Le projet « Deuxième vie » par Cath Bardy

— Et tout de suite, nous accueillons Brad Lansky ! s’exclama le présentateur.

C’était un homme d’un âge assez avancé, mais d’apparence toujours assez jeune pour ne pas encore avoir à se soucier d’être éjecté de son émission du jour au lendemain. Une salve d’applaudissements retentit tandis qu’un homme en costume venait s’installer sur le siège face à lui.

— Monsieur Lansky, bienvenue sur le plateau de « Parlons-en ». Tout d’abord, pourriez-vous vous présentez en quelques mots pour nos téléspectateurs ? Même si je doute qu’il y en ait beaucoup qui ne vous connaissent pas.

— Eh bien, je suis Brad Lansky, trente-et-un ans et célibataire.

Une vague de soupirs et de gloussements s’éleva à cette annonce associée au sourire extra blanc de l’homme.

— Mais, surtout, je suis l’un des membres du projet « Deuxième vie ».

— Expliquez-nous brièvement en quoi consiste ce projet.

— J’imagine que vous connaissez la douleur ressentie à la disparition d’un être cher ?

— Bien sûr. Comme tout un chacun.

— Que diriez-vous si je vous disais que nous pouvons vous rendre cette personne, la ramener pour une deuxième vie ?

— Je dirais que ce serait absolument démentiel !

— Ça l’est ! Et c’est exactement ce que nous faisons avec le projet « Deuxième vie ». Grâce à notre avancée technologique incroyable, nous avons seulement besoin d’une certaine quantité d’ADN parfaitement conservé. Car c’est dans l’ADN que sont stockées toutes les informations sur chacun d’entre nous. La couleur de nos yeux, de nos cheveux, de notre peau, notre taille. À partir de là, et avec l’aide de photos, nous pouvons ramener quelqu’un à la vie.

— Vous dites « ramener à la vie ». Mais je crois savoir que ce n’est pas tout à fait exact. Ce sont plutôt des clones que vous créez, non ?

— En effet, certains les appellent ainsi. Mais je n’aime pas trop ce terme. Je le trouve réducteur. Comme nous utilisons vraiment l’ADN de la personne, ce n’est pas qu’un clone. Ce n’est pas une poupée ayant simplement l’apparence de la personne défunte. Non, c’est la personne défunte, dans un nouveau corps et avec une toute nouvelle santé.

— Savez-vous que nombre de gens sont farouchement contre votre projet ? Il y a même une pétition qui circule sur internet pour demander aux gouvernements d’agir contre « Deuxième vie ». Et elle a déjà récolté plus de huit cent mille signatures à travers le monde. En seulement cinq jours !

— Oui, nous en sommes conscients et nous écoutons très attentivement les craintes de ces personnes. Nous sommes très ouverts au débat, comme le prouve ma présence ici aujourd’hui. La plupart des personnes qui sont contre ce projet ne sont tout simplement pas assez informées.

Au même moment, un bandeau s’afficha à l’écran avec un numéro d’information, invitant les téléspectateurs à appeler pour être mis en relation avec un conseiller et avoir les réponses à leurs questions.

 

— Conneries…

Tout en disant cela, Anna appuya sur le bouton de mise en veille de la télécommande. Le silence s’installa alors dans le séjour, avant d’être brisé par son mari.

— Pourquoi pas, après tout ? Appeler pour poser des questions ne coûte rien, non ?

— Tu te fous de moi ? Il est mort, Nathan. Il ne reviendra jamais !

— Et si tu te trompais ? S’ils pouvaient vraiment le ramener ?

Sans donner de réponse, la jeune femme partit s’enfermer dans la salle de bain.

Cela faisait presque un an. Déjà. Leur fils, Sam, avait succombé à ses blessures suite à un accident de voiture. Ils avaient gardé l’espoir jusqu’au bout. Mais, malgré toutes les avancées de la science, l’état de Sam était trop grave pour pouvoir le sauver. Et savoir que le chauffard responsable de sa mort était en prison n’était qu’une bien maigre consolation. Perdre son enfant de huit ans n’était pas une épreuve qu’un parent devrait traverser.

