La Marinade par Christophe Maggi

C’était toujours le même bar. En bord de mer. Cela faisait près d’un an que j’y venais tous les soirs depuis que les affaires ne marchaient plus.

Le vent sifflait dehors. Des bourrasques tournoyaient autour des réverbères, emportant dans leurs élans, des feuilles mortes et des déchets de papier gras. Le brouillard arrivait du fond de la mer. Il surgissait des abysses comme tous les soirs pour envahir les quais jusqu’au petit matin. Il était le roi des côtes. Les vagues formaient de hauts creux et venaient mourir dans un fracas d’écume sur les dalles de la digue. La lune avait trop peur de la tempête et préférait se terrer dans les nuages. On aurait dit que les façades des maisons allaient plier sous la force des vents ; les quais étaient assaillis par les éléments. Et c’était complètement courbés et trempés jusqu’aux os que les clients entraient en retenant d’une main la porte, qui voulait elle aussi s’envoler dans la nuit noire du port, de l’autre leur chapeau imbibé de pluie salée et iodée.

De grosses gouttes ruisselaient sur les fenêtres de l’Auberge du paradis et on ne voyait à travers les glaces que notre propre reflet : déchéance humaine par excellence, frileux vagabonds rejetés tels des bouteilles par la mer dans un bar miteux de vieux loups qui n’avaient jamais navigué en dehors de la Manche.

Je ne regardais même plus les éléments se déchaîner. Cela faisait dix-sept jours qu’ils tempêtaient sans relâche. Un vieux chalutier avait même succombé à leurs assauts incessants, sombrant au fond du port sans crier gare. Et on entendait invariablement ce terrible chuintement qui nous rappelait que la nuit hurlait un grand malheur.

 

La Marinade mouillait à quelques centaines de mètres du bar. Épave rouillée qui ne me permettait même plus de subsister. Je n’espérais qu’une chose, c’est qu’elle m’emmena une dernière fois en mer et y sombre à tout jamais, m’emportant dans sa tombe de fer. Mais cela n’arrivait pas. Je devais subsister à tout jamais, errer de bar en bar, tenter de noyer mon mal de vivre dans un whisky frelaté à la terrible couleur ocre.

 

Je ne déchargeais jamais ma maigre cargaison la nuit même. Je n’étais qu’un feignant. L’urgence m’emmenait toujours au bar. L’urgence de me saouler plutôt que d’essayer de gagner ma vie, en revendant mon fret. Et chaque nuit, c’est à l’Auberge du paradis que je cherchais à mourir lentement. J’y vidais mes poches et une série de godets et c’est titubant et trébuchant que je regagnais péniblement ma cabine crasseuse, froide et humide. Parfois même, je passais ma nuit sur un banc, tant la Marinade me dégoûtait.

Le lendemain, un terrible mal de crâne me ravageant éternellement, je ne pouvais non plus m’atteler à la besogne. Et bien souvent, ce n’était que le surlendemain qu’enfin, je déchargeais les casiers, alors que tous les négociants étaient partis et que plus personne ne voulait de ma marchandise de dernier choix. Là, était ma terrible condition de vie.

 

En ces jours de tempête, mon moral était au plus bas. J’étais bien plus maussade que le temps, rechignant ma vie mais ne m’apitoyant qu’à un triste sort que je n’évitais point. Mon estomac me faisait souffrir tant la faim le tiraillait et mes poches déjà vides depuis longtemps ne payaient plus mes whiskys quotidiens. J’avais du m’endetter auprès du patron de l’auberge et à chaque verre qu’il me servait, il me rappelait combien le chemin serait long et difficile pour remonter la pente de l’honneur.

À l’image de la Marinade, je n’étais plus qu’une épave, à peine humaine. Mes haillons sentaient le vent du large et le poisson pourri, l’iode et le vieux tabac ; la barbe durcissait mon visage et mes yeux injectés de sang rappelaient à quiconque me croisait que je n’étais plus qu’un malheureux ivrogne, incapable de naviguer droit par mer calme.

