayant perdu ses repères, ses liens avec le monde d’avant la catastrophe ?

Tel est l’argument fou sur lequel se base ce récit particulièrement imaginatif de José Carlos Somoza. Les quatorze chapitres de ce roman hors du commun constituent les Quatorze Chapitres de la Bible du monde dans lequel se débat Daniel Kean, le héros de l’histoire. Ils sont eux-mêmes reliés à quatorze histoires des « Mythes de Chulhu » de Lovecraft - « d’Azazoth » au « Rôdeur devant le seuil », en passant par « L’Abomination de Dunwich » et « Dans l’abîme du temps »…

Tout commence en Allemagne, à bord du Grand Train dans lequel Daniel officie en tant que modeste employé. Un kamizake agonisant, un fanatique, lui susurre à l’oreille un message sensé lui dévoiler l’emplacement d’une mystérieuse clé à même d’anéantir Dieu lui-même ! (qui sommeille éternellement dans sa Cité sous les eaux…). Daniel, qui ne comprend pas trop pourquoi on l’a choisi lui plutôt qu’un autre pour devenir le dépositaire de ce secret, dont il ne garde pas même un souvenir conscient, se voit bientôt balloté entre plusieurs bandes rivales extrêmement déterminées à mettre la main sur ladite clé. Ils exécutent sa femme et prennent sa fille en otage, afin de s’assurer de sa pleine contribution dans cette quête qui les mènera dans un premier temps au Japon, puis en Nouvelle-Zélande, avant de se conclure quelque part au beau milieu de l’Océan Pacifique…

Chemin faisant, leurs aventures nous feront découvrir une Terre où les humains sont tous des êtres de conception, ayant oublié l’époque où ils se reproduisaient naturellement, où les Amériques ont disparu sous les flots, où une bataille sans pitié oppose les tenants des différents livres de la Bible…

Somoza réussit le tour de force de construire son intrigue entière sur les écrits de Lovecraft sans citer une seule fois son nom, ni celui des protagonistes de ses nouvelles. Les croyants de cette Terre future interprètent ses histoires de manière allégorique, les faisant coller de force à la réalité, jusqu’à modifier cette dernière. Ce roman constitue donc, plus largement, une réflexion sur la croyance et son influence sur le monde. Démêler la réalité de la fiction s’avère être particulièrement ardu, toute interprétation trop littérale de textes dont il est impossible de s’assurer de la véracité ultime menant immanquablement à la violence la plus extrême, la plus dénuée de fondements.

Tout amateur un tant soit peu sérieux de l’œuvre d’H.P. Lovecraft se jettera rapidement sur cette ingénieuse variation sur un thème donné, portée par une imagination de tous les instants.

José Carlos Somoza, La clé de l’abîme, traduit de l’espagnol par Marianne Millon, couverture de Nathalie Shau, 378 p., Actes Sud

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Commentaires

excellente critique !