Rien ne nous survivra - Le pire est avenir

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Les jeunes ont rasé Paris, ont renversé les fondamentaux de notre société ; les jeunes ont osé briser le plus délicieux des tabous : tuer les vieux. Tous les vieux. À partir de vingt-cinq ans. Laissez les Théoriciens vous expliquer pourquoi.

Dans cette atmosphère de guerre civile, de poudre et de béton calciné, deux snipers émergent. Silence, l’idole que les jeunes suivraient en enfer, et l’Immortel, qui compte bien faire vivre l’enfer à Silence. Quel meilleur terrain de chasse que les toits parisiens ?

Avec un cynisme mordant, un humour corrosif, Rien ne nous survivra propose une variation sur notre société actuelle, tout en piétinant les présupposés de notre morale. Car au jeu de l’intolérance jeunes/vieux, qui a commencé ?

Il m’est rarement arrivé de rencontrer une œuvre (littéraire, cinématographique ou autre) sans savoir quoi en penser. C’est pourtant perplexe, séduite par certains points, dégoutée par d’autres, que j’ai refermé Rien ne nous survivra il y a plusieurs jours. Et maintenant, je ne saurais toujours pas dire si j’ai aimé ou pas ce livre.

Nous sommes ici dans un futur non déterminé mais très proche du nôtre. Les jeunes ont fait la révolution. Non, en fait, les jeunes ont procédé à un génocide, tuant les plus de 25 ans, âge auquel le corps commencerait à pourrir de l’intérieur pour nous emmener vers la dégénérescence inévitable. Leur révolte, plus qu’idéologique, est suicidaire, car la société qu’ils veulent « reconstruire » est une société qu’ils veulent avant tout détruire, sans être sûrs de laisser quelque chose après eux, sans vraiment y penser parfois.

« Mais maintenant c’est fini : rien ne nous survivra. » (p. 110)

Dans ce monde sur le point de mourir, nous allons suivre les batailles d’Immortel et Silence, deux figures importantes de la révolte parisienne. Immortel nourrit une fascination de plus en plus maladive pour Silence, un sniper que personne ne voit sans mourir, dont on ne sait si c’est un homme, une femme, un être humain même, une légende, un fantôme ou autre. Ils se préparent tous deux à un grand événement en décimant « vieux » sur « vieux ».

« L’acculturation fait partie des conditions de notre révolte. Nous la considérons comme un moyen, mais aussi une fin. Elle exige quelques sacrifices mineurs, notamment le renoncement à la musique. Quand ce stade sera atteint, il faudra se séparer des mots.

Notre acculturation nécessite non seulement de brûler les livres, mais aussi de désapprendre, autant que possible, à lire. Alors, et alors seulement, les petites oies et les petits pourceaux deviendront des humains. » (p. 155)

Bon, je simplifie un peu beaucoup l’intrigue qui se révèle être plutôt riche et frustrante à la fois, l’auteur ne se concentrant que sur la vision aveuglée et ciblée de ses deux personnages principaux, et nous saurons en fait peu de l’idéologie qui les habite, si ce n’est à travers quelques tracts et manifestes qui couperont un peu la narration. Certains passages dénoncent des choses plutôt justes (l’obsession pour la jeunesse des personnes vieillissantes, la course à la vie la plus longue possible dans des conditions de plus en plus déplorables, la discrimination entre jeunes et vieux, etc.), mais sonnent majoritairement des théories qui ne tiennent pas la route par leur côté très « rentre-dedans » sans fondations solides si ce n’est quelques impressions un peu faciles (du style « après nous, le déluge », avec un côté beaucoup plus destructeur qu’une réelle volonté de construire quelque chose de meilleur). Du coup, je n’ai pas du tout été convaincue par celles-ci. Or, dur de suivre une histoire de guerre (surtout en ce qui me concerne) quand on ne comprend même pas comment le but de cette dernière peut être accepté et même revendiqué par ceux qui la font...

D’un autre côté, je me demande si ces théories « en surface » ne seraient pas plutôt d’une certaine manière l’expression du mal-être d’une jeunesse qui a besoin de se révolter sans vraiment savoir contre quoi et qui choisit la cible la plus évidente et la plus stupide qui soit : son futur... Je n’arrive pas à déterminer si c’est bien là le but du récit ou si ces dénonciations avancées sont vraiment présentées comme crédibles et logiques, afin de nous « ouvrir les yeux » sur certaines vérités de notre société (mais si c’est le cas, je dois bien dire que je trouverai le livre plutôt décevant alors).

« On ne survit pas à deux ans de guérilla sans pouvoir revendiquer une perversité au moins équivalente à celle de ses ennemis. » (p. 298)

Mais ce que je vais surtout retenir de ce roman, c’est ce sentiment de gêne intense que j’ai ressenti en le lisant. Rien ne nous survivra, c’est de la provocation en barre qui secoue le lecteur perdu face à tant de haine qu’il n’arrive pas à comprendre et qui lui expose pourtant en pleine figure. J’ai déjà vu et lu des choses extrêmes et pourtant j’ai trouvé ce roman-ci très dur, peut-être parce que justement j’ai été incapable de comprendre et de partager toute cette rage. Or, ce qu’on ne comprend pas nous déstabilise encore plus. Et nous fait peur. Ce qui n’est pas forcément mauvais, bien au contraire, car il est appréciable d’être remué comme cela, d’être confronté à des choses qui nous dépassent, d’être obligé d’adopter un autre point de vue sur le monde (même si ce point de vue ne nous convainc pas).

Maintenant, malgré les bons comme les mauvais côtés qui rendent ce livre intéressant, j’en veux quand même un peu à l’auteur pour la fin qu’elle lui a donné et qui ne semble pas être (du tout) à la hauteur du reste. En plus de m’être retrouvée désemparée devant une conclusion qui m’a fait dire tout haut « tout ça pour ça ?!? », j’ai détesté le fait que Maïa Mazaurette nous révèle indirectement le sexe de ce personnage tellement envoutant par son côté asexué justement. Pourquoi fallait-il qu’on sache ?

Au final, Rien ne nous survivra est un livre bouleversant et frustrant à la fois, un roman qui fait dans la provocation marquante mais aussi parfois un peu trop facile et dont j’ai du mal à cerner le message. Il m’a secoué salutairement mais, en même temps, il m’a laissée complètement désarmée et perplexe et je suis incapable de savoir quoi en penser. A vous de vous faire une idée.

Rien ne nous survivra - Le pire est avenir par Maïa Mazaurette, illustration d’Hervé Leblan, Folio SF, 372 p.

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