Nos amies les bêtes par Christophe Tabard

Ironiquement, la première manifestation du phénomène avait eu lieu un soir d’Halloween à Knoxville, dans l’Ohio.

Valfreyja revoyait très bien les images qui avaient circulé en masse sur les réseaux sociaux et les écrans télés dans les jours qui avaient suivi le massacre. À l’époque, elle s’était surtout demandée : « Comment peut-on sortir son téléphone portable pour filmer ce qu’il se passe dans ce genre de situation et balancer tout ça sur les réseaux ? ». Ce n’était pas d’un chaton en train de ronronner qu’il s’agissait, mais de milliers et de milliers de personnes en train d’être déchiquetés, dont une grande majorité d’enfants !

 

La soirée avait pourtant bien commencé dans cette petite ville moyenne typiquement américaine avec ses allées bien droites, ses pavillons bien décorés et ses pelouses bien tondues. Les citrouilles étaient de sortie et la jeunesse de la ville s’était éparpillée par petits groupes à travers les rues, sacs de bonbons à la main, sonnant aux portes et réclamant leur dû sous peine de sortilèges.

La lune était pleine et brillante et le temps relativement doux pour la saison. Une soirée d’Halloween bon enfant comme il s’en déroulait des milliers d’autres au même moment à travers le pays dans d’autres bourgades toutes aussi paisibles.

Une soirée idéale pour jouer à se faire peur.

Vers 9 heures du soir apparurent les premiers signes. La lune d’abord. Cachée par un soudain nuage si grand qu’il semblait mordre l’horizon où que portât le regard.

Le ciel ensuite. Les étoiles blanches qui y brillaient firent place à d’autres lumières, rouges et scintillantes. Des milliers, des millions peut-être, de petites lueurs rouges qui survolaient la ville dans un mouvement chorégraphié de va-et-vient. Des yeux avides cherchant frénétiquement une proie.

Le bruit enfin. Un mélange de vent dans les voiles et de petits cris stridents qui allaient en s’amplifiant au fur et à mesure que cette masse gigantesque approchait de la bourgade.

Et puis, surtout, le froid. Un froid soudain et malsain, comme un manteau de glace jeté sur les épaules.

C’est à ce moment-là que les habitants de Knoxville levèrent la tête.

Une première vague de créatures déferla soudainement, griffes et crocs en avant. Des dizaines de milliers d’entre elles s’abattirent sur la population abasourdie. Nombreux furent ceux qui crurent qu’il s’agissait d’un spectacle, extrêmement bien réussi, d’ailleurs, de l’avis de certains, avant que leurs visages ne se fassent dévorer. Les gens, paniqués, couraient en tous sens à travers les rues en quête d’un abri sûr ou de leurs enfants. Étrange spectacle que ces sorcières et ces zombies affolés tentant d’échapper à une attaque massive de chauves-souris géantes.

Les enfants les plus légers étaient emportés dans les airs et mis en pièces par la masse mouvante des mammifères ailés qui semblaient se disputer les chairs dans un bruit de mastication effrénée. Les rares survivants diront plus tard que durant tout le temps qu’avait duré cette attaque, il avait plu des membres humains et du sang en quantité incroyable. Les rues charriaient des fleuves de sang tombé du ciel et les parents voyaient leur progéniture être déchiquetée à plusieurs mètres au-dessus de leurs têtes, impuissants et aspergés de leurs entrailles. Certains usèrent désespérément de leurs armes et tentèrent bien de se défendre et de défendre leurs proches mais, vague après vague, tous furent submergés sous le nombre et, après une demi-heure qui avait paru une éternité, la horde sauvage de chauves-souris regagna le ciel et repartit vers le Sud-Ouest, repue, le corps poisseux de sang et de fluides humains.

Le choc avait été à la hauteur du carnage. De nombreuses personnes pensèrent qu’il s’agissait d’une blague, d’hologrammes ou d’une mise en scène d’Hollywood. Mais quand les premiers soldats de la Garde Nationale furent sur place, il fallut bien se rendre à l’évidence : tout était vrai. Pas de téléréalité, pas de canular, aucune mystification, pas d’images 3D. Une ville moyenne des États-Unis venait de voir la quasi-totalité de ses habitants être décimée en l’espace d’une demi-heure par une colonie de chauves-souris.

