Embarquement pour Citerre

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Commençons par déclasser le livre : c’est une utopie traditionnelle, plus essai que roman, pas vraiment un roman de SF. Du point de vue littéraire, en tant que roman, il n’y a presque rien : le rêve du héros qui lui permet de prévoir l’avenir et de se préparer au changement de monde à venir. Pour la méthode littéraire, les conversations du visiteur venu de notre temps avec les représentants du monde futur qui lui répondent dans la langue et avec les préoccupations des hommes de maintenant, mériterait un rejet total, rejet qu’il est hors de propos d’étendre au thème de l’essai, une fois qu’on l’a requalifié. Les idées proposées peuvent surprendre, le changement de paradigme sous-jacent est loin d’être aussi évident que le prétend l’un des interlocuteurs et la période de transition sera certainement beaucoup plus longue et agitée que ne le prétend l’historienne. Les théories économiques sous-jacentes me rappellent d’ailleurs celles qui sous-tendaient le roman utopique aujourd’hui presque oublié de Robert Heinlein L’Enfant de la science. Elles sont beaucoup moins utopiques qu’on ne le croit, même si elles reposent sur un changement de paradigme énorme, deux idées qui ne sont pas assez clairement exposées d’ailleurs :

– d’une part le fait que la richesse n’est pas un existant préalable qu’il convient de partager d’une façon plus ou moins équitable ou, au contraire, plus ou moins hiérarchique. Il faut que chacun prenne conscience que toutes les richesses ne sont que le fruit du travail de ceux qui les ont produites, que plus il y a de producteurs, plus il y a de richesses pour tous, et que les luttes d’accaparement appauvrissent tout le monde, même les prédateurs qui s’emparent de la richesse produite en limitant sa production par leur avidité même et l’appauvrissement des producteurs, qui entraîne leur manque à produire ;

– d’autre part la présence, du fait de cette impression de richesse donnée a priori, d’une volonté d’enlever à autrui. Loin de comprendre que ce qu’il enlève à l’autre est, souvent, perdu pour tous deux, le prédateur croit qu’il faut d’abord enlever à autrui, que sa propre richesse exige la pauvreté de l’autre, exactement comme l’automobiliste qui croit que la première chose à faire est d’empêcher l’autre d’avancer et qu’en bloquant un carrefour il améliore sa circulation personnelle. Cela aboutit aux cercles vicieux constatés lors de toutes les crises, au lieu du cercle vertueux parfois invoqué par les économistes, trop rarement mis en oeuvre, qui permet aux entreprises de s’enrichir en payant des salaires élevés, alors que celles qui rognent sur les salaires appauvrissent la communauté, et s’appauvrissent elles-mêmes.

Ces idées, ou plutôt l’existence des idées fausses auxquelles elles devraient faire pièce, conduisent régulièrement aux blocages, régressions et crises répétées. Le changement de paradigme nécessaire pour que la majorité adopte le point de vue simple, mais ignoré actuellement de la plupart, nécessaire, ne se produira pas d’un seul coup par miracle. Il faudra répéter les idées exposées dans cet essai, les diffuser. Bien faire comprendre que cette utopie est réalisable, qu’elle n’est pas réservée à des personnages de roman sans épaisseur littéraire.

En tant que roman, l’absence d’intrigue, l’aspect purement bavard des personnages, aboutiraient à un ratage. Mais en tant qu’exposé des motifs d’espérer la possibilité d’une vie différente, autrement dit en tant qu’utopie, ce livre fournit une excellente raison de creuser les idées exposées, de se renseigner sur le projet de l’économie solidaire, du système citerrien.

Embarquement pour Citerre, de Marie Martin-Pécheux, couv. Marie Martin-Pécheux, 350 p., Interkeltia, collection SF-utopia

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Commentaires

Bonjour,

Ce n’est pas souvent qu’un ou une auteur-e réalise aussi sa couverture, y laissant voir une portion de son âme. J’apprécie.

Michèle Laframboise

www.savantefolle.sffq.org