Robert Englund


Bon, soyons clairs, si vous êtes amateur de fantastique, de tous les fantastiques, et que vous n’avez pas vécu les années quatre-vingts sous une pierre ou par mille mètres de fond, vous ne pouvez pas être passé à côté de Robert Englund. Même si son nom ne signifie pas automatiquement quelque chose pour vous, celui du personnage qui l’a rendu célèbre ne pourra pas vous échapper : Freddy Krueger. Yes ! Le croque-mitaine d’Elm Street avec son pull crasseux à rayures, son chapeau mou et son extraordinaire gant de cuir rehaussé de griffes d’acier trempé. Lorsque Wes Craven jette sur le papier les prémices d’un scénario où un tueur en série agit depuis les rêves de ses victimes, il ne sait pas qu’il vient de bâtir les fondations d’un véritable empire de la terreur. Une institution presque qui, aux États-Unis, atteint un sommet de popularité insoupçonné. L’époque s’y prête, et pas moins de six longs métrages, une série télévisée et une autre de dessins animés mettront en scène l’homme aux griffes d’acier.

Aujourd’hui, après un petit passage à vide, dû à la fois à l’indigence de certains scénarios et à un retour en force du politiquement correct sur les écrans US, Freddy Krueger s’apprête à faire sa rentrée par la grande porte, en compagnie d’un autre assassin d’ados particulièrement apprécié : Jason, l’homme au masque de hockeyeur. Lors de notre rencontre avec Robert Englund, nous n’avons pas manqué d’évoquer le croque-mitaine d’Elm Street, mais nous avons également essayé d’évoquer d’autres sujets, comme la participation de Robert Englund à la série « V » ou encore la sortie de »Wishmaster », film produit par Wes Craven, dans lequel Englund ne porte pas une once de latex sur la tronche.

PHÉNIX : La première fois que nous, Européens, avons pu vous voir, c’était dans « V », célèbre série de SF dans laquelle vous jouiez les « gentils extraterrestres ».

Robert Englund : C’est amusant que vous me parliez de « V », parce qu’il y a des tas de rumeurs qui courent sur la reprise de la série… Du moins du tournage d’une mini-série qui bouclerait définitivement la boucle.

P : Vous y retrouveriez votre rôle ?

R.E. : Je ne sais pas. Les rumeurs sont ce qu’elles sont. Je ne sais pas s’ils reprendraient les mêmes acteurs, ou s’ils effectueraient un nouveau casting…


P. : Que pouvez-vous nous raconter à propos de cette série ?
R.E. : Tout d’abord, il est clair qu’il s’agit d’une série qui a rempli un vide dans le cœur du public américain. Lors de la sortie de la mini-série (chez nous, « V »a toujours été diffusé en épisodes de cinquante minutes, mais aux États-Unis, il y a d’abord eu une mini-série de quatre épisodes, puis une vraie série de 22 épisodes de 50 minutes), il n’y avait pas de série de science-fiction sur les écrans. Le succès était donc au rendez-vous. Pour la suite, lorsque Kenneth Johnson (célèbre producteur de télévision à qui l’on doit aussi « L’Incroyable Hulk ») est parti vers d’autres cieux, la série c’est un peu cherchée. Nous nous sommes payé les services de John Dykstra, le magicien des effets spéciaux de la Guerre des Étoiles. Nous avions donc des effets visuels extraordinaires pour une série télé, mais les coûts de production se sont également envolés… Et comble de malchance, les écoutes de la série étaient en baisse. Le couperet a fini par tomber. Ce qui est vraiment dommage, c’est que des tas de décors, de maquettes et d’effets ont été réalisés… mais pas utilisés dans la série ! Je trouve que c’était un véritable gaspillage de talent, d’argent…

P. : On se souvient que, dans le dernier épisode de la série, la jeune fille née des amours entre une terrienne et un envahisseur s’en allait rejoindre le vaisseau mère des visiteurs…

R.E. : Exact. Par la suite, la fille des étoiles, donc l’hybride entre la terrienne et le visiteur, devait peu à peu être manipulée par les lézards et se retourner contre les terriens… Par la même occasion, un des chefs visiteurs rejoignait la résistance, dégoûté par les agissements des envahisseurs… Il y avait encore des tas de choses à raconter.