Des monceaux de membres humains jonchaient le bitume de cette petite ville si joyeuse et si paisible quelques heures auparavant. L’examen des cadavres de la centaine d’assaillantes qui furent recueillis sur place ne laissèrent, quant à eux, planer aucun doute et plongèrent les scientifiques dans un océan de perplexité. Il s’agissait de roussettes de Malaisie : une espèce de chauve-souris gigantesque vivant uniquement en Asie du Sud-Est. 1m70 d’envergure. Aussi surnommée le renard volant. Cette espèce est uniquement frugivore. Ces animaux ne se nourrissent que de fruits et de baies et, malgré leur allure impressionnante, n’ont rien du vampire sanglant que l’on pourrait imaginer en les voyant. Pourtant, cette nuit-là, ces créatures avaient bel et bien attaqué des êtres humains et s’en étaient nourries. Que leur était-il arrivé pour parcourir une telle distance et agir ainsi ? Pourquoi ce jour-là, précisément ? Pourquoi ici ?

D’autres détails sordides filtrèrent assez rapidement et la presse se lança dans une surenchère immonde de scoops et d’exclusivités. On apprit, par exemple, que les roussettes n’avaient dévoré que les yeux et les langues de leurs malheureuses victimes.

Ainsi que leurs cerveaux.

Les corps des enfants étaient démembrés dans les airs puis les têtes projetées au sol comme de vulgaires noix de coco afin que les crânes s’ouvrent aisément et ainsi en extraire la partie tendre. Une vision macabre de crânes éclatés partout dans la ville : sur les pelouses, dans les rues, sur les toits de bâtiments. Des têtes ouvertes aux orbites vides et aux bouches déchirées.

Les scientifiques n’y comprenaient rien et se perdaient en conjectures.

Les militaires, quant à eux, gardèrent la tête froide et annoncèrent qu’ils suivaient minute après minute les déplacements de la nuée avec leurs satellites. Ils furent accusés d’avoir caché l’entrée sur le territoire nationale d’une telle menace. Des responsables de haut niveau indiquèrent qu’en effet, ils avaient bien suivi à chaque instant le survol de près de 80 % du territoire par ces mammifères volants en provenance du Sud-Ouest du pays mais qu’ils n’y avaient vu aucune menace, rappelant au passage que ces animaux étaient connus pour être frugivores, donc, en théorie, sans danger pour l’homme. Il n’y avait pas eu lieu d’affoler la population.

L’opinion, scandalisée, réclamait des mesures. Et lorsque la nuée de chauves-souris s’arrêta enfin dans une grotte au cœur du Vietnam après 22 jours de vol sans discontinuer, le président envoya deux F-117 chargés de bombes nucléaires éradiquer ces « êtres sanguinaires qui avaient volé leur jeunesse à des enfants et son avenir à tout un pays ! ».

 

Les militaires estimèrent le nombre de roussettes éradiquées entre 1 et 2 millions. L’ensemble de la colonie. La jungle était vitrifiée, l’honneur était sauf, les victimes, élevées au rang de héros, étaient vengées. La grande Amérique s’en sortait la tête haute, comme toujours !

Mais la vie ne continuait pas. Du moins, plus tout à fait comme avant. Les gens avaient peur de sortir. Y aurait-il d’autres attaques ? Comment se protéger si tel était le cas ? Comment les chauves-souris connaissaient-elles l’existence de courants aériens de haute altitude leur permettant d’effectuer de si grandes distances en si peu de temps et pratiquement sans efforts ? Nos enfants étaient-ils en sécurité ? Batman était-il devenu une menace ? Est-il, dorénavant, à classer parmi les méchants ?

Les spécialistes se succédaient sur les plateaux de télévision. D’éminents ornithologues et autres chiroptérologistes se bousculèrent pour dire tout et son contraire à une population tétanisée. Des théories farfelues commencèrent également à fleurir sur la Toile : les chauves-souris étaient télécommandées, c’était une arme secrète du gouvernement dont ils avaient perdu le contrôle, que Lucifer les avait envoyées à Knoxville pour tuer Jésus réincarné dans un des enfants de la ville, etc. Les contre-vérités se brouillaient avec les véritables informations et les proches des victimes, en quête de réponses, ne savait plus qui croire ni vers qui se tourner.

Les gens, dans le doute et sous la tension de cette menace perpétuelle qui pouvait surgir de nouveau à tout moment, commencèrent à s’organiser en groupes d’extermination de chauves-souris. Quels que soient leurs variétés ou leurs régimes alimentaires, une véritable campagne d’extermination débuta à travers le globe. La tâche n’était pas mince, il en existe de toutes tailles et de toutes sortes sur l’ensemble de la surface de la planète. Vivant souvent dans des endroits inaccessibles. C’était la quadrature du cercle. Même si aucune autre attaque de la part de ces créatures n’avait eu lieu, les populations – et leurs dirigeants – appliquaient consciencieusement le principe de précaution et commencèrent à détruire en grands nombres les colonies de chauve-souris aux quatre coins de la Terre.