           

Le patron, affairé à essuyer des verres derrière son bar, me regardait d’un œil mauvais. Il voyait mon verre vide mais ne semblait vouloir le remplir. Je dus lui faire un signe et il arriva, le pas lourd, le sourire absent. Il adorait se faire supplier. Il savait que c’était ma faiblesse. Il versa le whisky et me rappela le montant de mes dettes. Je l’ignorai et vidai le verre d’un trait et, avant qu’il ne reparte, je le tirai par la manche et lui demandai de me servir à nouveau.

 

Soudain, on entendit au loin le carillon de l’église du village portuaire sonner les douze coups de minuit. Le clocher était sur la colline et c’est pourquoi le son portait si bien malgré les rugissements du vent. Minuit déjà. Une nuit de plus écoulée. Encore un pas vers la mort. Le bar était moins peuplé que d’habitude ; c’était certainement à cause du temps. J’étais assis sur un haut tabouret et de là, je zieutais furtivement la quinte de joueurs de poker à la table ronde. Ils tapaient la carte pendant des heures. Carrés contre fulls. Je convoitais les pièces brillantes qu’ils lançaient sur le tapis vert en sirotant ce breuvage ocre et pétunant de riches tabacs à l’odeur forte. Je ne pouvais même pas me joindre à eux, je n’avais plus un sou à miser.

À l’opposé du bar, un couple de jeunes amoureux se disputait. Ils n’élevaient pas la voix mais on sentait une vive tension entre les deux tourtereaux. Lui, un grand échalas anglais qui s’exprimait avec un fort accent, elle, une belle blonde à la voix douce et mielleuse que la colère ne troublait pas.

Un homme entra, il portait un imperméable beige et gras, terni par la pluie qui lui avait trempé l’échine. Il retira son melon et son par-dessus, laissant apparaitre un complet anthracite de très bonne facture. Il salua mais personne ne sembla le remarquer. Je vis à travers la porte entrouverte mille hallebardes de diamant tomber du ciel sur les galets de la plage et je pensais à la Marinade qui devait prendre l’eau de tous les côtés. Ruisselante et suintante de partout, elle n’épargnerait pas ma couche. Cette pluie fomentait un complot avec ce maudit chalutier pour m’achever lentement mais sûrement.

 

Le bonhomme s’assit à coté de moi sur un tabouret. Il était si petit qu’il dut presque sauter pour poser ses fesses sur le moelleux coussin de velours rouge. À ses mains et ses habits, je vis de suite que ce devait être un haut notable de la ville et non pas un petit miteux comme nous qui fréquentions les bars du port, à la recherche de nous-mêmes. Son apparence et sa présence dénotaient dans ce lieu peu recommandable.

Il commanda un café et me regarda en souriant. Il but une gorgée alors que je finissais mon cinquième verre d’un trait. Et là, j’eus un choc. Il me parla. Moi, qui ne disais jamais rien. Moi, le pilier de comptoir, qui n’ouvrais la bouche que pour augmenter mes dettes. Il m’adressa la parole, ou plutôt non, il entreprit un long et lent monologue. Il parlait de la pluie, de la mer, de sa femme, de la ville et de sa situation, de ses petits tracas, de ses clients, des affaires, de sa vie. Il me dit qu’il était notaire. Un de ces privilégiés qui doivent suivre le chemin tracé de papa. J’en fus dégoûté et lassé de l’écouter. Comme à mon habitude, j’avais bu plus que de raison et je me levai en titubant. Il me toisa du haut de son tabouret, surpris de mon impolitesse et ne dit plus rien. Je traversai le bistrot en diagonale et pris prestement la clenche en main avant que le patron ne me crie le montant de mes dettes, m’humiliant une dernière fois pour ce soir. Comme si la vie n’était pas assez difficile ainsi. Et je sortis dans la nuit noire.

 

Le vent glacial rougit mes oreilles, mes haillons n’avaient même pas eu le temps de sécher complètement bien que le gîte soit bien chauffé. Je parcourus les quais, voulant chanter mon ivresse mais mon gosier était si râpeux qu’aucun son ne sortit. Et le cœur n’y était pas.

