Gogo Monster

Il paraît évident que Taiyou Matsumoto a une fascination pour le monde de l’enfance...

En commun avec Tim Burton, il en a une vision enchantée et parfois étrange, inquiétante même. Matsumoto s’inscrit cependant dans les codes du Manga et de la culture nippone (dans ses côtés les plus "pop"). Il a déjà montré son intérêt pour les personnages d’enfants, perdus dans un monde adulte sombre et violent : des Peter Pan des ruelles un peu racaille, comme ceux d’Amer Béton (porté à l’écran il y a peu).

Gogo Monster est un peu une œuvre de maturité pour un auteur qui se démarque par son énergie et sa particularité.

L’objet est déjà superbe. Un coffret coloré, bel écrin à cet ouvrage ouvrage imposant de 450 pages ( !) qui prouve l’implication de Delcourt dans ce projet. Publié en France en 2005, il est nominé à Angoulême en 2006 pour le prix du dessin.

Gogo Monster nous conte l’histoire d’une année de la vie de Tachibana et Makoto dans un établissement scolaire particulier. Il se trouve que Tachibana est une sorte de gardien : le seul être de l’école à pouvoir communiquer avec des monstres invisibles... Il est l’interface entre deux mondes, le monde des hommes et le monde du surnaturel, de la féerie. Le monde de l’enfance en somme dans ses côtés fantastiques. Cependant, cette année là, des monstres plus mauvais, torturés et inquiétants semblent prendre possession des lieux et Tachibana doit faire face...

Attention, ce manga ne donne pas lieu à des débordements d’action, il ne s’agit pas non plus d’une énième version d’Harry Potter nipponisé pour l’occasion. Nous pouvons lire là une bien étrange et bien belle fable sur la difficulté qu’il peut y avoir de passer d’un monde à l’autre, de l’enfance à l’adulte, avec les inquiétudes et les renoncements que cela peut susciter.

Tachibana, le petit garçon asocial que tout le monde prend pour un fou, est persuadé qu’en grandissant ses entrailles pourriront et qu’il sera remplacé par quelque chose d’horrible... Un choix lui sera donc proposé durant cette aventure, de passer dans le monde réel (celui de l’âge adulte) ou de passer la porte du monde féériques des gogos monster pour ne jamais vieillir ou mourir (sorte de Neverland de Peter Pan) durant une sorte d’initiation dont je me refuse de vous révéler quoi que ce soit.... bon allez d’accord : Tachibana se retrouvera dans le noir profond, scène que l’auteur présente sur plusieurs pages noir où les mots ne semblent plus qu’une pâle lueur qui peine à s’imposer (scène surprenante au début, mais qui démontre la maîtrise des codes narratifs par Matsumoto).

Les personnages sont bien fantasques :Tachibana, Gantsu, le vieux jardinier qui semble être très instruit de cet "autre monde" des monstres (en possède-t’il la clef ?), QUI est le génie qui se cache dans une boîte en carton... Tous semblent vivre au rythme des saisons, sont riches d’une certaine folie qui prend sa source dans de profondes blessures.

Les références sont nombreuses alors : Alice, Peter Pan, je parlais d’Harry Potter (pourquoi pas), j’ai pensé au Roi Rose de David B...

Le dessin et le découpage nous donne cette impression que tout objet ou élément de décor est "habité" (parfois hanté) par une sorte de présence. Des visages apparaissent dans les gouttes d’eau et les frondaisons (les monstres de Tachibana). Nous assistons parfois à la vie de l’école, de case en case, déclinant des moments de vie quotidienne, parsemés de bulles qui reprennent des bruits, paroles et rumeurs que l’on peut entendre au détour d’un couloir... Il s’en dégage aussi l’impression pour le lecteur d’être une ombre omnisciente flottant dans les couloirs, en simple témoin. Nous sommes invités à être une de ces présences qui hantent les murs, un gogo monster. Le trait parfois électrique semble lui aussi insuffler de la vie aux sujets de Matsumoto. Les perspectives sont là dans cet BD aussi déformés. Il alterne les vues en plongées ou contre plongées, et ces bâtiments qui semblent parfois se tordre rappelle le mouvement expressionniste (et oui)... et aussi qu’une faune invisible influe discrètement l’environnement de Tachibana. Sont-ils une manifestation de ses angoisses ou une réalité ?

Pour finir, je dirais qu’une ambiance mélancolique et un rythme tranquille bercent chacune des pages, ce qui n’empêche pas une sourde angoisse, un doux malaise, de suinter de ces magnifiques pages. La ballade est merveilleuse (dans le sens féerique et étrange), à lire avec The Cure en fond sonore (booooys donnn’t Cryyyy)...

Titre :GOGO MONSTER

Scénario : Taiyou Matsumoto

Dessins : Taiyou Matsumoto

Traduction et adaptation : Vincent Zouzoulkovsky

Lettrage : Laurent Aiello

Éditeur : Delcourt

Nbre de pages :455

Parution : 2005