Panorama de la littérature fantastique américaine

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Essayiste, anthologiste, critique et traducteur : nombreuses sont les étiquettes qui peuvent être accolées à Jacques Finné, écrivain belge et professeur de traduction à l'Institut de Zurich de 1972 à 2006. Spécialiste du fantastique, il avait fait paraître un Panorama de la littérature fantastique américaine en trois volumes, aux Editions du Céfal, à Liège, dans la collection « Bibliothèque des Paralittératures », intitulés respectivement Des origines aux pulps (1993), De la mort des pulps aux années de renouveau (1999) et Du renouveau au Déluge (2006).

 

En voici une nouvelle édition, chez Terre de Brume, cette fois en un seul gros volume, de fort belle facture. Ce n’est pas une réécriture, mais plus qu’une simple réédition. Certaines œuvres commentées ont été traduites entre-temps, la bibliographie a été enrichie et certains chapitres entièrement refondus (tel celui sur les lamies, goules, etc.). Tout comme autrefois, Finné arrête son panorama à l’année 1985 et s’en réexplique dans l’introduction : ce milieu des années 1980 voit s’éteindre le fantastique traditionnel au profit de la science-fiction ou de la fantasy. Déplorant l’omniprésence de la violence, il doit probablement également écarter le gore ou le thriller. On respectera ce choix.

Quel est le but de l’auteur ? Présenter « un petit guide sans fioriture, objectif, qui présente au néophyte une vue aussi complète que possible de la littérature fantastique américaine » (p.11). Chronologique (jusqu’en 1950), puis thématique, il se veut un guide que le lecteur est appelé à consulter souvent et, ainsi, répond à un besoin de lecteurs avides d’un solide arrière-plan du genre.

Finné reprend la division en trois parties de la parution originale. La première s’étend des origines aux triomphe des pulps. Comme la science-fiction, le fantastique trouve sa source dans le courant gothique (Mary Shelley pour la première, Horace Walpole pour le second), qu’il évoque rapidement. Suivent quatre grands bien analysés (Hawthorne, Poe, Bierce et James). L’auteur s’attarde ensuite longuement – et à raison – sur la figure essentielle d’H. P. Lovecraft qui, de nos jours encore, inspire de jeunes écrivains. Curieusement, il écarte, non sans dédain, le Cycle du Rêve, « production indéfendable » (p. 106), pour s’attacher en principal au mythe de Cthulhu, admirable de fait. Non sans humour, il prescrira même une recette pour écrire un bon roman « cthulhiste » (p. 151). De Lovecraft, il passe alors à quatre « enfants terribles » : Hearn, Merritt, Endore et Finney. Les pages sur Merritt sont particulièrement réussies. Quittant la fameuse revue Weird Tales qui domina cette époque, Finné traite, dans la deuxième partie de l’ouvrage, d’écrivains importants, lovecraftiens (Bloch, Howard, Belknap Long, C. A. Smith) ou non (Bradbury, Brown, Keller, Leiber, Matheson et Sturgeon). La partie se termine par « Ils sont revenus » : ce nouveau chapitre consacré aux figures emblématiques du fantastique traditionnel. Nous retrouvons donc les lamies, goules, zombies, loups-garous et vampires. Ce chapitre considérable est très développé (60 pages) et fait écho aux réhabilitations récentes de ces « héros » canoniques.

Avant de s’intéresser à l’incontournable Stephen King, que l’on attend au tournant, Finné aborde, dans la troisième et dernière partie, trois thématiques essentielles au genre : le fantôme, le diable et les enfants. Capital lui semble L’exorciste (1971) et les innombrables ouvrages sur les réincarnations et possessions. Très intéressantes – ou même amusantes – seront les pages consacrées aux différents pactes avec le Diable, tout comme celles dédiées aux enfants confrontés avec le fantastique, victimes, diaboliques ou monstrueux.

A propos d’Harlan Ellison, qui est décédé ce 28 juin2018, Finné parle des relations entre son sujet et la SF New Wave (p. 536). Enfin, Stephen King vint. Jacques Finné entretient avec le grand homme une relation d’amour-haine, semble-t-il, l’admirant pour certaines œuvres, tout en prenant beaucoup de recul pour d’autres. Mais Carrie, Shining et Simetierre retiennent ses suffrages. Le terme « vassaux » est bien choisi pour les suiveurs du Maître : Straub, Koontz, McCammon ou Saul. King et eux, selon l’auteur, soulignent l’impasse du fantastique contemporain, présentant une évidente répétitivité, « une triste universalité du produit reproduit ». On peut, bien sûr, ne pas être d’accord.

 

Ma conclusion personnelle sur ce constat un peu amer ? Le fantastique a une si longue – et si belle – histoire, qu’il me semble hasardeux d’en signer la fin. Et puis, qu’est-ce que le « vrai » fantastique ? Chaque genre se régénère, et pourquoi pas grâce à l’apparition de nouvelles formes d’Imaginaire ? La science-fiction comme le fantastique peuvent très bien être revitalisées par les innovations de la fantasy, du thriller ou d’un genre encore à naître. Tous ont tant d’histoire qu’ils peuvent parfaitement se regénérer.

 

Cela dit, précipitez-vous sur ce Panorama : il s’agit d’une somme unique, fruit d’une vie, et qui fera, pour longtemps, partie de la bibliothèque de base de tout amateur de fantastique et ce, pour un prix étonnamment modeste. Par l’ensemble considérable des informations recueillies et transmises et par la pertinence des jugements découlant tant d’une très longue expérience que d’une sensibilité subjective aiguë, cet ouvrage est destiné à briller au firmament des essais sur la littérature de l’Imaginaire.

 

Jacques Finné, Panorama de la littérature fantastique américaine, Terre de brume, Dinan 2018, 652 p., 25 euros.

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