Je m’accrochai à un réverbère et scrutai le ciel à la recherche de la lune. Absente comme toujours quand on a besoin d’elle. Je fis une centaine de pas et vis la Marinade au loin. Elle me fit encore plus pitié que d’habitude, balancée par la houle, tanguant dangereusement sur une mer presque déchaînée. La mer nous désirerait peut-être cette nuit.

Je montai à bord péniblement, trébuchant et chutant, entaillant un peu plus les guenilles qui me servaient de pantalon. Je n’en avais d’autres et bientôt on ne me laisserait plus entrer nulle part, tant je devenais repoussant. Je dégringolai l’échelle de coupée et m’abîmai dans la coursive. L’alcool aidant, je ne sentais plus la douleur. Je poussai la porte vermoulue de ce qui me servait de chambre et voulus sombrer sur le matelas humide.

 

Et là, à ma grande surprise, je vis une femme. Mais que faisait-elle à bord ? Je crus d’abord que j’avais des hallucinations. Elle était jeune et belle. Elle avait de long cheveux blonds ; blottie sur le lit, les genoux pliés, en position fœtale, elle tenait, serré contre son cœur un petit paquet de linge. Je m’approchai et la touchai. Elle avait le teint blême, elle semblait épuisée et assoupie. Un sourire de satisfaction sur les lèvres. Je n’osai la réveiller.

Je me dis que je rêvais, que plus jamais je ne boirais de cette gnôle frelatée lorsque soudain, des pleurs m’arrachèrent de ma vacuité éthylique. Je crus qu’elle se tourmentait. Elle ouvrit les yeux. Ils étaient bleus, superbes. Elle avait de grandes boucles d’or aux oreilles et un foulard rouge dans les cheveux. Elle tourna la tête vers moi, lentement... Je vis son visage, appuyé contre la paroi de la Marinade, trempé. On aurait dit qu’elle m’attendait mais je ne la connaissais pas. Je ne l’avais jamais vue auparavant Elle me tendit le délicat paquet qui gigotait et pleurait.

C’était un enfant.

 

Par réflexe, je le pris. C’est la première fois que je tenais un nouveau-né dans mes bras. Il pleura plus fort. Je voyais ses petits poings serrés jaunir et ses joues rougir.

La jeune femme ferma les yeux et péniblement articula :

— Comment vous appelez-vous ?

—  Jean, répondis-je machinalement tout en regardant l’enfant.

— Occupez-vous en, me dit-elle. Il s’appellera Jean.

Elle avait un accent que je ne pus identifier. L’adrénaline qui montait en moi effaçait toutes traces de l’alcool. Je regardais l’enfant dans mes bras et m’assis de peur de perdre l’équilibre. La Marinade louvoyait toujours dangereusement et je compris que je devenais responsable de la vie de cet enfant que l’on me confiait. Il était encore badigeonné de sang et de mucus. Je regardai sa mère. Elle avait accouché durant mon absence. Mais comment une femme aussi jolie put-elle trouver refuge dans un endroit aussi sale et lugubre ? Comment la vie pouvait-elle naître dans un lieu qui puait la mort et l’agonie ?

Je pense qu’elle sentait que je la dévisageais. Elle était mal en point mais elle parvint à prononcer d’autres paroles.

Je ne compris pas ce qu’elle me dit. Elle répéta les mêmes mots. Désemparé, je voulus lui rendre son enfant, elle ne le prit pas. Elle garda sa position, les bras croisé sur la poitrine, souffrante. Je compris que la mise au monde de ce petit n’avait pas été sans peine et c’est alors que je vis entre ses cuisses serrées, une tâche rubescente qui souillait sa robe. La tache s’épandait sur le matelas et à bien y regarder, grossissait assez vite.

— Jurez-le.

— Jurer quoi ? dis-je toujours aussi surpris et perdu.

— Jurez que vous vous en occuperez comme de votre fils.

Je réfléchis un instant. La situation n’avait pas besoin de réflexion, le devoir m’appelait, s’il y avait une seule chose que je devais faire comme il se doit dans ma vie, c’eût été celle-là : secourir une mère mourante.

