La part grandissante de la climatologie dans la Hard Science d'aujourd'hui
Récemment, de nombreux articles de presse ont traité le sujet de l’interaction entre la fiction des mondes imaginés et la science, et pas plus tard que ce mois-ci dans le dernier hors série de Science et Vie (numéro 239, juin 2007) dont le fil conducteur était la conquête spatiale. Les auteurs portent leur interrogation sur l’utilisation de la science-fiction afin de pousser la recherche scientifique à bousculer ses limites et envisager plus sérieusement les idées proposées par les écrivains. Si les solutions sont, dans leur ensemble, totalement fantaisistes, elles offrent tout de même l’avantage d’être débarrassées d’une sorte de carcan de préjugés permettant d’envisager le futur technologique avec sérénité. Car il est évident, qu’un jour, l’homme colonisera d’autres planètes par le biais du voyage interstellaire ! Mais alors, comment fera-t-il pour y survivre ? Rien de plus simple ! Il pourra opter pour la terraformation qui prendra des millions d’années (idée développée par les scientifiques et proposée pour la colonisation de Mars et utilisée par K. S. Robinson dans sa trilogie Martienne). Il pourra adapter l’être humain lui-même comme dans l’excellent Semailles Humaines de James Blish (où chaque planète reçoit une sorte d’humanité adaptée à son environnement), ou il pourra opter pour la fabrication de dômes et autres ouvrages relevant de l’ingénierie qui sont autant de solutions réalisables un jour… peut-être. Et tout le problème est là !
On attend encore les voitures volantes prédites depuis des décennies de science-fiction ! Bien sûr, les avancées technologiques, notamment en nanotechnologie, recherche spatiale, amélioration des matériaux ou encore en médecine, semblent également avoir puisé leur inspiration dans des romans d’anticipation comme le dit très justement le comité d’éthique du CNRS à propos des nanosciences, en ne manquant pas de préserver sa crédibilité : « […] Les visions de science-fiction ont joué un rôle moteur indéniable dans le lancement des initiatives de recherche, même si la plupart des chercheurs tendent aujourd’hui à prendre leur distance à l’égard des spéculations. […] ».
Alors sont-ce réellement les écrivains de SF qui trouvent l’inspiration dans la science ou la science qui tire son inspiration de la littérature de l’imaginaire ? A l’heure actuelle où notre monde est confronté à une grave crise environnementale, les auteurs semblent regorgés d’idées pour y pallier. Pourquoi ? Pour qui ? Comment ?
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Pour avoir des éléments de réponse, il faut s’intéresser de près à l’identité des auteurs de science-fiction. Il n’est pas rare en lisant les biographies de trouver parmi eux des scientifiques de haut niveau universitaire, comme Asimov (Docteur en biochimie) ou David Brin (Docteur en astrophysique) et j’en passe ! Ils sont professeurs, chercheurs, enseignants du secondaire. On retrouve dans l’approche des univers qu’ils décrivent, les bases de la pensée cartésienne, pourtant la part de l’imaginaire est importante. Car les scientifiques sont de doux rêveurs ! Ils rêvent comme tout un chacun. Alors, quand il s’agit d’aborder des problèmes concrets comme un réchauffement planétaire ou une glaciation, ils extrapolent, contrôlent, gouvernent leurs mondes, en tentant d’appréhender les résultats des bouleversements climatiques sur d’autres espèces humanoïdes qui nous représentent si bien.
Des sciences se prêtent moins bien à cet exercice mais elles sont rarement au centre de l’intrigue. Prenons le roman de Greg Bear, L’échelle de Darwin (1999) : l’approche au premier abord semble d’ordre paléontologique, du moins du point de vue de l’évolution humaine, d’ailleurs le personnage principal est un paléontologue. Cependant, l’auteur s’éloigne de cette spécialité, qu’il ne maîtrise pas, pour aller se perdre dans des processus psychologiques (mieux maîtrisés mais beaucoup moins intéressants…). L’Homme de Neandertal est présenté comme l’ancêtre direct d’Homo sapiens et c’est un point regrettable du fond scientifique du roman. L’auteur souhaitait peut-être « défendre » cette théorie ; mais la préface de Gérard Klein justifie cette erreur en écrivant qu’à l’époque de la rédaction du manuscrit, la science n’avait pas encore révélé aux USA que les néandertaliens étaient nos cousins, alors que ce fait était connu en Europe depuis fort longtemps. Cet exemple illustre les erreurs que peuvent faire les auteurs vis-à-vis d’un savoir mal assimilé ou mal vulgarisé par la science elle-même.
