Opéra de Shaya (L’)

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Après Marouflages, paru aux mêmes éditions en 2009, voici le quatrième recueil de Sylvie Lainé, fort attendu car l'auteure est rare – donc d'autant plus précieuse. Et l'attente est comblée : les quatre nouvelles récentes sont toutes remarquables.

Toutes ont pour sujet la préoccupation majeure de Sylvie Lainé, la communication. Ses plus belles nouvelles sont toutes consacrées à cette question qui la hante et qu'elle transcende en petits bijoux ciselés. Rappelons-nous Un signe de Setty, Le chemin de la rencontre ou Les yeux d'Elsa. Sous le signe du space opera, genre qu'elle souhaitait un peu s'approprier, la nouvelle éponyme tient presque, par sa longueur (90 p.), de la « novella ». So-Ann, née dans l'espace, cherche une planète idéale où elle pourra s'épanouir, se fixer enfin. Après un essai manqué, elle arrive sur Shaya, univers de sensations pures. Ici, tout se transforme par le partage entre vies, dans tous les cycles de la Nature, flore et faune compris. So-Ann se voit confrontée à un habitant imprégné de précédentes rencontres, à un chien ou à un mini-dinosaure qui évoluent constamment. Mêlée à diverses cérémonies, elle imprégnera, elle aussi, les êtres qu'elle rencontrera tout en subissant leur influence. Ainsi, elle créera un petit oiseau inconnu. Ces quelques mots ne peuvent décrire la subtilité avec laquelle l'auteure dépeint, sans trop expliquer, la fragilité de cette économie subtile, basée sur l’empathie. So-Ann devient fécondatrice et participe de la sorte à la vie même de la planète. Mais la véritable communication totale est-elle possible entre ces deux mondes si différents ? La situation virera au tragique, à la fin. Était-ce inéluctable ? Un très beau texte, d'une sensibilité exacerbée et au style raffiné à l'extrême.

Suivent trois nouvelles brèves, toutes de qualité. Un vaisseau spatial découvre un curieux astéroïde. Cette Grenade au bord du ciel semble habitée par d'étranges flammèches qui apparaissent dès que l'on fore son sol. Les habitants de la planète autour de laquelle l'astéroïde évolue semblent se souvenir qu'il constitue le réceptacle de sensations d'antan, comme une poignée d'émotions lancée en l'air. Un membre de l'équipage devient amoureux, un autre veut tout à coup être musicien : les flammes génèrent-elle les désirs enfouis ? Que faire de cette machine à alimenter les rêves ?

Grande admiratrice de Robert Sheckely, Sylvie Lainé lui dédie l'amusant Petits arrangements inter-galactiques. En panne sur une planète inconnue, et mort de faim, le héros trouvera à s'alimenter de la façon la plus étonnante qui soit.

Le dernier texte du recueil, Un amour de sable, très concis, est peut-être le plus saisissant. Nouvelle planète encore, cette fois de sable. Le texte alterne entre le récit de l'exploration par les scientifiques humains et de la réaction d'un être de sable, plein d’amour. Sont-ils imperméables l'un à l'autre ? Il y a comme un contact sans communication. Sans le savoir, chacun en retire un acquis. Texte proche de Grenade au bord du ciel, en plus énigmatique, plus magique. Le sentiment d'étrangeté totale imprègne cette nouvelle d'une poésie extraterrestre unique.

Soulignons l'enthousiasme de la préface signée Jean-Marc Ligny et l’excellence de l'interview de Sylvie Lainé qui conclut le volume. Certes, elle y avoue ne pas aimer se raconter. Mais elle le fait tout de même un petit peu. Oh, pas beaucoup, mais suffisamment pour laisser entrevoir un petit pan de sa personnalité et de ses passions, celles-là mêmes qui nous la rendent si chère. Laissons-lui la parole : « Je crois que je parle de cela dans tous mes textes : quelle est la part de l'autre qui nous reste inaccessible. Ce que nous exprimons de sincère, et la difficulté qu'il y a pour l'autre à en comprendre le sens et la portée. Utiliser le space opera pour en parler, c’est s'offrir la possibilité d'imaginer des rencontres avec d'autres races, d'autres psychologies, d'autres règles sociales. De regarder ce que peut donner la confrontation. C'est passionnant ». Il est passionnant de lire comment Sylvie Lainé, en quelques mots, révèle l'essence même de ce qu'est, ou devrait être, la véritable science-fiction. Cette union entre science et fiction, tentée depuis les origines du genre, elle le réalise pleinement dans ce quatrième recueil, peut-être son meilleur.

 

Sylvie Lainé, L'opéra de Shaya, ActuSF, Chambéry 2014, illustration de couverture Gilles Francescano, 178 p., 12 euros.

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