Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce

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Une interrogation tout en nuance sur les mutations critiques de notre époque, à mi-chemin entre introspection et politique. Corinne Morel Darleux avance dans son questionnement en navigatrice attentive au risque d’écueil qui n’expose pas seulement la militante qu’elle est, mais toute l’humanité et le monde du vivant que l’anthropocène mène au naufrage.

Résultat : une écriture sensible où l’activiste et la contemplative font corps. La thésarde qui planchait sur la notion de réussite entrepreneuriale se reconnait elle-même en un Bernard Moitessier épris de liberté plus que de succès, qui préféra à la course à la gloire, l’ivresse de l’aventure. S’inspirant de ce modèle, celle qui a voulu sortir des rails tout tracés d’un conformisme carriériste et vain fait l’éloge de la sobriété émerveillée à l’heure de la surconsommation, du refus de parvenir, fût-ce en s’exposant à la précarité, de l’engagement désespéré c’est-à-dire sincère et sans illusion, de la mesure de l’instant qui fait sens et de la beauté, fragile seulement si notre attention la quitte. Aussi invite-t-elle les lecteurs à une mobilisation civile face à l’effondrement plus qu’à une naïve stratégie de survie personnelle. Nombre de références sensibles orientent en ce sens le cheminement de l’éco-socialiste, de Romain Gary à Stig Dagerman en passant par Alain Gerbault : plus des artistes, des solitaires et des tendres que des experts en climatologie ou en statistique. Les notions que l’auteur développe, en s’appuyant par ailleurs sur les propositions libertaires et les travaux de  penseurs comme Jean-Pierre Dupuy ou Ivan Illich, interrogent à ce délicat sujet notre intra-mondanité de façon critique : comment prendre la tangente, et non le large, quand notre civilisation court à l’impasse?

Le ton pour y répondre a la mélancolie des lucidités tristes mais pas celui du renoncement, car pas question de quitter le navire ; c’est celui du questionnement ému, du militantisme courageux c’est-à-dire pétri de craintes, du doute anxieux face au défi historique dont Corinne Morel Darleux, dont chacun de nous se trouve le vif contemporain et pas seulement l’observateur. Une certitude néanmoins, à cet horizon de récifs qui menace tandis que joue, à échelle planétaire, l’orchestre du Titanic : il n’est plus possible de ne pas choisir son cap dans le cours mouvant de l’Histoire tant chacun, par ses choix et non-choix quotidiens, peut contribuer à redresser l’embarcation de tous plutôt que de la laisser sombrer dans des siècles obscurs.

 

Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (sous -titre : « Réflexions sur l’effondrement » ) par Corinne Morel Darleux, Libertalia, 10€

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