Puits dans les étoiles (Un)
Comment s’y prendre pour concilier « Space Opera » et Théorie Générale de la Relativité ? Dans un Univers « einsteinien » (qui, à l’heure actuelle en tout cas, et ce jusqu’à tout nouveau développement de la science, est toujours le nôtre) où la vitesse de la lumière constitue la barrière supérieure pour tout déplacement, comment écrire des histoires traitant de trajets intersidéraux ? Si un vaisseau voyageait seulement ( !) à la moitié de la vitesse de la lumière, il lui faudrait déjà plusieurs années pour rallier l’étoile la plus proche de notre Soleil. Dans ces conditions, un simple tour de la Voie Lactée durerait plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires. Autant dire qu’il s’étendrait sur des durée telles qu’elles dissuaderaient tout être humain un peu sensé de l’entreprendre. Ce seraient des générations et des générations qui se succéderaient à bord avant de boucler une pareille croisière.
Robert Reed apporte une solution ingénieuse à ce casse-tête. Si les périples spatiaux s’étendent sur des millénaires, il suffit alors de prolonger l’existence humaine. Non plus par la grâce de procédés de cryogénisation, comme par le passé, mais par le biais de manipulations génétiques. Rendons les individus immortels (ou presque) et le principal obstacle à la conquête de l’Espace s’évanouira.
Les Humains qui peuplent le Grand Vaisseau du « Puits dans les Etoiles » sont parvenus à un tel stade de développement technologique que la prolongation de leur existence sur des millénaires ne leur pose pas de soucis. Là où, dans un roman traditionnel, un chapitre résumerait une journée, voire une semaine d’aventures, les subdivisions de ce roman traitent plutôt d’années, voire de siècles. Le tout sans que le résultat ne trouble outre mesure les protagonistes du récit.
Il faut dire que tout ici est disproportionné. Les habitants du Grand Vaisseau (venu du fin fond de l’Univers, construit par une mystérieuse espèce disparue, arraisonné par les habitants de la Terre qui se le sont approprié), humains ou non, sont, nous l’avons déjà vu, pour ainsi dire immortels. Mais le Vaisseau lui-même est hors du commun. De par sa taille, tout d’abord : il n’a rien à envier à une planète telle que Jupiter. Autant dire que l’on ne manque pas de place à son bord. Une myriade d’écosystèmes différents a été aménagée en son sein, afin d’accueillir des populations originaires des divers mondes de la galaxie. Mais le plus stupéfiant, peut-être, c’est la présence en son cœur d’une entité maléfique, prisonnière, qui attise les convoitises.
Second tome d’une trilogie (qui fait suite au « Grand Vaisseau », paru en 2006), ce nouveau roman gravite autour de la plongée de l’appareil au sein d’une nébuleuse impénétrable surnommée « l’Encrier ». En son sein, se terre un danger terrifiant qui menacera l’existence du Grand Vaisseau, pour ne pas dire de l’Univers tout entier. Washen et Pamir, les deux Seconds Sièges responsables de la bonne course du vaisseau/planète, vont être soumis à rude épreuve, sans que la victoire finale leur soit assurée pour autant…
Ce livre, comme tout tenant du « Nouveau Space Opera », se base sur un ensemble de considérations scientifiques des plus solides. L’ensemble baigne dans un climat d’émerveillement métaphysique qui fait plus penser à du Stanley Kubrick qu’à du George Lucas (sans jugement de valeur aucun de ma part : j’apprécie ce qu’ils font l’un comme l’autre, pour des raisons différentes). Seulement, à trop vouloir dépeindre un environnement plus grand que nature, tant spatial que temporel, Reed ne parvient pas réellement à nous attacher à ses personnages. Leurs préoccupations n’entrent pas toujours en résonance avec les nôtres, pauvres mortels que nous sommes. Le résultat se révèle donc un rien désincarné au final.
Il n’en reste pas moins que l’ouvrage se lit sans déplaisir. Il suffit de prendre un peu de hauteur et de considérer les enjeux ici décrits du point de vue du vaisseau lui-même plutôt que de ses habitants. Si l’on parvient à effectuer cet exercice mental, on peut alors prendre un réel plaisir à parcourir les pages de cette œuvre hors du commun.
Robert Reed, Un Puits dans les Etoiles, Editions Bragelonne, 452 p., traduit par Olivier Debernard