Au cas où.

 

Cependant, toute cette agitation fut balayée lorsque de nouveaux événements eurent lieu en Afrique du Sud, sur la côte sud du pays, au début de l’année suivante.

Valfreyja se souvenait parfaitement de cette incroyable journée. Qui ne s’en rappelait pas ? Tout avait été filmé. Des centaines de millions, voire des milliards, de téléspectateurs ainsi que les gens massés sur place avaient assisté à la tuerie sans pouvoir intervenir.

Ce sont les surfeurs qui les premiers les virent arriver les premiers au petit matin. Les confondant, tout d’abord, avec des requins, à cause des ailerons, la peur céda vite le pas à la joie et à l’enthousiasme lorsqu’on s’aperçut qu’il s’agissait de dauphins. Surgis du large, des dizaines de milliers de dauphins s’approchèrent des 150 kilomètres de plages de sable fin qui vont du Cap de Bonne Espérance jusqu’au Cap Agulhas, là où deux océans se rejoignent. Au plus fort de la journée, les spécialistes estimèrent leur nombre à au moins 75000 spécimens de diverses espèces. Du dauphin commun au dauphin pilote, en passant par des grands dauphins accompagnés de leurs petits. Le spectacle était grandiose. Les cétacés se laissaient toucher par les baigneurs ravis. Les télévisions furent rapidement sur les lieux pour capturer sur écrans ces instants magiques. Des drones survolaient cette masse incroyable et retransmettaient des images absolument fabuleuses. Valfreyja se remémorait qu’en voyant tout cela, dans son lit, emmitouflée dans sa couverture, elle avait eu envie d’y être, de pouvoir mettre un maillot de bain et faire la folle avec ces animaux, au soleil et dans cette eau bleue et chaude, loin de l’Islande, du froid et de la nuit perpétuelle de l’hiver qui s’étaient installés dans son pays pour durer 6 mois.

Les gens venaient du Cap et de tous les environs du pays pour admirer les extraordinaires mammifères marins si dociles, les toucher, les caresser. Des femmes enceintes pénétraient dans l’eau et les dauphins, curieux et comme doués d’un sixième sens, venaient inspecter leurs ventres ronds, les caressaient de la nageoire ou bien collaient leurs museaux sur la peau de futures mamans ravies, comme s’ils communiquaient avec les enfants à venir. Comme s’ils leurs révélaient un secret.

Ces images attendrissantes faisaient le tour du monde. Des enfants jouant avec eux. Des handicapés les enlaçaient. Avoir la chance, même, de faire un petit tour au large, accrochés à leurs ailerons. Une navette permanente depuis la plage emmenait les plus intrépides jusqu’à une centaine de mètres de là puis revenait et recommençait inlassablement avec toute personne désireuse de vivre cette expérience unique. Des dizaines de milliers de baigneurs se mêlaient aux cétacés dans une joyeuse communion dont certains commentateurs soulignaient les effets positifs pour chaque être humain participant ou assistant à cet événement, effaçant du même coup la colère et la défiance depuis le drame de Knoxville. Le bonheur était total. L’espoir renaissait. La vie était plus forte que tout.

Tout bascula vers la fin de l’après-midi, lorsque le soleil entama son lent déclin. Les dauphins commencèrent à transporter leurs passagers plus loin vers l’océan. Ils revenaient à leurs points de départ respectifs puis repartaient, toujours un peu plus loin. Au début, personne ne remarqua qu’ils commençaient à les abandonner en plongeant. Personne ne s’interrogeait vraiment en voyant un dauphin arriver vers lui et l’inciter à s’accrocher à son aileron pour aller faire un tour. Qui n’aurait pas saisi l’aubaine ? Ceux abandonnés au large tentaient de revenir à la nage vers la sécurité des rives mais étaient sans cesse repoussés par d’autres dauphins qui les saisissaient par le poignet ou par la cheville et les maintenaient cloîtrés dans cette bande d’océan à environ 200 mètres des plages. Bientôt, des centaines, des milliers de personnes se retrouvèrent prisonniers des cétacés, dos à l’océan. Leur nombre grossissait sans mesure et les dauphins continuaient leurs incessants va-et-vient entre les plages et cette zone devenue une gigantesque prison marine.

