Légationville

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Légationville est le titre et la véritable héroïne du dernier roman de China Miéville. C’est le nom d’une enclave ariékane située aux confins de l’espace. Il s’agit d’une colonie habitée par des humains et des extraterrestres appelés « Hôtes », sous contrôle d’une métropole qui l’exploite depuis une planète-mère. Le lecteur va la voir glisser de la stabilité au chaos à travers le vécu d’un de ses résidents en particulier, l’auteur ayant choisi de restituer les événements via une narratrice, témoin et actrice de ce bouleversement, Avice Benner Cho.

Avice, c’est à la fois la voix de Légationville, et aussi l’héroïne par écho de cette histoire... du futur. A la croisée de tout, elle en a la capacité parce que le recul, revenant sur les lieux de son enfance après des années d’éloignement géographique ; et parce que c’est elle qui parle, qui dit « je ». Par ailleurs apte à voyager dans l’immer, immunisée contre le mal du transport sidéral, elle rend possible le dialogue sur, et avec, venant explicitement donner consistance au récit.

Immerseuse et simile, Avice incarne le lien, non seulement temporel et spatial, mais linguistique ici. Car la linguistique est une des dimensions incontournables de l’univers miévillen. Autant être prévenu : le style surprend à la lecture. La proximité du choix narratif renforce l’effet d’étrangeté paradoxale à souhait. Les néologismes sont abondants. La langue extraterrestre y est inintelligible aux humains donc aux lecteurs profanes que nous sommes. Tout le travail de Miéville consiste à élaborer une scène originale où le langage modifie le paysage. Et « on marche » : un univers inédit jaillit sous notre lecture ébahie, car la magie fantastique opère suivant ce principe merveilleux selon lequel nommer, c’est faire advenir.

Le Verbe est partout présent entre les lignes du roman et cela ne saurait être par hasard. Il est question de commerce puisque de comptoir et de colonie, donc d’échanges nécessitant de se parler et se comprendre. Même le mari de l’héroïne, Scile, est linguiste, et il n’est pas anodin qu’Avice s’éloigne de lui. Ce roman illustre à divers degrés combien la langue est obstacle au lien et la communication, ce qui le rend possible. C’est ce que soulignait déjà Claude Lévi-Strauss à propos de toute communication qui constitue nécessairement un tiers écran entre les interlocuteurs qu’elle permet à la fois de mettre en relation.

Pour traverser cet écran à l’échelle de la colonie, Légationville bénéficie d’une caste prévue pour la fonction d’interprète, les Ambassadeurs. Ces derniers ont la spécificité exclusive de pouvoir comprendre la langue plurivocale des « Hôtes », qui, de leur côté, n’entendent que du bruit quand un humain parle à côté d’eux. L’événement qui va bousculer l’équilibre de ces échanges au sein de la colonie est précisément l’arrivée d’un nouvel Ambassadeur, au projet dévastateur. Par où l’on voit combien pouvoir et langue s’acoquinent, pour le meilleur et le pire. C’est pourquoi la véritable héroïne de ce roman, c’est celle du lien civil, suggéré étymologiquement par le titre (« legare » en latin) et le sujet qui nous interpelle ici, c’est peut-être bien la « polis » et sa question atemporelle et sans frontières : comment « s’entendre » ensemble ? Et, sa corollaire à échelle inter-individuelle: comment se fier à une, à la parole ?

Légationville par China Miéville, traduit par Nathalie Mège, Fleuve

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