En fin de compte l’auteur de SF n’est pas un scientifique à proprement parler et son public n’est pas plus aguerri que lui aux lois fondamentales en constante évolution.
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Le commun des mortels n’est pas au fait de toutes ces découvertes, primordiales pour un petit nombre de personnes. Qui sait que certains dinosaures vivaient dans un environnement polaire ? Qui sait que nous avons plus de 99 % de gènes communs avec les chimpanzés ou encore que les gorilles sont aussi touchés par la Trisomie 21 ?
Ces informations sont accessibles dans les revues de valorisation scientifique dont les titres accrocheurs hantent les maisons de la presse (La recherche juin 2007, Science et Avenir, Hors Série Mars/Avril 2007). Sans compter tous les sites Internet qui relaient l’information, comme ces nombreux forums où chacun peut confronter son opinion à celle des autres.
Mais on ne lit pas un roman de SF comme le magazine scientifique de la Terre. Le lecteur se plonge dans un monde qui pourrait être le nôtre si la situation actuelle changeait dans un sens comme dans l’autre sous la variation d’un paramètre jugé négligeable.
On dit souvent que la SF est le reflet de notre société et de ses préoccupations. Est-ce vrai ou faux ? Dans quel roman, de n’importe quel genre littéraire, ne retrouve-t-on pas cette vision des choses ? Aucun. Et tant mieux si la science s’en mêle.
En tant que lectrice avide de Hard Science, je suis heureuse de lire des romans techniquement pointus, quand l’auteur arrive à ne pas noyer ses personnages et son intrigue dans les détails scientifiques. D’un cursus scientifique, je suis moins ouverte (consciemment) aux romans purement imaginatifs. Je l’assume mais je comprends pourtant bien que certains lecteurs n’y soient pas sensibles, surtout à l’heure où le battage médiatique nous impose une conscience écologique souvent orientée sur les profits industriels, donnant une vision des progrès technologiques bien négative.
L’image de la Hard Science pâtit de ces implications productives et rentables du monde réel, donnant un air de chambre d’hôpital, parfaitement lisse et n’offrant que peu de place à l’aventure et au romanesque. Dans un souci exagéré d’exactitude, l’ambiance parait aseptisée, emplie de détails techniques rendant la lecture rébarbative.
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L’auteur de SF en général se doit d’avoir une culture scientifique, tout autant qu’une culture littéraire, politique ou encore économique, qu’il réinjectera de-ci de-là dans ses textes, afin de sensibiliser les lecteurs. On reconnaît vite quelqu’un qui a pris le temps de se pencher sur ces questions. Intrigués, certains lecteurs iront chercher le dictionnaire familial à la rencontre d’un mot inconnu (ceci vaut également pour les termes littéraires parfois utilisés avec abus par certains auteurs comme par exemple X. Mauméjean dans La vénus anatomique, quasiment illisible, tant il faut avoir recours au dictionnaire un mot sur deux, ce qui est une performance à souligner). Dans la mesure du raisonnable, il y a alors partage des connaissances scientifiques via l’auteur. Ce dernier se comporte comme le vecteur privilégié rendant le contact science-public moins rude, voire même agréable. A l’inverse, il peut également se retrouver discrédité en omettant de cruciales précisions. C’est un piège que l’auteur doit savoir éviter.
La SF pourrait être un allié puissant des chercheurs pour valoriser leur travail, comme tentent de le faire chaque année Les Utopiales de Nantes en organisant des débats avec des scientifiques. Cet exercice intéressant permet de confronter la vision des auteurs de SF avec la réalité de la science et de ses prospectives. Pourtant cette année, le challenge semble avoir échoué. Le lien ténu existant entre le public et le monde de la recherche s’est rompu un instant, soit par manque d’imagination de son intermédiaire littéraire ou par simple manque d’intérêt des chercheurs vis-à-vis de leur propre domaine. Les deux parties se sont ennuyées, le public, lui, s’est endormi.