Les jours passèrent et le sujet ne fut plus abordé au sein du couple. Anna pensa que son mari s’était enfin fait une raison. Elle n’aurait pu se tromper davantage.

Un vendredi soir, la sonnette des Dolés retentit. Anna s’essuya les mains tandis qu’elle laissait sa vaisselle en plan.

— Tu attendais quelqu’un ? demanda-t-elle à Nathan qui était déjà presque arrivé à la porte.

— À vrai dire, oui. Mais je préférais te faire la surprise…

Le ton un peu hésitant sur lequel avait répondu son mari l’inquiéta. Celui-ci ouvrit la porte et Anna crut défaillir en voyant qui se trouvait derrière. Sa surprise fut telle qu’elle en lâcha la serviette qu’elle n’avait pas encore posée.

— Vous devez être Nathan Dolés ? demanda Brad Lansky avec une poignée de main.

— En effet. Je vous en prie, entrez.

Brad pénétra dans la maison, suivi par une femme aux cheveux châtain clair que Nathan ne connaissait pas. Ce dernier les invita à s’installer à la table de la salle à manger et leur offrit à boire. Anna, quant à elle, bien qu’ayant ramassé son essuie-main, n’avait pas bougé. Elle finit néanmoins par se reprendre et s’approcha de son mari.

— Je peux te parler deux minutes ?

Les yeux noirs qu’elle lui lançait ne souffriraient aucune discussion à cette demande. Il la suivit donc dans le couloir après s’être excusé auprès de ses invités.

— Tu m’expliques ? demanda-t-elle en essayant de ne pas parler trop fort, ce qui était relativement compliqué en ayant la voix aussi chargée de colère.

— Je les ai appelés. Je leur ai expliqué la situation et Brad a proposé de venir en personne pour parler avec toi.

— Et tu n’as pas jugé bon de m’en informer avant ?

— Je savais que tu refuserais.

— Bien sûr que je refuse ! Je ne veux pas parler à ce type, cet escroc qui joue avec nos sentiments !

— Écoute ce qu’il a à te dire avant de juger. S’il te plaît.

— Non ! Ce charlatan et toute sa clique de « Deuxième vie » t’ont lavé le cerveau. Ça ne marchera pas avec moi.

— Alors, de quoi as-tu peur ? Si tu es si sûre que tu ne changeras pas d’avis, écoute-le. Tu n’as rien à perdre.

Anna soupira. Ce que son mari pouvait être têtu.

— Très bien, concéda-t-elle. Je vais l’écouter. Mais après, je ne veux plus jamais entendre parler de ça.

— Tu as ma parole.

Nathan eut un grand sourire et l’embrassa avec passion, comme ce n’était pas arrivé depuis longtemps. La jeune femme se sentit un peu coupable. Elle savait que, quand elle lui dirait qu’elle était toujours contre, il perdrait ce faible espoir qu’il s’acharnait à entretenir.

Ils revinrent tous deux dans le séjour et s’installèrent en face de leurs deux invités.

— J’imagine que vous êtes Anna, la femme de Nathan.

— C’est exact. Et je suis totalement contre votre projet. Vous ne parviendrez pas à me convaincre.

— Anna ! s’indigna Nathan en lui donnant un coup de coude.

— Quoi ? Autant les mettre tout de suite dans l’ambiance.

— Laissez, Nathan, ce n’est rien. Nous avons l’habitude. Tout d’abord, Anna, votre mari nous a raconté ce qui était arrivé à votre fils, Sam.

— Samuel. Sam, ce n’est que pour les intimes. Et vous ne l’êtes pas.

— Bien sûr. Samuel, donc. Je n’ose imaginer la douleur que l’on peut ressentir quand on perd son enfant.

— Non, en effet. Sinon, vous ne seriez pas ici à remuer le couteau dans la plaie.

