REC 1

Réalisateur: 


« [REC] » de Jaume Balaguero et Paco Plaza est sorti sur les écrans. La plupart des critiques, béotiens en matière de cinéma d’horreur, vont probablement bâcler leur papier sur le film en le noyant dans la vague des « Redacted », « Cloverfield » et « Dairy of the dead », filmés eux aussi en caméra subjective. Pourtant, le septième art en général et le film horrifique en particulier viennent de faire un nouveau pas en avant. Et cela commence dès le titre, choc, original, efficace : « REC ».

REC comme RECORDING


Balaguero (je le citerai plutôt que son ami co-réalisateur Paco Placa, car l’influence du plus grand metteur scène européen actuel est écrasante sur ce film) nous place tout de suite dans une ambiance qui nous est familière, car télévisuelle, très téléréalité. Basta le générique, les fioritures, les figures imposées, les vieilles recettes ou même les flashs épileptiques propres au style Balaguero qui nous ont faits flipper sur ses précédents films. Ici, la mission est de faire encore plus peur.

INTERIEUR JOUR, CASERNE DE POMPIERS


Face à la caméra , une jeune journaliste, aussi sympathique que débutante (magnifique Manuela Velasco), entame un reportage sur les pompiers de Barcelone. Nous sommes dans un documentaire télé, donc les deux pieds dans la réalité. Le style s’annonce dépouillé, direct, sur le vif, instinctif, sans musique. Pas d’inquiétante étrangeté à la Lynch, pas de démarrage crescendo façon « Exorciste » ou d’entrée en matière survoltée façon « Saw ». Nous sommes ici chez Balaguero, nous avons payé pour avoir peur et nous savons que ce sera le cas. Sa manière documentaire, banale, voire ennuyeuse de commencer le film nous met donc encore plus mal à l’aise car on ne sait pas quand ça va mal tourner, ni comment. Jaume Balaguero manie le doute et le suspense, deux ingrédients fondamentaux de la peur. L’angoisse peut commencer. Elle ne nous lâchera plus jusqu’à la fin.

BALAGUERO FERME LES PORTES


Il les ferme toujours, après nous avoir invités à entrer. C’est pour mieux concentrer la peur, mon enfant ! C’est la méthode « Shining ». Dans « La secte sans nom » (premier film de Balaguero, le plus terrifiant de tous les temps), il l’isole dans un motel. Dans « Darkness » il la cloître dans une vieille demeure. Dans « Fragile » il la confine à un hôpital. Dans « [REC] », il l’emprisonne dans un immeuble, mais cette fois, sans nous donner la possibilité de quitter les lieux. La tension y est donc décuplée.

PUIS, BALAGUERO LACHE LE MAL

Il le lâche là où on ne s’y attend pas. Pour mieux nous déboussoler et nous angoisser, il chamboule les codes et les repères. A l’inverse de « La nuit des morts-vivants » ou de « Assaut », l’ennemi n’est pas dehors, mais déjà dans la place.
A l’extérieur, encerclant le bâtiment, ce ne sont pas les monstres, mais les forces de sécurité qui nous empêchent de sortir. Dans « [REC] », le monstre, n’est pas un animal féroce, un serial killer ou une créature imaginaire. Il se dissimule parmi les locataires de l’immeuble. C’est notre voisin de palier. Contraste saisissant. Sa première apparition s’avère inattendue et inexplicable et donc incroyablement effrayante. Dans sa quête de la peur absolue, Balaguero fait jaillir la monstruosité et l’inhumanité en priorité chez les enfants ou les personnes âgées. C’est plus radical. Après la première apparition traumatisante et après avoir miné le hall de l’immeuble en quarantaine avec des indices qui vont nous exploser à la figure
(la fillette malade, le chien qui a été emmené chez le vétérinaire, la petite Colombienne…), Balaguero met nos nerfs à rude épreuve à coups de scènes choc hyperréalistes (la chute du pompier dans la cage d’escalier est un must). Là est la force du film. Car il rend le fantastique réel, l’impossible possible, la peur palpable. On y croit à fond. Sur un thème voisin, « 28 jours plus tard » et sa suite qui se comptait en semaines faisaient déjà bien flipper. Jaume Balaguero va plus loin en rendant la menace encore plus proche de nous. Le mal surgit de l’ordinaire. Le contraste est terrifiant entre son apparence et sa manifestation. Car les acteurs de « [REC] » ne ressemblent pas à des acteurs, la mise en scène ne ressemble pas à une mise en scène. Pas de musique, pas de mise en place des personnages, pas d’histoire sentimentale, pas d’atmosphère, pas de montage, ni de narration alternant plages de répit et scènes d’horreur. Grâce à l’emploi de la caméra subjective, Balaguero privilégie le hors-champs comme sait si bien le faire Hideo Nakata. A la différence de beaucoup d’Anglo-Saxons, il a compris que le spectaculaire est peu compatible avec la peur qui préfère l’ambiguïté, l’inconnu, l’obscurité, l’enfermement.