Même lorsque les premiers ailerons surgirent du large, les gens persistaient à se faire des selfies avant d’être fermement saisis par un membre et entraînés également au loin. Les cris des malheureux, paniqués et livrés à une mort certaine, s’amplifièrent quand les requins commencèrent leur festin. Devant une foule impuissante, les captifs, sans échappatoire, se firent tous dévorer en l’espace de quelques minutes. Quelques minutes d’horreur sur 150 kilomètres de côte où l’eau bouillonna, littéralement. Un bouillonnement frénétique, sanglant et sans discrimination. Un festin pour plusieurs milliers de squales. Un spectacle apocalyptique pour les humains.

Seul le cri des mouettes et des goélands venus profiter des restes sanguinolents brisaient le silence de la foule consternée, abasourdie. Aux frontières du déni.

Les squales regagnèrent les profondeurs, les cétacés les suivirent au large, en surface, jusqu’à disparaître à l’horizon.

Puis un cri.

Une longue plainte monta de la côte. Des centaines de milliers de poitrines clamèrent leur incompréhension devant le spectacle dont ils avaient été témoins. Pourquoi une telle harmonie avait-elle été ainsi brisée ? Ce cri déchirant monta haut dans le ciel et fut le prélude à la panique généralisée qui s’en suivit. Les gens se mirent soudain à courir dans tous les sens. Se bousculant, se renversant. Se piétinant. Chacun tentait de fuir ou bien de retrouver un proche. Certains s’étaient même jetés à l’eau et avaient nagé jusqu’au lieu du carnage pour tenter de venir en aide à un des siens mais il était trop tard. Il n’y avait plus rien à faire.

 

C’est le moment que les animaux domestiques choisirent pour s’attaquer à leurs maîtres à travers le monde.

Valfreyja avait un chat qu’elle avait appelé Missy. Elle avait douze ans quand elle l’avait trouvé sur le chemin de l’école, chaton noir et blanc apeuré, transi de froid, trempé, grelottant, caché derrière la roue d’une voiture. Elle avait aussitôt fait demi-tour et l’avait ramené chez elle, plus mort que vivant, pour le nourrir, le réchauffer et l’accueillir dans sa chambre, malgré les réserves de ses parents. Il s’était battu et s’en était sorti. Depuis ce jour, ils étaient devenus inséparables. Il était son fils, son frère, son ami. Son confident lorsqu’elle était triste. Sa poupée vivante et docile lorsqu’elle l’habillait de robes de poupées et de petits chapeaux qu’elle lui confectionnait. Il était toute son adolescence. 8 ans de fidèle amitié jusqu’à ce qu’il l’attaque et qu’elle soit obligée de le tuer.

Dans les minutes qui avaient suivi l’horreur survenue en Afrique du Sud, les chiens et les chats de la petite ville de Húsavík, au nord de l’île, s’étaient rués sur leurs propriétaires. Valfreyja était devant son ordinateur, encore sous le choc du spectacle auquel elle venait d’assister, lorsque Missy lui sauta sur la tête sans crier gare, par derrière. Le chat avait profondément enfoncé ses griffes dans son crâne et s’y tenait fermement, tentant de lui labourer le visage. Elle essaya bien de se défaire de cette emprise mais l’animal était trop fermement agrippé. Elle se recula alors jusqu’au mur et, dans un geste désespéré, s’y cogna la tête à plusieurs reprises en espérant écraser Missy et lui faire lâcher prise. Mais lorsque son père, alerté par le bruit, ouvrit soudainement la porte, le chat changea de cible et se précipita sur lui. Et, tandis qu’il tentait d’éloigner de lui cette bête si paisible d’habitude et qui se comportait comme un fauve aujourd’hui, Valfreyja se saisit de sa crosse de hockey et pulvérisa sans aucune hésitation la boite crânienne de son fidèle compagnon.

À l’extérieur, dans la ville, des cris et des coups de feu résonnèrent durant des heures. Des gens allaient et venaient en 4x4 dans tous les recoins de la bourgade, armés de fusils, donner la chasse aux quadrupèdes brusquement devenus incontrôlables.

Étonnamment, on ne compta que peu de victimes. Le temps de réaction des voisins et de la population en général avait permis de limiter les dégâts. L’Islande n’est pas traditionnellement un pays avec beaucoup d’animaux de compagnie. Le climat est rude et les animaux doivent avoir une utilité. On n’en possède rarement ici pour les mêmes raisons que dans grands nombres de pays occidentaux où ils sont, bien souvent, un substitut au manque d’affection dont souffrent les gens dans les grandes villes et où de véritables massacres eurent lieu.