La science ne fait pas rêver. Son discours ne touche pas les lecteurs. Parfois même, ses mots rébarbatifs effraient le public qui se perd dans la multitude des théories contraires. Dans un roman de Hard Science, la thèse traitée l’est dans un seul sens. Ce que l’on peut d’ailleurs parfois déplorer. « C’est comme ça et pas autrement ! ». Mais si l’auteur se dispersait, il serait regrettable d’être englouti, en tant que lecteur, dans les abîmes de la science fondamentale.
La part de l’intérêt que porte un auteur de SF à la science est limitée dans l’application d’une des idées directrices du roman. Et il est évident qu’un roman de SF n’est pas une thèse de Doctorat. Ce n’est qu’une porte ouverte sur un autre espace-temps pourtant affecté par les mêmes travers et les mêmes joies que notre société.
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Dans les romans d’anticipation des années 70-80, où l’on avait déjà conscience que le pire était à venir, la référence à une catastrophe climatique se limitait à ses effets. Tout le monde se souvient certainement du magistral Soleil Vert de 1973, adapté au cinéma d’après une nouvelle de Harry Harrison (Make Room ! Make Room !, 1966), qui dépeint un monde cruel (pour ne pas dire cannibale et corrompu) où la Terre ultra polluée ne laissait que peu d’espoir aux êtres humains. D’ailleurs aucune solution n’est apportée.
Au fil des années 1990-2000, nous assistons à la médiatisation de la SF climatique. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existait pas auparavant, mais qu’elle était tout simplement asphyxiée par la prédominance de la SF d’anticipation technologique qui promettait et promet toujours ( !) des vaisseaux spatiaux ultra-rapides, des ascenseurs pour l’espace, et autres joyeusetés sans doute moins probables dans un futur proche que les idées des romans en vogue actuellement.
Finalement, la mode d’aujourd’hui en science-fiction est à la science climatique à outrance, alimentée par les demandes de solutions imaginaires qui pourraient se trouver réalisables. Les auteurs proposent. Les lecteurs disposent. Il en a toujours été ainsi. Et on assiste à la floraison d’ouvrages tous aussi impliqués les uns que les autres. Ainsi, l’anthologie Demain la Terre (dirigée par Denis Guiot, 2003), propose de « réveiller les consciences » des plus jeunes. L’excellent Aqua TM de Jean-Marc Ligny (2006) dépeint avec justesse la préoccupation du moment qu’est l’évolution de notre climat et les problèmes liés aux ressources primaires. Le succès de ce roman est, s’il en fallait, une preuve que les lecteurs n’y sont pas si insensibles.
Aux scientifiques de prendre part aux débats instaurés depuis longtemps par les fictionnaires. Mais cette attention fortement médiatisée est limitée dans le temps, car si l’humanité se sort finalement de cette crise climatique ou bien si l’intérêt, aussi bien de l’auteur que du lecteur, s’essouffle, il y a fort à parier qu’un autre sujet scientifique dominant prendra le relais puisant sa source dans la multitude des propositions déjà existantes.
En attendant, prévoyons une augmentation des publications d’œuvres, spéculatives et peut-être visionnaires, sur l’avenir de notre planète laissant entrevoir à plus long terme, je l’espère, notre survie.
Références :
G. Bear (1999) – L’échelle de Darwin. (2001) Editions Robert Laffont. Livre de Poche
J. Blish (1957) - Semailles Humaines. Editions Gallimard, Collection Folio SF
D. Guiot (2003) - Demain la Terre. Editions Mango
H. Harrison (1966) - Make Room ! Make Room ! . Editions Doubleday
H. Harrison (1974) – Soleil Vert. Editions Presses de la Cité
J.-M. Ligny (2006) - Aqua TM. Editions L’Atalante
X. Mauméjean (2004) - La vénus anatomique. Editions Mnémos
K. S. Robinson – La Trilogie de Mars. Editions Pocket
Juin 2007 - Science et Vie : Les nouveaux mondes. Autres terres, autres vies ? numéro 239
Juin 2007 - La recherche : Extinction : Quand la vie faillit disparaître, numéro 409
Mars/Avril 2007- Science et Avenir, Hors Série : Le réchauffement climatique, numéro 150
Les Utopiales : Festival International de Science-fiction de Nantes. Edition 2007
Octobre 2006 – Enjeux éthiques des nanosciences et nanotechnologies. Rapport du Comité d’éthique COMETS du CNRS : Page 11. Site Internet : ici