Pour maintenir la tension et amplifier la peur jusqu’au climax final, Balaguero joue sur l’urgence en délimitant son histoire par un compte à rebours
(l’épidémie se propage à grande vitesse) et la contraction progressive de l’espace vital (ceux qui ne sont pas encore contaminés se réfugient vers les étages supérieurs). Cette panique, qui se déclenchait à la dernière demi-heure dans ses précédents films, est présente ici dès le début puisque « [REC] » débute par une intervention des pompiers. La combinaison de l’urgence, de la claustrophobie et de la peur hisse « [REC] » vers les sommets de l’effroi.

L’intelligence de Balaguero est de ne plus faire de la caméra un vecteur de la peur, mais un accessoire du film, un élément dramatique, l’acteur principal du film. Sa présence n’est pas artificielle comme elle pouvait l’être dans « Le Projet Blairwitch » :

- Elle est justifiée au début du film car on tourne un documentaire sur les pompiers. Le cameraman, que l’on ne voit jamais, se confond dès lors avec sa caméra.

- Ensuite, elle est nécessaire pour témoigner au monde de la mise en quarantaine inique de l’immeuble et des évènements effroyables qui vont survenir à l’intérieur (la jeune journaliste a l’opportunité de réaliser un scoop).

- Dans un troisième temps, elle est vitale car elle est devenue le seul moyen de voir ce qui se passe autour de nous. Le courant est coupé dans l’immeuble et seul le projecteur de la caméra peut nous éclairer. Lorsque la lampe se cassera, on passera à la vision nocturne. On sera alors dans l’antre du monstre. On y voit de moins en moins. On sait aussi que dès l’instant où la caméra cessera de fonctionner, le film sera fini. Et que la dernière image enregistrée sera probablement effroyable.


Les deux metteurs en scène de « [REC] » ont recours à tous les niveaux de la peur : celui de la terreur en stimulant notre imagination avec les hors-champ, celui de l’horreur en nous montrant l’un des monstres les plus terrifiants que le cinéma ait pu produire à ce jour, et celui de la répulsion en nous infligeant des attaques sanguinolentes. Il s’agit de ne privilégier aucun style, car la réalité n’en a pas.

Dopé à l’adrénaline, « [REC] » cumule ainsi les images archétypales de la peur : diable, exorcisme, morts-vivants, épidémie, virus virulent, lieu hanté, meurtriers psychopathes, malformations physiques et mentales, peur du noir, expériences d’un apprenti sorcier qui a mal tourné. Toutes ces images contaminent le réel et maintiennent le plus longtemps possible l’incertitude, non seulement sur l’issue du combat mais sur l’origine du mal.
On y croit à fond mais on est sûr de rien. Au dénoue- ment - que je ne dévoilerai pas -, et seulement à ce moment-là, nous serons fixés. Nous serons également fixés sur l’état de santé du cinéma espagnol. Après « Le labyrinthe de Pan » de Guillermo Del Toro, « L’Orphelinat » de Juan Antonio Bayona, « [REC] » de Balaguero et en attendant « Agora » de Alexandro Amenabar, on peut dire que ce cinéma-là se porte à merveille.