Dans l’ensemble de l’île, non plus, il n’y eu pas un nombre élevé de morts ni de blessés. Cependant, la décision fut prise par les autorités d’éliminer tous les mammifères qui se trouvaient sur le territoire, étant entendu que, selon les chercheurs, seuls les mammifères et les poissons semblaient hostiles à l’être humain. Le cheptel de quelques milliers de rennes fut exterminé, de même que les vaches, les moutons et les chevaux. Les viandes furent, bien sûr, stockées et provisionnées. Car de nombreux problèmes logistiques apparurent rapidement. La nourriture fut vite rationnée. De nombreux objets manufacturés ne parvenaient plus jusque là, faute de moyen pour les faire venir. Les eaux autour de l’île étaient infestées de requins et de baleines qui empêchaient toute entrée ou sortie d’un bateau. Le rationnement en carburant et les risques encourus empêchaient de toute façon, la moindre tentative raisonnable de s’extraire de la côte pour rejoindre un quelconque lieu.

De toute façon, à l’extérieur, la situation avait viré au drame. Les informations qui parvinrent encore quelques jours aux Islandais indiquèrent très clairement que, partout sur le globe, les humains et leurs armées avaient été débordés et majoritairement balayés par des hordes d’animaux en furie : les immenses troupeaux de vaches du Texas étaient devenus incontrôlables et ravageaient toute la moitié ouest des États-Unis. Les buffles, les gnous, les éléphants, en harmonie avec leurs prédateurs naturels, lions, hyènes et autres coyotes, piétinèrent et dépecèrent le continent africain. Des animaux de laboratoir parvinrent à tuer leurs geôliers et s’évanouirent dans la nature, porteurs en eux d’effroyables maladies transmissibles à l’homme. Les centrales nucléaires n’étaient plus entretenues, de même que les plates-formes pétrolières et autres armes atomiques. La société humaine, hors de contrôle, s’écroulait.

Quand il s’avéra, au bout de peu de temps, que les émissions venant de l’extérieur cessèrent et qu’ils étaient désormais seuls au monde, les Islandais entreprirent la construction de nombreux dômes avec une matière résistante issue des roches volcaniques en nombre sur l’île. Cependant, malgré leur haut niveau en matière d’indépendance énergétique et les atouts que représentent l’éloignement et le climat rude, la plupart des compatriotes pensaient comme Valfreyja : c’était foutu.

Tôt ou tard, ils parviendront jusqu’ici ou bien ils attendront patiemment que la nature fasse son œuvre et que les dernières traces d’humains disparaissent d’elles-mêmes, sans faire de bruit, dans l’indifférence générale. Comme de la poussière dans le vent. Pourtant, même si tout était foutu, que l’espèce humaine était vouée à disparaître, elle ne trouvait pas ça juste. Pas déjà. Pas maintenant. Pas comme ça. Pas elle.

Valfreyja travailla pourtant d’arrache-pied à la construction de ces dômes. Une œuvre titanesque qui occupait toute la population sans s’arrêter. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser : pourquoi les poissons et les mammifères seulement ? Même les écureuils avaient dû être abattus. Et pourquoi pas les oiseaux ? Ou les plantes ? Et que se passerait-il si eux aussi entraient dans la danse ?

En regardant l’océan et ses eaux glaciales elle imagina, en provenance du Groenland, des ours blancs sur le dos de baleines en train d’opérer un débarquement sur les plages de l’île. Cette pensée la fit rire devant l’absurdité du spectacle. Cependant, après tout ce qui s’était produit, elle n’était plus sûre de rien. Tout pouvait arriver. Qui savait jusqu’où ça pouvait aller ?

 

Ils n’eurent, cependant, pas longtemps à attendre.

Un bruit au large, au-delà des flots gris. Un bruit strident qui gronde et se rapproche inexorablement.

C’est le jour.

C’est maintenant.

Elle les voit.

Valfreyja ne parvient pas à contrôler les tremblements qui s’emparent de son corps. Elle sait ce que c’est et elle a peur.

En se dépêchant elle aurait le temps de courir jusqu’au rivage, de se jeter à l’eau et d’être dévorée par un requin car elle ne veut pas que ce qui est en train d’arriver sur l’île se charge d’elle. Elle veut choisir sa propre fin et ne veut pas souffrir.

Personne, en effet, ne souhaite finir sa vie dévoré par des insectes.

Surtout quand on a 20 ans.

 

Ou en PDF ici http://www.phenixweb.info/sites/default/files/nos-amies-les-betes-christ...

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