— Là n’est pas mon intention, Anna. Je veux uniquement vous aider.

— En nous volant le peu d’argent que nous avons pour, soit disant, ramener notre fils, alors que ce ne sera qu’une… chose ayant son apparence ? Je n’appelle pas cela aider ! Vous ne faites que nous enfoncer davantage.

— Anna, je t’en prie, cesse de l’agresser et laisse-le parler.

Anna luttait contre les larmes qui lui montaient aux yeux. Elle n’aurait pas dû accepter. Elle le savait. Une année, c’était encore trop court pour faire le deuil d’un tel drame. Et Nathan qui ne cessait de défendre ce bonimenteur.

— Je comprends vos inquiétudes, et je les entends. Néanmoins, j’aimerais rectifier tout de suite une méprise. Nous ne vous demanderons pas d’argent.

— Vous allez essayer de me faire croire que vous faites la charité, maintenant ?

— Je ne vous ferai pas l’offense de me montrer hypocrite en répondant oui. Pour être tout à fait honnête avec vous, Monsieur et Madame Dolés, nous n’avons encore jamais pu faire cela sur un enfant. Le vôtre serait donc le premier. Mais le procédé étant exactement le même, il n’y a aucun risque. L’ADN d’un enfant est seulement plus compliqué à obtenir que celui d’un adulte. « Deuxième vie » est donc prêt à vous offrir l’intervention en échange de votre accord.

— Non. Vous n’aurez pas le mien. Jamais. Je ne veux pas d’une pâle copie de mon fils.

Le ton d’Anna était catégorique. Les bras croisés sur sa poitrine, les sourcils froncés, appuyée au dossier de sa chaise et la mâchoire crispée, elle ne laissait aucun doute quant à son aversion pour ce projet. C’est ce moment que choisit Brad pour poser sa main sur celle de la femme assise à ses côtés. Comme un signal, elle prit la parole.

— Savez-vous qui je suis ?

Dans un même ensemble, les Dolés secouèrent la tête.

— Je m’appelle Yvonne Wigniolle, plus connue sous le nom d’Yvonne Printemps. Du moins, à mon époque.

— Vous êtes le résultat d’une opération « Deuxième vie » ? demanda Nathan.

Il s’était légèrement penché en avant, les yeux et la bouche ouverts, ne cachant rien de sa fascination. Fascination qu’Anna trouvait horriblement morbide.

— C’est exact. À ce jour, mon ADN est le plus ancien utilisé. C’est également la seule qui n’ait pas été ramenée au même âge que celui de sa mort. Yvonne Printemps, ici présente, a récupéré son corps de quarante ans. La première Yvonne Printemps est décédée à 82 ans en janvier 1977.

— Pfiou ! Ça date ! s’exclama Nathan.

— Effectivement, répondit Brad en retour, avec un sourire amusé. C’est pourquoi ramener votre fils sera un jeu d’enfant. La tragédie date d’il y a un an, si mes informations sont exactes. De ce fait, la quantité d’ADN intact que nous pourrons récolter sera énorme, permettant d’avoir un résultat des plus optimaux.

— Cette femme a peut-être l’apparence d’Yvonne Printemps, intervint Anna. Mais pour le reste ? Ses souvenirs ? Son caractère ?

— Pour Yvonne, le cas est assez particulier, puisque, évidemment, après environ deux siècles, il ne reste personne pouvant se vanter de l’avoir connue. Mais concernant votre fils, vous pourrez restaurer tous les souvenirs que vous avez avec lui. Son caractère reviendra alors avec. Nos actions et notre personnalité dépendent à la fois de nos parents et de notre vécu.

— Et vous n’avez pas l’impression de vous prendre pour Dieu ?

— Vous croyez en Dieu, Anna ? Auquel cas, ne trouvez-vous pas injuste et cruel qu’il ait rappelé à lui un enfant de huit ans ?

Bien sûr qu’Anna trouvait cela injuste et cruel. Mais était-ce une raison suffisante pour passer un pacte avec le Diable ? Brad profita de cette accalmie dans les contestations de la jeune femme pour sortir un dossier de sa sacoche. Il le posa sur la table et le fit glisser vers le couple.