P. : Jeff Yagher, qui jouait dans « V »n’est autre que le frère de Kevin Yagher, le maquilleur de plusieurs… Freddy !

R.E. : Exact. En fait, je travaillais avec Jeff sur « V »… Ah, oui, vous devez savoir que Kevin et Jeff Yagher se ressemblent très fort, physiquement d’abord, mais aussi sur le plan artistique… Kevin pourrait devenir acteur et Jeff maquilleur ou créateur d’effets spéciaux… C’est un peu bizarre. Donc, je travaillais avec Jeff sur « V ». La série est supprimée, je quitte Jeff, je rentre dans le studio où doivent se dérouler les prises de vue du second Freddy et bang ! je retrouve Kevin… J’avais un peu l’impression de faire partie de la famille.

P. : Inévitablement, nous allons parler de Freddy. Quel fut votre premier contact avec le personnage ?

R.E. : À l’époque, je travaillais donc pour la télévision, mais je traînais aussi pas mal dans les boîtes de nuit. Et dans une de ces boîtes, à l’ambiance assez gothique, il y avait une télé dans un coin qui diffusait, en boucle,« La Colline a Des Yeux » de Wes Craven. Et je trouvais ça assez bien foutu. J’avais aussi entendu dire que Wes travaillait sur quelque chose de particulier, alors je suis allé le trouver, pour qu’il me raconte ce film si original. Pour le rendez-vous, j’avais noirci le dessus de mes yeux avec de la cendre de cigarette et moi qui suis généralement assez expressif je suis resté assis presque sans bouger, mon regard planté dans celui de Wes. Après l’entretien, je suis rentré chez moi et un message m’attendait sur le répondeur téléphonique : j’avais le rôle.

P. : Vous vous êtes rendu compte que vous entriez de plain-pied dans un personnage phénoménal ?

R.E. : Non. En fait, lorsque le film est sorti, je travaillais dix heures par jour sur « V », donc je n’avais pas l’occasion de me tracasser de la destinée du film. Il faut aussi se remettre dans le contexte de l’époque. « Les Griffes de La Nuit » était un petit film, produit par une toute petite société (La New Line) sans aucune star, ni publicité. Je me suis rendu compte du succès quelque temps plus tard. Je devais aller à New York, à une convention de SF. Je devais signer des autographes aux côtés de William Shatner… Et soudain, j’ai réalisé que la file de fans était deux fois plus longue devant ma table que devant la sienne. Mais il y avait là des fans de Willy, le gentil E.T de « V »… et aussi des fans de Freddy Krueger ! Parce que le film venait juste de sortir sur la côte Est et remportait déjà un énorme succès !

P. : Au fil des années, des Freddy se sont multipliés avec des bonheurs divers…

R.E. : « Freddy’s Death », le sixième épisode, a été un gros succès. Je le sais parce que je reçois un pourcentage chaque fois que le film gagne une tranche de dix millions de dollars et j’ai reçu un chèque il y a peu… Je vous assure que 45 ou 50 millions de dollars de recette, pour un film qui en a coûté 11 ou 12, c’est un succès confortable.


P. : La question que je voulais vous poser c’est de savoir si Freddy n’a pas souffert, avec le temps, d’une surexploitation ?

