Agharta, Le temps des Selkies

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Si on en croit la liste de ses œuvres en fin du roman, Arnauld Pontier est l’auteur d’un certain nombre de livres ; pourtant j’ai cru trouver dans ce roman les qualités, mais aussi les défauts d’un premier roman. À commencer par la richesse de son inventivité, une multiplication d’idées presque excessive, certaines classiques (la Terre creuse habitée par les survivants des continents disparus ou la destruction de la Terre par un géocroiseur ne sont pas nouvelles, mais sont toujours ouvertes à l’écriture de nouveaux récits), d’autres nouvelles et originales. Mais aussi hélas un excès de détails parfois inutiles à l’action, la volonté d’utiliser une gamme étendue de termes et de noms, au point de donner aux personnages des noms d’origines variées, parfois difficilement compatibles entre eux.

Je repense à ce que racontait Marion Zimmer Bradley sur ses débuts, son désir de réutiliser le plus possible des idées qu’elle avait multipliées dans ses carnets, y compris des noms récupérés dans les œuvres qu’elle avait aimées, qui ont parfois, heureusement, disparu de la version finale des deux romans situés sur la même planète, avec apparition d’un même personnage dans des rôles totalement différents, jeune héros du premier et vieux sage du second, et une masse de contradictions entre les deux cadres des histoires. Il est vrai que ce qui n’était pas encore dans l’esprit de l’auteur destiné à devenir une saga a été au début écrit au coup par coup et sans aucun effort pour coordonner les récits... Dans Agharta aussi, cette accumulation d’idées sur le monde de départ et sur l’aventure amène, parfois, des contradictions plus ou moins graves sur les attitudes et évolutions des personnages.

Le phénomène dont Marion Zimmer Bradley, relisant ses œuvres vingt ans plus tard, était consciente, est courant. Vouloir trop en faire, ne rien couper de ce qu’on a voulu ajouter à l’histoire, est malheureusement le plus sûr moyen de le provoquer. Mon professeur d’atelier d’écriture portait, avec plaisir, le surnom de Docteur Jivaro, réducteur de textes : la première demande qu’il faisait devant un nouveau texte était : « Enlevez-moi la moitié de la longueur ; si vous y arrivez, recommencez ; et quand vous n’arriverez plus à le faire, dîtes-moi pourquoi tout ce que vous laissez est indispensable »...

Au nombre des défauts qui ont terni mon plaisir de lire une histoire intéressante, il y a un certain nombre de fautes de rédaction, d’emplois de termes français dans le sens de l’homonyme américain (voire un verbe, impropre en français pour l’action décrite, conjugué en américain : s’expand alors que le verbe expanser n’a pas de forme pronominale ni la signification désirée ; il y a sur Internet une page de discussion sur ce non-verbe : http://forum.wordreference.com/showthread.php ?t=1227255&langid=6 ).

J’avais commencé à noter les défauts les plus choquants, j’ai perdu les tickets qui comportaient les références. De même que je crois qu’une partie des explications para-scientifiques (parfois inutiles) est pour le moins approximative ; je ne suis pas omniscient, l’auteur non plus sans doute, il est inutile de prétendre tout savoir... Surtout si, par suite d’une faute de frappe ou de relecture, on finit par lire que l’univers observable a quinze années lumière de diamètre... Dans d’autres endroits, je ne suis pas sûr qu’il y ait erreur, le lecteur aussi peut se tromper...

Mais, pour en revenir à Agharta, de quoi est fait ce roman ? Que s’y passe-t-il ?
En 2002, des savants travaillant dans l’Antarctique découvrent, ou plutôt sont invités à découvrir, l’existence, à l’intérieur de la Tertre, d’une civilisation souterraine, Agharta, qui réunit les survivants de l’Atlantide, de la Lémurie et du continent Mu, qui auraient été trois continents séparés, tous trois habités par des hommes venus d’un monde disparu, d’une planète de l’étoile Eridan. Et qui ont anéanti les continents qu’ils habitaient au cours d’une guerre entre eux. Obligés de se réfugier sous terre, ils se sont réconciliés. Et si les Aghartiens, qui vivent à l’insu des « Solaires », des habitants de l’extérieur de la planète, tout en les surveillant avec une science bien en avance sur la nôtre, ont voulu se révéler, c’est parce qu’ils savent avec certitude que la planète sera complètement détruite par l’astéroïde Hadès et ce en 2014, et qu’ils ont besoin de l’aide des Solaires pour réaliser leur projet d’envoyer par arches stellaires une partie de leur population vers Glièse, l’étoile située à 21 années-lumière de la Terre et qui possède une planète de type terrestre. Bien sûr, en échange de cette aide nécessaire, ils emmèneront un nombre égal d’émigrants « Solaires », mais après les avoir réincarnés dans des corps nouveaux de surhommes, les « Eons ».

Rien que sur cette première partie, la préparation du départ avec les différentes difficultés, qui, à mon avis, sont sous-estimées par le roman, il aurait fallu faire un roman séparé. Les douze années qui séparent la découverte d’Agharta de la catastrophe qui anéantira la Terre et le système solaire (la suspension d’incrédulité est mise à rude épreuve par l’explication de la chose) méritaient plus que les épisodes un peu schématiques consacrés aux différentes formes de refus. La deuxième partie, le voyage et les surprises qu’il présentera, d’une part à cause de la trahison de certains Atlantes, d’autre part à cause de la réapparition des Selkies, des humanoïdes martiens que les Atlantes ont autrefois essayé de réduire en esclavage, et détruits, aurait mérité un roman séparé, même si des prémisses de cette deuxième histoire apparaissent au fur et à mesure de la préparation du voyage...

Même si l’ensemble fait un peu fouillis, à la fois incomplet sur certains points et surchargé sur d’autres plans, le roman est intéressant. Et, à mon avis, prometteur pour des œuvres ultérieures.

Que faut-il penser du fait que, bien que publié aujourd’hui, ce roman prétend démarrer en 2002 par l’annonce de la fin de la Terre en 2014 ? Une manière d’envoyer l’histoire dans un univers parallèle ? En tout cas il y a une invraisemblance qui passe mal : avertis 12 ans à l’avance, il me paraît impossible que les Humains de notre univers auraient pu mettre en route la collaboration nécessaire avec les Aghartiens dans le trop court délai imparti. Mais les personnages de roman peuvent faire mieux que les humains réels, ne serait-ce que pour permettre une fin heureuse.

Si c’était un premier roman (et, à, en croire la liste des autres œuvres publiées par l’auteur, c’est en tout cas le premier qui appartienne à la SF), j’attendrais le suivant, peut-être plus construit, avec impatience.

Agharta, Le Temps des Selkies, d’Arnauld Pontier, Asgard, collection Espace compris, 2013, 518p., couverture de Michel Borderie, 21€, ISBN 978-2-36574-000-5

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