— Je pense que vous avez tous les deux besoin de temps et de discuter ensemble de cela. Vous trouverez dans ces pages tout ce que vous avez besoin de savoir. Il y a également mes coordonnées personnelles pour me joindre si vous avez des questions qui restent sans réponse.

Sur ces paroles, Nathan raccompagna Brad et Yvonne. Suite à quoi, il décida de laisser sa femme réfléchir, non sans ressortir quelques photos de Sam qu’il laissa sur la table. Anna prit la soirée pour parcourir les feuillets laissés par le représentant du projet « Deuxième vie ». Ses yeux étaient régulièrement attirés par le sourire de son fils. Elle, qui était si sûre de ne jamais pouvoir adhérer à de pareilles idées, commençait à revoir ses positions. L’offre était si tentante. Quel parent ne donnerait pas tout, y compris sa propre vie, pour récupérer son enfant ?

De nouveaux jours s’écoulèrent, pendant lesquels Anna passa tout son temps libre à faire des recherches. Elle voulait la confirmation que tout ce qui se trouvait dans la documentation était exact. Notamment concernant les souvenirs et la personnalité. Apparemment, c’était à eux de donner les souvenirs. Plus ils pourraient en décrire et plus ils seraient précis, plus Sam reviendrait en étant fidèle à ce qu’il était avant l’accident.

Elle chercha également des témoignages de personnes ayant participé au projet. Mais, étant encore assez récent pour son envergure, seules trois personnes avaient bénéficié de cette intervention. Elle avait donc déjà pu rencontrer Yvonne Printemps, qui avait été leur dernière cobaye. La toute première personne était une femme décédée d’une insuffisance cardiaque. Sa famille avait été d’accord rapidement et, deux mois plus tard, elle revenait parmi les vivants avec un cœur en bonne santé en prime. La seconde était un jeune homme atteint du SIDA, qui avait lui-même accepté de faire partie du programme avant de succomber. Comme cet homme, des dizaines de gens avaient signé leur accord pour être « ressuscités » s’ils venaient à mourir.

Bien qu’elle s’y attendait, elle n’avait rien trouvé de concret dans tout ce qui était négatif. C’était à chaque fois des gens contre le principe de faire revivre quelqu’un qui était mort mais qui n’avaient aucune expérience réelle avec le projet. Elle comprenait ces réfractaires pour en avoir elle-même fait partie.

Anna avait passé des heures à peser le pour et le contre. Elle en était arrivée à la conclusion qu’elle n’avait rien à perdre. Si quelque chose foirait, elle reviendrait à la case départ et pourrait définitivement faire son deuil en se disant qu’elle aurait tout tenté. Si ça marchait, elle récupérait son fils. En revanche, elle était persuadée qu’elle finirait par regretter de ne pas avoir au moins essayé.

Un peu plus de deux semaines après la visite de Brad Lansky, la jeune femme alla se coucher alors que Nathan dormait déjà depuis un moment. Elle posa le dossier avec son accord signé sur la table de chevet du côté de son mari. Dès demain, ils pourraient contacter l’agence et entamer la procédure pour la deuxième vie de Sam.

 

Un mois plus tard, les Dolés étaient devenus le premier sujet de conversation du pays. Le nom de Sam était sur toutes les lèvres. Les débats pour ou contre le projet « Deuxième vie » étaient plus virulents que jamais. Certains allaient même jusqu’à dire qu’il était ignoble d’utiliser la tristesse de parents endeuillés pour faire du business.

Le jour tant attendu était enfin arrivé. Des milliers de gens s’étaient rassemblés devant les locaux de « Deuxième vie ». On pouvait voir deux groupes distincts. Celui qui était pour le projet, encourageant les parents et souhaitant déjà un bon retour à Samuel. Et celui des gens contre, brandissant des pancartes plus ou moins haineuses, voire injurieuses.

