Miss Sloane

Réalisateur: 

Six points d’exclamation se dressent à la vision de Miss Sloane : Quel film ! Quel scénario !! Quelle actrice !!!

Le pitch ? En deux mots seulement, car Miss Sloane contient mille coups de théâtre : une lobbyiste, plus manipulatrice que Roger « Verbal » Kint dans Usual Suspects, joue sa carrière pour faire passer un amendement sur le contrôle de la vente des armes aux USA. Sa règle, intangible : avoir toujours une longueur d’avance.

Derrière la caméra, il y a John Madden, brillant réalisateur anglais qui affiche Shakespeare in love, Proof et L’affaire Rachel Singer dans son CV. Son style est reconnaissable à l’intelligence du propos et du traitement, qualité de plus en plus rare de nous jours où le marketing pousse à ratisser large et bas. Un autre signe distinctif de Madden : ses héroïnes. Elles ne sont pas là pour faire de la figuration ou valoriser un mâle, surtout quand elles sont incarnées par Helen Mirren, Gwyneth Paltrow ou Jessica Chastain. Ce choix d’une femme comme moteur de l’action est encore plus inhabituel dans le paysage cinématographique encombré de super héros gonflés de testostérone. Dès les premières images de Miss Sloane et dès les premiers mots, la barre est placée très haute, à l’instar de ces séries télévisées hyper écrites comme The West Wing ou True Detective. Cela commence par un gros plan sur une miss Sloane magnétique qui prévient : « Le lobbying sait anticiper, prévoir les manœuvres de son adversaire et organiser la riposte. Le  gagnant possède toujours une longueur d‘avance et joue sa carte maîtresse quand l’adversaire a abattu la sienne. C’est provoquer la surprise sans jamais se laisser surprendre ».  Le spectateur est averti. Pourtant il va être manipulé lui aussi, comme tout le monde.

Il s’agit là d’un premier scénario ! Et d’un coup de maître. L’auteur : Jonathan Perera. Hitchcock aurait sûrement aimé filmer cette histoire sophistiquée, même si l’héroïne n’est pas blonde mais rousse. Les bons côtés du personnage ont été inspirés à Perera par sa mère. Son côté obscur par une documentation solide et impressionnante qui nous emmène dans les coulisses du vrai pouvoir qui n’appartient plus aux politiciens. Un sujet plus que d’actualité en cette période électorale où l’on essaye de nous faire croire que notre vie va changer en fonction du prochain président. Le scénario fourmille d’informations incroyables mais avérées sur le fonctionnement de la démocratie et de détails géniaux comme ce « cafard » sur lequel je n’en dirai pas plus. A noter que le film passe aisément le fameux test Bechdel, ce qui est là aussi assez peu fréquent au cinéma : on y voit en effet deux personnages féminins parler entre elles, et d’autre chose que d’un homme !  

Vous m’avez vu venir : au-delà du talent du réalisateur et du scénariste, le meilleur du film, c’est son actrice qui le porte sur ses épaules élégamment parées par Oscar de la Renta. Celle qui fut l’héroïne de L’affaire Rachel Singer, The Tree of Life et Zero Dark Thirty, est au sommet de son art. Incarnée par Jessica Chastain, cette miss Sloane au visage opalescent tranché par une bouche aussi rouge que la semelle de ses Louboutin devient un personnage fascinant, presque irréel. A la fois cygne et bulldog, forte mais vulnérable, calculatrice mais humaine, menteuse mais touchante, on ne sait jamais si on veut l’étrangler ou la serrer dans nos bras. Le genre de personnage que j’affectionne particulièrement en littérature ou au cinéma, car parvenant à émouvoir sans verser de larmes, ni geindre, ni taper de ses petits poings. Certes, Jessica Chastain a été servie par un personnage magnifiquement caractérisé, mais dans Miss Sloane, son jeu atteint une perfection qui nous bouleverse.

Vous l’avez compris, à maints titres, Miss Sloane est un film rare.    

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