R.E. : Je vais vous dire. Je ne le crois pas. Sur le plateau d’un Freddy, à la fin d’une scène, nous tournons souvent deux plans, l’un ou Freddy balance une des phrases dont il a le secret… (Englund éructe soudain avec la voix du croque-mitaine de Elm Street :) « It’s prime time, bitch ! » et l’autre plan dans un registre plus sombre, plus grinçant. Freddy peut par exemple taillader les veines de sa victime pour faire croire à un suicide… Mais une fois au montage, les producteurs choisissent toujours la version « gag ». Parce que c’est plus percutant, plus accrocheur. Alors, oui, Freddy est surexposé, mais c’est ce que les fans demandent. Ils veulent « voir » Freddy. Je crois aussi que la New Line, qui avec « Les Griffes de la Nuit » décrochait son premier gros succès, a commis quelques erreurs de stratégie, par exemple avec le merchandising. Elle aurait dû viser le public des jeunes adultes, plutôt que celui des jeunes adolescents… Mais pour eux c’était également une découverte, ils ont tâtonné un petit peu. Mais quoi qu’il en soit, le fait est que les fans veulent voir Freddy. C’est pour cela qu’ils sont là. Ils veulent voir leur héros.

P. : Dans quelques mois, les fans de Freddy vont le retrouver en compagnie d’un autre tueur en série particulièrement actif dans les années quatre-vingts, Jason, le héros de la série « Vendredi 13 ».

R.E. : Oui. À l’heure où nous parlons, mon agent est en train de négocier les termes du contrat. C’est intéressant. J’ai vu le script, et le « truc » utilisé pour réunir les deux tueurs est piquant.

P. : Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

R.E. : Non… Enfin… Si vous voulez… Je ne sais pas si je peux… Allez, je vous donne un mot : « camp de vacances ».

À ce moment, votre serviteur grince des dents. « Camp de Vacances », c’est tout de même un peu vague. Finalement, après que nous lui ayons trempé les doigts dans de la cire chaude, Robert Englund fini par lâcher quelques brides hors micro. Autrement dit, c’est lui qui nous en a parlé, mais ce n’est pas vraiment lui… Soit. Sachez tout de même que, selon toute probabilité (les choses peuvent encore changer, le tournage ne débutera qu’en septembre prochain…), Jason et Freddy se rencontreront avant les événements des Griffes de la Nuit. Imaginons un instant que Freddy Krueger, assassin d’enfants, soit concierge à Crystal Lake et que lors d’un certain camp de vacances, il s’en prenne à Jason. Le comportement du futur tueur au masque de hockey en serait certainement modifié… Reste à savoir comment les scénaristes ont ensuite orchestré la présence (attendue, comme le précise Englund plus haut) de l’homme au visage ravagé.


P. : Retour au présent avec « The Wishmaster », que vous présentez au festival du film fantastique de Bruxelles et qui a été produit par Wes Craven.

R.E. : C’est une histoire intéressante, celle d’un djiin, une divinité maléfique qui vient du fond des âges. Un mauvais génie dans le sens le plus pur du terme. Je joue le rôle d’un antiquaire – pas une once de maquillage à l’horizon ! – qui récupère la lampe dans laquelle se trouve emprisonné ce génie. Lorsque je la brise, l’enfer se déchaîne. Je ne dis pas que je suis pour autant un petit agneau innocent dans le film. Au départ, le rôle avait été proposé à Terence Stamp. Il s’agit d’un antiquaire un rien décadent, détaché des réalités, légèrement cruel. Le metteur en scène, Kurtzman, est en fait le « K » de « KNB » une des boîtes d’effets spéciaux de maquillage les plus prolifiques et les plus douées de ces dix dernières années. J’ai travaillé avec eux sur plusieurs Freddy. Le premier film de Kurtzman, « The Demolitionist » avait beaucoup plu à Wes Craven. Lorsqu’il a développé le script de « Wishmaster », il l’a proposé à Kurtzman, qui s’est montré très intéressé. C’était l’occasion rêvée pour lui de réaliser son second film.

Après quelques échanges supplémentaires et l’habituelle séance de photos, Robert Englund nous remercie et s’éloigne de sa démarche tranquille. Charmant tout de même, ce monsieur qui a foutu la trouille à la moitié de la planète en faisant grincer ses griffes d’acier sur les tuyauteries rouillées d’une vieille usine désaffectée…

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