Anna et Nathan s’apprêtaient à entrer dans le bâtiment quand ils furent hélés par une femme. Malgré le bras de son mari autour de ses hanches pour la pousser à avancer, elle s’arrêta et se tourna vers la voix.

— Démon ! Vous allez ramener le démon dans votre famille ! Ce ne sera jamais votre enfant ! Votre véritable fils est mort ! Cette chose, qu’ils veulent faire passer pour Samuel, n’est qu’un imposteur !

Le souffle d’Anna devint erratique et elle eut du mal à déglutir. Ce que cette femme venait de lui dire était ce qu’elle craignait le plus. Mais Brad Lansky lui avait tellement dit et répété que ça ne pouvait que marcher qu’elle avait fini par s’en convaincre aussi. Pourtant, maintenant que le moment était si proche, elle n’arrivait plus à en être aussi sûre.

— Ne l’écoute pas, chérie. Elle ne sait pas de quoi elle parle.

Nathan la serra plus fermement contre lui et l’incita à le suivre à l’intérieur.

— Anna ! Nathan !

Brad Lansky les accueillit dès qu’ils passèrent les portes. Après les formalités d’usage, il les invita à le suivre dans un dédale de couloirs.

— Il est encore un peu désorienté, mais cela devrait disparaître dans les heures à venir, les informa-t-il.

Ils s’arrêtèrent devant une porte que l’homme ouvrit avant de s’effacer pour laisser passer le couple. Les Dolés posèrent immédiatement leur regard sur l’enfant qui était assis, immobile, sur une chaise. Il avait la tête baissée, mais la releva en entendant les pas s’approcher de lui.

Anna se figea. L’enfant avait les traits de son fils. Elle aurait pu croire sans difficulté qu’on lui avait ramené Sam, comme si l’accident n’avait jamais eu lieu. Seulement, la peur dans les yeux bleus l’ébranla. Cela n’allait tellement pas avec le garçon enjoué dont elle se rappelait.

— Comme je vous le disais, il est seulement un peu désorienté. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.

Une fois les papiers pour la sortie du garçon signés, la famille nouvellement reformée se prépara à rentrer chez elle. Pour plus de tranquillité, ils sortirent par derrière où une voiture les attendait. Mais, alors qu’ils allaient l’atteindre, Sam se mit à crier, visiblement en proie à une panique incontrôlable et refusant catégoriquement d’avancer davantage.

— Sam, mon ange, l’appela Anna en s’accroupissant devant lui et en le maintenant par les bras. Que t’arrive-t-il ?

Le garçon ne répondit pas et continua de fixer le véhicule de ses grands yeux écarquillés, comme s’il regardait le Diable en personne. Brad intervint, se plaçant dans son champ de vision. Sam se calma alors immédiatement.

— Je crois que nous allons retourner à l’intérieur, pour le moment. Je pense qu’il a gardé un traumatisme dû à l’accident.

— Je croyais qu’il ne se souviendrait de rien à propos de ça ! s’exclama Anna en se relevant.

— Oui, c’est ce qui aurait dû arriver. Mais c’est la seule explication que je vois à sa réaction. Nous allons faire des tests pour vérifier. Ne vous inquiétez pas.

À peine furent-ils à l’intérieur que le garçon se mit à hurler de douleur. Si les parents se retrouvèrent tétanisés face à ce cri qui leur rappela l’un de leurs pires souvenirs, Brad eut le réflexe de faire venir des médecins. Une fois Sam installé dans une salle d’examen, le responsable du projet invita les Dolés dans son bureau.

— C’était quoi, ça ? demanda Nathan qui avait repris contenance plus rapidement que sa femme.

— Je suis sincèrement désolé, cela n’aurait jamais dû se produire.

Les minutes passèrent, puis les heures. Des personnes défilèrent dans le bureau de Lansky. Chacune lui chuchota quelque chose à l’oreille et repartit une fois que l’homme avait donné son accord ou son refus d’un signe de tête. Le couple s’impatienta.