— Je vous jure que j’en prendrai soin Madame, sur la tête de Dieu. Je vous le jure. Mais vous...

Je ne savais pas ce que j’avais dis. Je ne comprenais pas le sens de mes mots, ni le poids de l’obligation. Moi, qui n’avais jamais eu comme responsabilité que la garde de ma propre vie et celle de la Marinade.

Et elle mourut en un souffle, apaisée.

 

 

L’aube pointait. Le brouillard envahissait toujours le pont et rien ne laissait présager une accalmie. L’enfant ne cessait de pleurer. Je me levai et le berçai. Il pleurait toujours. J’étais désemparé, face à une situation que je pensais insurmontable. Mon esprit était vide d’initiative, j’avais beau chercher des solutions, je n’en trouvais pas. Il m’aurait fallu une bouteille de whisky mais je n’en avais pas.

Le petit Jean pleurait encore et encore dans mes bras. Je le mis près du giron de sa mère et constatai avec effroi qu’il cherchait à téter. Je le repris. Je n’avais pas de lait à bord et ne savais quoi lui donner. Je le posai au pied du lit et j’enveloppai la malheureuse dans un drap. Je voulais laisser à cette femme une dernière sépulture digne de la recevoir.

Ce devait être une apatride, certainement une gitane ou une romanichelle exclue ou répudiée de sa communauté. Comment et pourquoi s’était-elle réfugiée dans la Marinade pendant la tempête ? Je n’en savais trop rien et je ne le saurai certainement jamais.

 

L’enfant pleura toute la journée et toute la nuit suivante. Je ne pris pas la mer. Le temps était affreux et gris. La mort rôdait dans le port, flirtant avec les pleurs du nouveau-né. Cela faisait vingt quatre heures que je n’avais rien pu lui donner à manger. Il ne prenait même pas de l’eau chaude. J’étais apeuré à l’idée d’annoncer aux gendarmes la mort d’une femme que je ne connaissais pas dans mon bateau. Que diraient-ils ? Me soupçonneraient-ils d’amener des passagers clandestins, de traite des êtres humains ? Et dire qu’aucun de mes papiers n’était en règle.

Je pris une grave décision mais je n’avais pas le choix. Comment un enfant pouvait-il survivre auprès d’un déchet comme moi ? Je n’arrivais même pas à subvenir à mes besoins et un jour ou l’autre, c’est par le fond de l’océan que l’on m’appellerait pour rendre des comptes.

Je pris un drap, le moins sale que je trouvai, l’emmaillotai et je descendis sur les quais avec ce petit corps dans mes bras. Je courus aussi vite que mes maigres jambes me le permettaient. Heureusement, je ne croisai personne en me dirigeant vers la colline mais des albatros tournoyaient autour de nous en piaulant Jean, Jean, Jean… Je crus voir deux yeux noirs percer les nuages et me narguer. Je sentais la brise fouetter mon visage et le vent me repousser vers la Marinade. Je faisais un effort considérable et je priai pour avoir la force suffisante. J’étais terriblement honteux de ce que je faisais, mais je ne voyais aucune solution. Je luttai contre les éléments, fermant parfois les yeux pour ne pas voir la mer me pointer du doigt. Je courus à n’en plus pouvoir et enfin, j’atteignis la petite église. Les lourdes portes n’étaient pas fermées ; j’entrai en ignorant Jésus qui me regardait du haut de sa croix. Délicatement, je déposai l’enfant, enveloppé dans des draps blancs, au pied de l’autel et m’enfuis en courant comme un voleur.

 

Le soir, alors que je n’avais pas le courage d’affronter le regard des autres à l’Auberge du paradis, pour la première fois depuis des mois, je ne m’y rendis pas. Je n’en avais plus le goût. Et pourtant, une bouteille de whisky m’aurait certes bien remonté le moral, mais je n’avais même pas de quoi m’en offrir une. Et ma cargaison qui pourrissait à bord de la Marinade ne m’aiderait plus maintenant. Que dire de l’encombrante dépouille de la pauvre femme ? Il me fallait fuir, éviter les embêtements, me faire oublier.

