Opéra de Shaya (L’)

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Curieusement, j’ai eu des difficultés à écrire cette chronique. Cela tient au fait que l’interview qui se trouve dans le recueil de nouvelles reprend une bonne partie de mes propres conclusions. J’aurais l’impression de répéter ce que Sylvie Lainé répond à Jean-Marc Ligny. Donc, je vais prendre le problème par l’autre bout en étant très subjectif (oh oui !) sur ce quatrième recueil de nouvelles proposé par ActuSF.

Sylvie Lainé, c’est la littérature dans la science-fiction, ou la science-fiction dans la littérature. Elle a une façon d’écrire qui fait d’elle un auteur à part entière, qui navigue entre les deux genres littéraires. Le format « nouvelle » lui convient à merveille. Nouvelles longues ou courtes, Sylvie est dans son élément et nous amène dans des coins de l’univers qui ne semblent pas être ce qu’ils laissent croire. Le dépaysement est toujours au rendez-vous, même pour un lecteur de la première heure. Sylvie propose un de ses thèmes favoris, la rencontre, le contact avec l’autre, avec l’étranger, avec l’extraterrestre, avec une forme de vie insoupçonnée, où la communication a tout son sens, mais ne s’établit pas dès le départ. Les sentiments des différents personnages viennent enrichir chaque histoire, au point d’en faire des textes uniques.

Quatre nouvelles forment ce recueil. Nouvelles inattendues, qui souvent commencent par une situation idyllique qui lentement révèle un danger, avant de basculer vers l’étrange tinté de cruauté. Car derrière l’apparente quiétude de chaque histoire se cachent des histoires complexes et sombres.

Le paradis, c’est les autres ? Le recueil commence par une excellente préface de Jean-Marc Ligny, qui nous rappelle que les textes tournent autour de trois axes : les rencontres, les échanges et les sentiments. Le titre de cette préface fait sourire, car c’est un clin d’œil à L’enfer c’est les autres, une citation de Jean-Paul Sartre qui apparait dans Huis clos.

L’opéra de Shaya – Nouvelle qui donne son nom au recueil. La plus longue et la plus belle nouvelle de ce recueil, dans lequel on découvre So-Ann qui recherche une planète idyllique sur laquelle elle peut passer un moment. Lorsqu’elle découvre cette planète, elle est assurée de pouvoir y passer deux ans. Le maitre mot de cette nouvelle, c’est imprégnation. Tout est contact physique, tout est sujet à assimilation des fluides, de l’ADN, ou des organes des autres. Que ce soit les habitants de Shaya, ses animaux ou ses plantes, ils sont tous capables de changer leur apparence en fonction de l’ADN des êtres qu’ils touchent.

So-Ann pense être sur une planète qui tient du paradis, car loin de la technologie et du stress de la civilisation. Elle va découvrir une étrange culture qui évolue en fonction de ses propres visiteurs. C’est une histoire très étrange, admirablement bien écrite. Mais derrière cette image de beauté et de plénitude se cache un secret beaucoup plus terrible. Lorsque So-Ann découvre celui-ci, elle met un terme à son séjour et se fixe comme objectif de retrouver la personne qui a imprégné son compagnon sur Shaya. C’est à la fois beau et cruel.

Grenade au bord du ciel – Et si tous les cauchemars, les vilaines pensées, les doutes, les envies qui traversent notre esprit étaient stockés sur un astéroïde et oubliés du commun des mortels. Jusqu’au jour où une mission spatiale retrouve celui-ci et découvre son contenu. Ces souvenirs et ses pensées deviennent tout d’un coup une marchandise, une drogue, qui va faire le bonheur des humains. Étrange nouvelle.

Petits arrangements intra-galactiques – Un vaisseau en panne obligé de se poser sur un monde inconnu et un pilote qui est pressé de retrouver la civilisation, mais qui doit d’abord penser à trouver de la nourriture. Mais quelle nourriture sur cette planète ? Nouvelle caustique, humoristique, qui fait un peu penser aux histoires de Robert Sheckley.

Un amour de sable – Nouvelle très originale, dans laquelle les humains découvrent un monde de sable. Ils prélèvent des échantillons (de grands échantillons) de différentes couleurs. Mais ils n’imaginent pas que ce sable est vivant, pense et aime être en contact avec les humains. Une histoire où les sentiments ont un grand rôle à jouer, mais seulement pour une des deux parties de cette étrange rencontre.

Interview de Sylvie Lainé par Jean-Marc Ligny – Avec cette interview, Sylvie Lainé se dévoile un peu plus pour le grand bonheur des lecteurs. Curieusement, je ne m’appesantirai pas sur son contenu, préférant que les lecteurs la découvrent. C’est le point d’orgue de ce recueil. Il mérite bien sa place.

Je suis un inconditionnel de Sylvie Lainé. C’est toujours un plaisir de lire ses textes. Et pourtant, je n’ai pas toujours été un adepte du format « nouvelle ». Mais au fil du temps, Sylvie m’a fait changer ma vision de l’imaginaire et des textes courts en particulier. C’est aussi pour ça que j’ai préféré chroniquer ce recueil avec un certain retard par rapport à sa date de publication. Un livre de Sylvie, c’est comme un grand vin. Cela se mérite, cela se déguste, cela s’apprécie, et surtout cela nécessite une lecture plus attentive. Pas de besoins de demander d’écrire un roman à Sylvie. Toutes ses nouvelles contiennent les éléments nécessaires à des grandes histoires. La différence, c’est que chaque nouvelle se focalise sur les individus, sur leurs pensées, sur ce qu’ils éprouvent, sur la difficulté à communiquer. Le décor une fois planté et l’histoire lancée, c’est au lecteur de prolonger celle-ci une fois la dernière ligne de texte lue. En fait, les nouvelles de Sylvie Lainé sont de petites perles. Au fur et à mesure que ses recueils sont édités par ActuSF, on rencontre un nombre de plus en plus grand de lecteurs qui ont été convaincus par sa plume.

Je conseille ce recueil à tous ceux qui veulent découvrir la science-fiction à travers des nouvelles de qualité, mais aussi aux habitués de Sylvie Lainé qui attendent avec impatience ses histoires. Je suis certain que lire ce recueil donnera envie de lire les précédents à ceux qui découvrent l’auteur. Encore une fois, un recueil excellent pour lequel je ne peux que remercier Sylvie Lainé de l’avoir écrit et avec lequel j’ai passé un agréable moment de lecture.

L’opéra de Shaya, Sylvie Lainé, ActuSF, 2014, 178 pages, illustration de Gilles Francescano

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