Lovecraft mis en musique !

Guillaume Connesson, compositeur français né en 1970, semble démontrer un intérêt particulier pour les littératures de l’Imaginaire. Il est déjà l’auteur de deux pages d’après Abraham Merritt, The Ship of Ishtar, pour orchestre à cordes, et un concerto pour piano, The Shining One. D’autres de ses œuvres évoquent Agartha ou l’Atlantide.

 

Une de ses dernières inspirations est le Maître de Providence, à qui il consacre un triptyque orchestral, composé l’an dernier, Les Cités de Lovecraft. Titres des mouvements, inspirés directement des Contrées du Rêve (1917-1921) « ce cycle qui voit le songe d’or sombrer peu à peu dans le cauchemar » (Francis Lacassin) : Céléphaïs, Kadath, et La Cité du soleil couchant. Le premier a été interprété ce jeudi 22 février par le Brussels Philharmonic, les deux autres ce samedi 24, l’ensemble sous la baguette de son directeur musical, Stéphane Denève.

 

Il est étrange – et passionnant – d’entendre ce que peut évoquer l’œuvre de Lovecraft à un jeune musicien contemporain. Elève de Marcel Landowski, Connesson écrit une musique tonale des plus accessible, avec un haut sens des couleurs. En une brève allocution, le chef a présenté Kadath, qui se divise en quatre parties : Le Plateau de Leng, Le Château des Grands Anciens couronné d’un diadème d’étoiles, La Salle du Trône et les porteurs de torches, et Apparition de Nyarlathotep, le Chaos Rampant. Tout commence par le souffle mystérieux de l’éoliphone (machine à vent), sur un tapis de cordes et de sourds coups de timbales. Suit un beau passage descriptif et désolé, très lent, faisant un peu penser au langage d’Edmund Rubbra. Après un moment plus rapide, intervient un solo d’alto accordé en demi-tons, puis en quarts de tons : voilà qui fait l’effet d’une plainte déchirante, bien dans l’atmosphère de ces contrées de l’horreur.

L’œuvre se termine par une sorte de scherzo effréné, où brillent les étincelles du piano et de la harpe. Un magnifique choral, clamé par les cors et rythmé aux timbales, introduit la dernière partie du triptyque, La Cité du soleil couchant. C’est une page très spectaculaire, comme les aime le compositeur, selon ses propres dires, frénétique même, à l’instrumentation éblouissante, grandiose sans doute et fortissimo, mais d’une parfaite clarté d’écriture, s’inscrivant ainsi dans la grande tradition orchestrale française.

 

Le très nombreux public du Studio 4 de Flagey (quelle acoustique !) a réservé une ovation sans pareille au Brussels Philharmonic et à son chef charismatique, Stéphane Denève, grand défenseur de la musique de Connesson. Voilà une musique actuelle parfaitement audible, aussi fascinante que... l’œuvre de Lovecraft.

Le concert se poursuivait par la suite de L’Oiseau de feu de Stravinsky et le troisième concerto pour piano et orchestre de Prokofiev, joué par Boris Giltburg.

 

Ixelles, Flagey, Studio 4, le 24 février 2018