 

Le ciel s’éclaircit en fin de soirée, la mer s’apaisa et comme appelé par les derniers embruns, je pris le large. Quitter ce port, cette ville et éloigner le plus possible de moi ce clocher. Je n’avais pas déchargé ma cargaison. Maintenant, il était trop tard. Les négociants étaient partis et ils ne reviendraient pas avant la semaine prochaine. Tant pis.

 

En pleine mer, loin des côtes, je jetai le corps de la pauvre femme à la mer. Elle ne coula pas, j’avais oublié de la lester. Je ne pouvais rien lui offrir de plus. Je dis une courte prière qui me revint à la mémoire. Puis, je m’allongeai dans la cabine. J’écoutais longuement les plaintes de la Marinade en fixant le plafond rouillé. Je revoyais ce corps dans son linceul blanc dériver dans les vagues et ce petit être tout rose piaillant de plus belle alors que je quittais le parvis. Pourquoi avais-je juré de m’occuper d’un enfant, alors que je n’étais même pas capable de m’occuper de moi-même ? Les questions envahissaient mon esprit et je m’endormis las et tourmenté, ne sachant pourquoi la gitane avait embarqué ce soir de tempête.

 

Des pleurs me réveillèrent. J’étais en sueur.

La nuit était tombée et un enfant pleurait dans ma tête. Je me levai et montai sur le pont. Il recommençait à pleuviner. Je regardai au loin. Rien. La nuit noire et la Manche à perte de vue. Mais les pleurs ne cessaient. Et en plus, ils s’amplifiaient. Les vagues grossissaient, les nuages roulaient dans le ciel et masquaient de nouveau la lune. Le vent sifflait de plus en plus et faisait tanguer le bateau.

Alors que je barrais plein ouest, je vis de grosses vagues éclater en écume contre la proue du chalutier, la mer s’approchait de moi, de plus en plus, et se retirait lentement du pont. Le bateau gémissait sous les assauts des éléments. Subitement comme le bois vermoulu du bastingage, je craquai, j’hurlai. Je voulais que ces pleurs cessent. Je voulais que cela ne me soit pas arrivé, puis me lamentant, gémissant moi-même et me tenant la tête, je repensai à la promesse que j’avais faite : « Je vous le jure sur la tête de Dieu ».

Mais qu’est-ce qui m’avait pris de dire ça ? Je crus devenir fou. Les pleurs n’envahissaient plus seulement ma tête mais tout l’horizon. Où que porte mon regard je voyais les éléments se déchainer contre moi. J’entendais les nuages hurler et la mer se tourmenter. Je voyais des yeux inquisiteurs dans les cieux, des éclairs me désignaient et le tonnerre craquait dans mes tympans. La Mer gonflait, la Lune riait, les Vents sifflaient, la Nuit m’oppressait. Je vis, loin derrière, le phare maudit du Cap de la Hague pointer son faisceau inquisiteur dans ma direction, les terres me rattrapaient. Je sentais les îles Guernesey et Jersey gémir, Saint Anne rugit elle aussi, lorsque je doublai ses côtes. Et je compris que jamais je ne pourrais plus me séparer de cet instant où j’avais lâchement abandonné un enfant au pied de l’autel de l’église.

 

C’était la Punition Divine.

 

Alors, je descendis dans la cale et ouvris les pompes de sabordage de la Marinade. Elle commença à s’emplir d’eau. J’entendais les parois pleurer, je voyais même les larmes ruisseler le long des cloisons rouillées. Le bateau tangua et prit un dangereux gite. Tout n’était plus qu’un long pleur, une lente agonie. La coque craquait lentement et je sentis la mer froide me nouer les chevilles, m’enlacer et me tirer à elle. Je ne fis pas un geste pour me sauver quand l’eau atteignit mon menton. J’espérais que sous l’eau, je n’entendrais rien d’autre que le chuchotement de la Mort. Mais il n’en fut rien. Cette naissance m’avait damné pour l’éternité. Et moi aussi, je me mis à pleurer mon parjure.

 

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