— Brad, fit Nathan. Je ne voudrais pas paraître impoli, mais je pense que nous avons le droit de savoir ce qu’il se passe. C’est notre fils.

Brad Lansky, d’ordinaire si détendu et sûr de lui, se crispa soudain. Il paraissait contrarié et nerveux. Anna pouvait même jurer avoir vu une goutte de sueur dégouliner de sa tempe à l’instant.

— Eh bien, pour être tout à fait honnête, il semblerait que… qu’un paramètre imprévu se soit glissé dans l’équation.

— Ce qui veut dire ? demanda la jeune femme qui commençait, à son tour, à devenir nerveuse.

— Suivez-moi.

Il les conduisit à une chambre vitrée dans laquelle se trouvait leur fils. Il était allongé sur un lit, les médecins s’affairant autour de lui.

— Comme je le craignais tout à l’heure, Samuel a effectivement le souvenir très détaillé de son accident. Voir la voiture lui a fait perdre la raison. Il…

Lansky s’arrêta, ne sachant comment annoncer la nouvelle.

— Il quoi ? le pressa Nathan.

— Il revit sans cesse l’accident et la douleur de ses blessures. Nous pensons que le traumatisme est trop important et ancré en lui pour qu’il puisse s’en remettre un jour.

À ce moment, un nouveau cri retentit. Malgré l’horreur de la scène, Anna ne put détacher ses yeux de celui qui ressemblait tant à son fils. Le garçon tremblait de tous ses membres, se tordant parfois sous la douleur. Il serrait tellement les draps de son lit que ses jointures étaient devenues blanches. Dans l’esprit de la mère, cette vision se confondait avec le souvenir de ces pénibles instants aux urgences. Ces médecins et infirmiers qui allaient et venaient autour de son fils hurlant. Les sangles pour l’immobiliser et éviter qu’il se blesse davantage. Les injections pour tenter de le calmer et diminuer sa douleur.

— Mais ne vous inquiétez pas, ajouta Lansky devant les mines déconfites du couple. Nous avons une telle quantité d’ADN que nous pouvons tout reprendre depuis le début sans problème.

Anna cligna des yeux, revenant au moment présent. Les paroles de l’homme mirent du temps à se frayer un chemin dans son cerveau embrumé par la peine et l’angoisse de voir son enfant, la chair de sa chair, souffrir ainsi.

— Sans problème, répéta-t-elle. Sans… problème ?

Il y avait pourtant un gros problème derrière ce panneau de verre, et il était visiblement rongé par sa mémoire. Anna perdit le peu de sang-froid qu’elle avait et se jeta sur l’homme pour le saisir par le col.

— De qui vous moquez-vous ?! Ce ne sont pas des problèmes, ça ? demanda-t-elle en pointant la vitre du doigt, devenant presque hystérique.

— Allons, calmez-vous, Anna. Ce n’est qu’un contretemps dû à un paramètre que nous avions mal évalué. Toute bonne expérience commence par des essais ratés.

— Une expérience ? releva la mère, incrédule.

Sous la surprise, ses poings relâchèrent leur prise et Lansky en profita pour se mettre hors de portée. Anna eut l’impression de manquer d’air. Tout ceci n’avait été rien d’autre qu’une expérience pour « Deuxième vie »... Évidement. La science laissait rarement place à la compassion.

— Mon fils n’est pas une expérience, souffla-t-elle en sentant un étau se resserrer sur son cœur.

Elle posa à nouveau son regard sur Sam. Celui-ci semblait plus calme. Mais ses yeux ouverts et fixant le plafond étaient comme dénués de vie. Anna s’effondra tout à coup, secouée par de violents sanglots. Elle sentait les bras de son mari l’entourer et tenter de la réconforter, mais elle ne parvenait pas à se raccrocher à cela. Tout ce qu’elle voyait était son fils torturé alors qu’il aurait dû reposer en paix. Non, ils n’allaient pas recommencer. Et ils n’auraient même jamais dû essayer.

 

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